LOGINLéo
Je reviens à la maison au petit jour, un automate aux membres lourds. Mon corps n’est plus tout à fait le mien. Il porte l’empreinte de Kael, une marque bien plus profonde que la simple chaleur sur mon sternum. Chaque muscle, chaque nerf, chaque parcelle de ma peau semble imprégnée de son essence sylvestre. Je sens la sève couler dans mes veines à la place du sang, la patience des arbres remplacer mon agitation humaine. L’étreinte de la source sacrée m’a purifié, oui, mais elle m’a aussi… réassemblé. Reconstruit selon les termes de Kael.
La maison est silencieuse, froide. Elle me semble étrangère, un décor fragile face à la réalité vivante et violente de la forêt. Je me tiors debout au milieu du salon, les pieds nus sur le plancher rugueux, et je respire. L’air est stagnant, mort. Il n’a pas l’odeur de la terre, de la mousse, de lui.
Soudain, la porte d’entrée explose.
Le bois se brise en une gerbe d’éclats. La serrure métallique cède avec un grincement atroce. Dans l’encadrement, baigné par la lumière grise de l’aube, se tient Elias.
Il n’est plus à moitié transformé. Il est la Bête, presque entièrement. Sa taille a augmenté, déchirant ce qui restait de ses vêtements. Une fourrure gris-acier, hérissée, recouvre son corps décharné par une musculature de prédateur. Son museau est allongé, ses crocs ruissellent de salive. Ses yeux ne sont plus des yeux, mais deux soleils jaunes en fusion, brûlant d’une fureur que je peux sentir physiquement, comme une vague de chaleur.
Mais pire que sa forme, pire que sa rage, c’est ce que je perçois en lui. Une douleur. Une trahison si viscérale qu’elle se confond avec la folie.
Il hume l’air lourdement, un grognement rauque et continu s’échappant de sa gorge.
— TU… PUES…
Sa voix est un aboiement déformé, déchiré par la mâchoire du loup.
— TU PUES SA MAGIE JUSQU’À LA MOELLE ! IL T’A… IL T’A POSSÉDÉ !
Il avance d’un pas lourd, faisant trembler le plancher. Je devrais hurler. Je devrais fuir. Mais la tranquillité des arbres que Kael a insufflée en moi me maintient étrangement calme. La peur est là, tapi, mais elle est enveloppée dans de la mousse et des racines.
— Elias, dis-je, ma voix étonnamment stable. Arrête.
— ARRÊTER ? crache-t-il en projetant de la bave. APRÈS ÇA ? APRÈS QU’IL T’AIT PRIS CE QUI M’APPARTIENT ?
— Je n’appartiens à personne.
Un rire, un son horrible, écorché vif, lui échappe.
— NAÏF ! TU CROIS QUE SON ÉTREINTE ÉTAIT DE L’AMOUR ? C’ÉTAIT UNE REVENDICATION ! UNE MARQUE TERRITORIALE ! COMME UN CHIEN QUI PISSE SUR SON BIEN !
Il est sur moi en deux bonds. Sa main, une patte aux griffes acérées comme des rasoirs, se referme autour de ma gorge. Il ne serre pas. Pas encore. Mais la menace est là, brûlante. L’odeur de son pelage, de son haleine chaude, de sa colère, m’enveloppe. C’est l’antithèse absolue du parfum de forêt de Kael.
— Il t’a menti. Il t’a rendu faible. Docile. Comme une plante en pot. Moi…
Sa gueule se place à quelques centimètres de mon visage. Je peux voir la folie dans ses yeux jaunes.
— Moi, je t’aurais rendu fort. Libre. Nous aurions couru ensemble. Chassé ensemble. Nous aurions été des dieux !
Sa main sur ma gorge tremble. Une lutte interne déchire son être. L’homme contre la bête. La convoitise contre la destruction.
— Je devrais te tuer, souffle-t-il, une traînée de salive tombant sur ma joue. Pour ce qu’il a fait. Pour ce que tu as permis.
Ses yeux se posent sur mes lèvres, comme s’il revoyait le baiser forcé, puis se ferment une seconde, une agonie pure y passant.
— Mais je ne peux pas. La bête… elle te veut. Vivant. Elle te veut à mes côtés. Elle hurle ton nom dans ma tête.
Il relâche soudainement ma gorge, mais m’attrape par les bras, ses griffes entaillant la peau. La douleur est vive, réelle. Elle perce la torpeur verte dans laquelle Kael m’a plongé.
— Il faut que ça parte. Son odeur. Sa marque.
Il me pousse violemment contre le mur. Le choc me fait voir des étoiles.
— Je vais la couvrir. Je vais la remplacer.
Son intention est claire, terrifiante. Ce n’est pas le désir possessif de Kael, une fusion avec la nature. C’est un marquage animal, brutal. Une souillure pour en effacer une autre.
Je me débats enfin, la peur submergeant la tranquillité imposée.
— Non ! Elias, non !
— SI !
Il rugit, et le son est si puissant que les vitres restantes de la porte explosent. Il arrache ce qui reste de ma chemise, son regard se fixant sur la marque dorée et verte de Kael sur mon sternum. Une haine pure illumine ses yeux.
— MAINTENANT, TU SERAS À MOI. TU PORTERAS MA MARQUE, ET LUI NE POURRA PLUS JAMAIS TE TOUCHER SANS SE BRÛLER.
Il baisse sa tête, ses crocs étincelant. Ce n’est pas une morsure pour tuer. C’est une morsure pour marquer. Pour posséder.
Et alors que ses crocs s’enfoncent dans ma chair, juste à côté de la marque de Kael, un cri déchirant, qui n’est pas tout à fait le mien, jaillit de mes lèvres. C’est un cri de douleur, de terreur, et de quelque chose d’autre… une révolte sauvage qui n’appartient qu’à moi. La bataille pour mon âme vient de prendre un tournant sanglant, et je suis le champ de bataille, déchiré entre deux dieux aux amours aussi dangereux que mortels.
LéoJe reviens à la maison au petit jour, un automate aux membres lourds. Mon corps n’est plus tout à fait le mien. Il porte l’empreinte de Kael, une marque bien plus profonde que la simple chaleur sur mon sternum. Chaque muscle, chaque nerf, chaque parcelle de ma peau semble imprégnée de son essence sylvestre. Je sens la sève couler dans mes veines à la place du sang, la patience des arbres remplacer mon agitation humaine. L’étreinte de la source sacrée m’a purifié, oui, mais elle m’a aussi… réassemblé. Reconstruit selon les termes de Kael.La maison est silencieuse, froide. Elle me semble étrangère, un décor fragile face à la réalité vivante et violente de la forêt. Je me tiors debout au milieu du salon, les pieds nus sur le plancher rugueux, et je respire. L’air est stagnant, mort. Il n’a pas l’odeur de la terre, de la mousse, de lui.Soudain, la porte d’entrée explose.Le bois se brise en une gerbe d’éclats. La serrure métallique cède avec un grincement atroce. Dans l’encadrement,
LéoLa nuit a été un cauchemar éveillé. Le goût de fer et de foudre laissé par le baison d'Elias imprègne encore ma bouche. La marque sur mon sternum, laissée par Kael, palpite douloureusement, comme une blessure. Je me sens souillé, déchiré. Le corps d'Elias contre le mien a éveillé une part de moi que je ne connaissais pas, une part sombre et réceptive à sa sauvagerie. Et cela me terrifie.Au petit matin, une nausée persistante me tenaille. Ce n'est pas la peur. C'est une sensation de corruption, comme si l'essence même d'Elias, brute et chaotique, essayait de ronger la lumière que Kael avait déposée en moi.Je ne peux pas rester ici. Je ne peux pas affronter à nouveau Elias, pas dans cet état. Il a raison sur une chose : je ne suis pas protégé. La marque de Kael est une promesse, pas un bouclier.Sans réfléchir, poussé par un instinct de survie primal, je sors de la maison et me précipite dans la forêt. Je ne marche pas, je cours. Les branches me fouettent le visage, les ronces acc
LéoLa marche de retour depuis la clairière de Kael est un voyage entre deux mondes. Mon corps est encore empreint de la chaleur du Silvanien, chaque cellule vibrante de l'énergie qu'il m'a transmise. Le goût de ses lèvres, mi-écorce mi-chair, est un philtre sur ma langue. Je porte sa marque, une braise de vie juste au-dessus de mon cœur, et ses mots résonnent en moi : « Tu es le chaînon manquant. »Mais la forêt, à mesure que je m'éloigne du sanctuaire, redevient hostile. L'ombre des sapins s'allonge, griffant le sol. L'air fraîchit, et avec le froid revient le souvenir des yeux dorés d'Elias. Les deux désirs se livrent une guerre en moi : la paix envoûtante de Kael, et l'appel sauvage, primitif du loup. Je les sens tous les deux sous ma peau, comme deux courants contraires.Je suis presque à la lisière, la maison en vue, quand la sensation me frappe. Une oppression dans la poitrine. Un silence anormal. Les crickets se sont tus. Le vent lui-même semble retenir son souffle.Il émerge
LéoLes jours suivants sont un brouillard de peur et de vigilance. Je vis les volets clos, sursautant au moindre craquement, au plus léger hurlement au loin. Le nom Elias tourne en boucle dans ma tête, une mélodie sombre et obsédante. Ses paroles me hantent. « Tu sens comme l’autre rive. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Son regard doré, plein d’une faim qui n’était pas seulement pour la chaire, est gravé au fer rouge derrière mes paupières.Mais une autre image, tout aussi puissante, persiste : celle de l’être sylvestre, de ses bois d’ébène et de son regard de mousse tranquille. Ce rêve était plus réel que n’importe lequel de mes souvenirs. C’était un souvenir, lui aussi, mais d’un endroit où je n’avais jamais mis les pieds.La peur finit par céder la place à une curiosité brûlante, plus forte que tout. Je ne peux pas rester enfermé ici à pourrir, à attendre que le loup-garou décide de franchir la porte. Je dois comprendre. Je dois retrouver cette clairière.Armé d’un vieux couteau ro
LéoLe train grince et halète avant de s’immobiliser dans un dernier souffle de vapeur. La gare de Saint-Sylvain n’est qu’un quai de pierre morne, posé comme un après-pensée à la lisière d’une mer verte de sapins. Je descends, mon unique valise à la main, l’air frais du soir me saisissant à la gorge. Il sent la terre mouillée, la résine et quelque chose d’autre, de fauve, que je ne peux nommer.La maison de mon grand-oncle Alban est encore à deux kilomètres. Je commence à marcher sur le chemin de terre, les bras couverts de frissons. Le soleil se meurt derrière la crête des arbres, et les ombres s’allongent, devenant denses et hostiles.C’est alors que le premier hurlement déchire le silence.Un son à glacer le sang, primitif, qui semble vibrer dans mes os. Il est suivi par un chœur d’autres voix, plus lointaines. Une meute. Mon cœur se met à battre la chamade, un piétinement animal dans ma poitrine. Je presse le pas, mes yeux essayant de percer l’obscurité naissante entre les troncs.







