Shelby n’avait pas prononcé un mot depuis son retour de l’hôpital. La pluie tombait sur Sunstown depuis la veille au soir, rythmant les secondes comme une pendule maudite. Assise sur le rebord de son lit, les genoux repliés contre elle, elle fixait la bande autour de sa main. Les médecins avaient dit qu’elle s’en était miraculeusement sortie avec quelques contusions et une entaille profonde sur la paume. Miracle… Non. C’était un mensonge. Tout en elle criait que quelque chose de plus grand, de plus ancien, avait été réveillé.
Elle revoyait sans cesse les images de l’accident. La route mouillée. L’éclat de ses phares dans la nuit. Le corps de Brade surgissant au milieu de la chaussée, puis… l’impact. Il aurait dû mourir. Il avait volé, heurté un arbre, et pourtant il s’était relevé. Il avait disparu dans les bois comme une ombre insaisissable. Et ce n’était pas tout. Depuis cette nuit, quelque chose clochait en elle. Ses sens étaient plus aiguisés, ses rêves peuplés de hurlements et de silhouettes difformes. Et cette chaleur qui montait en elle chaque fois qu’elle sentait la lune percer à travers les nuages… La porte de sa chambre s’ouvrit lentement. Sa mère entra, le visage pâle, les yeux cernés comme si elle n’avait pas dormi depuis des jours. Derrière elle, son père referma la porte, l’air grave. Shelby sentit immédiatement que l’instant allait marquer un tournant dans sa vie. — Shelby, commença sa mère d’une voix douce. Il est temps qu’on te dise la vérité. La jeune femme leva les yeux vers eux, le cœur battant. Elle voulait des réponses, mais elle craignait plus encore ce qu’ils allaient lui dire. — Je ne suis pas folle, n’est-ce pas ? murmura-t-elle. Quelque chose m’arrive… quelque chose d’étrange. Depuis l’accident. Son père s’approcha lentement et s’assit au bord du lit. — Tu n’es pas folle. Et tu n’es pas seule. Shelby recula légèrement, sentant une sueur froide couler le long de sa colonne vertébrale. — Alors dites-moi ce que je suis. Un silence pesant tomba dans la pièce. Sa mère s’assit à son tour, et Shelby vit ses mains trembler. — Tu es notre fille, dit-elle avec une tendresse infinie. Mais tu es aussi… l’héritière d’un sang ancien. Celui d’une lignée de loups. — De quoi vous parlez ? souffla Shelby. C’est une blague ? Son père secoua la tête. — Ce que nous allons te dire va te sembler fou. Mais c’est réel. Aussi réel que ce que tu ressens depuis l’accident. Il se leva et marcha jusqu’à la commode. Il en sortit une vieille boîte en bois, gravée de symboles étranges. Il l’ouvrit avec précaution et en sortit un médaillon argenté, en forme de lune entourée de crocs. — C’était celui de ta grand-mère, dit-il. Et avant elle, celui de sa mère. Ce symbole appartient à notre lignée depuis des siècles. Nous sommes ce qu’on appelle les porteurs du gène. Des humains… mais pas seulement. Shelby prit le médaillon entre ses doigts. Il était froid, mais elle sentit une énergie familière en son contact. Une énergie ancienne, presque vivante. — Pourquoi… vous ne m’avez rien dit ? demanda-t-elle, la voix brisée. — Parce que la malédiction ne s’active que lorsqu’un drame déclenche le gène. Et nous espérions que tu n’aurais jamais à la porter. Les yeux de sa mère se remplirent de larmes. Mais l’accident… Tu as été blessée. Et lui aussi. Ce garçon… il portait aussi le gène, n’est-ce pas ? Shelby hocha lentement la tête. — Il s’appelait Brade. Il… il s’est relevé comme si de rien n’était. Puis il a fui. Son père acquiesça. — Alors tout s’explique. Le contact avec un autre porteur, combiné au traumatisme de l’accident, a brisé le sceau. Ton corps commence à se transformer. — Mais… je ne veux pas être ça ! cria Shelby. Je ne veux pas me transformer en monstre à chaque pleine lune ! Sa mère lui prit les mains, les larmes coulant librement. — Tu n’es pas un monstre. Tu n’as pas à l’être. Tu peux apprendre à te contrôler. C’est en toi, mais c’est toi qui décides de ce que tu fais avec. — Et si je tue quelqu’un ? chuchota Shelby. Si je perds le contrôle ? Son père se leva, le regard dur. — C’est pourquoi nous devons t’aider. Tu vas devoir t’entraîner, comprendre ton corps, tes limites. Et surtout, connaître l’histoire de notre famille. Il ouvrit un vieux grimoire poussiéreux. Des pages jaunies racontaient les récits d’ancêtres aux destins tragiques. Des femmes puissantes, traquées, déchirées entre deux mondes. — Chaque génération a son alpha. Et chaque alpha est né sous la Lune Sanglante. Shelby sentit son sang se glacer. — Qu’est-ce que la Lune Sanglante ? — Un présage, répondit sa mère. Une pleine lune teintée de rouge, qui n’apparaît qu’une fois par génération. Elle désigne celui ou celle qui sera l’alpha naturel, celui qui pourra unir… ou détruire. — Et moi ? Je suis née cette nuit-là, n’est-ce pas ? Un silence. Un regard échangé entre ses parents. Puis un hochement de tête. — Oui, Shelby. C’est toi. Elle se leva, tremblante. — Vous vouliez m’épargner, mais vous m’avez trahie. — Nous avons essayé de te protéger, dit sa mère. — En m’aveuglant ! En me mentant toute ma vie ! Elle fit quelques pas vers la fenêtre. La pluie avait cessé. Les nuages se déchiraient, et derrière eux, un croissant de lune blafard se dessinait. — Je ressens des choses… que je ne peux pas expliquer. Mes rêves… je hurle dans mes rêves. Je cours. Je chasse. — C’est ton instinct primitif qui s’éveille, expliqua son père. Mais tant que tu restes humaine dans ton cœur, tu resteras toi-même. Shelby ferma les yeux. Sa respiration était saccadée. Elle voyait des visages, des bois sombres, des yeux jaunes dans l’obscurité. — Et Brade ? Il est comme moi ? — Il est probablement lié à une autre meute. Peut-être même à celle de ton grand-père. Une faction dissidente. Shelby se retourna, les yeux brillants. — Je dois le retrouver. Il sait des choses. Il peut m’aider. — Non ! dit sa mère avec panique. Tu ne dois pas t’approcher d’eux. Leur meute est dangereuse. Ils cherchent à récupérer le pouvoir de l’alpha. — Et c’est moi qu’ils cherchent. Elle serra le médaillon entre ses doigts. — Alors je dois être prête. Je dois savoir qui je suis… et ce que je suis capable de faire. Ses parents échangèrent un regard douloureux. C’était le moment qu’ils avaient tant redouté. Leur fille n’était plus une adolescente ordinaire. Elle entrait dans un monde où chaque choix pouvait coûter une vie. — On va t’aider, dit doucement son père. Mais tu dois nous promettre une chose : ne perds jamais ton humanité. Shelby releva les yeux. Et dans son regard brillait une force nouvelle. — Je le promets.Chapitre 12 : La Première Transformation La nuit tombée sur Sunstown, enveloppant la petite ville d’un voile d’obscurité épais et lourd. La lune, haute et rouge sang, dominait le ciel comme un œil brûlant, scrutant chaque recoin, chaque âme. Pour Shelby, cette nuit ne ressemblait à aucune autre. C’était la nuit qu’elle redoutait depuis des semaines : celle de sa première transformation complète. Les heures précédentes s’étaient écoulées dans un mélange d’angoisse et d’attente fébrile. Brade était resté à ses côtés, la guidant, l’encourageant, essayant de calmer la tempête qui grondait dans son corps. Mais rien ne pouvait la préparer à ce qui allait arriver. Assise dans sa chambre, elle sentait son cœur battre à tout rompre, chaque battement résonnant comme un tambour de guerre dans sa poitrine. Une chaleur brûlante s’empara d’elle, remontant de ses pieds jusqu’à sa tête, déformant ses sens, brouillant ses pensées. — Respire, Shelby, murmura Brade, sa voix douce comme un ancrage da
Le vent hurlait à travers les pins, déchirant le silence de la nuit. La pleine lune, d’un rouge profond, dominait le ciel, baignant la clairière d’une lumière sanglante et inquiétante. Autour du grand feu de camp, la meute s’était rassemblée, formant un cercle presque sacré. Tous les regards étaient tournés vers Shelby. Depuis son initiation, elle avait appris à maîtriser certains aspects de sa nature. Mais ce soir, une nouvelle épreuve l’attendait. Une épreuve qui dépasserait tout ce qu’elle avait connu jusqu’ici. — Shelby Elkson, dit la voix grave de la vieille Mira, tu as franchi les premiers seuils, enduré les rites, affronté la peur et la douleur. Mais ce que tu ignores encore, c’est que tu portes en toi le sang de l’Alpha. Un murmure parcourut la foule. Brade serra la main de Shelby avec force, son regard brillant d’une intensité nouvelle. — Le sang de l’Alpha ? répéta Shelby, le souffle coupé. Mira hocha la tête. — Tu es la descendante directe de Rhelia, la première Alph
Le soleil venait à peine de se lever lorsque Shelby et Brade atteignirent le flanc sud de la montagne d’Eilnor. Le vent y était plus vif, chargé d’odeurs sauvages, de mousse, de cendres froides, et d’un parfum animal qui lui donnait des frissons. Shelby avait à peine dormi. Depuis les révélations de Brade dans la Crypte de Lune, une tempête secouait son esprit. Son destin, sa lignée, la Prophétie. Tout semblait irréel, comme un rêve mal digéré. Et pourtant, chaque battement de son cœur, chaque frémissement de sa peau lui rappelait que ce monde nouveau était bien le sien. Qu’elle le veuille ou non. — On y est, murmura Brade en s’arrêtant au bord d’un promontoire. En contrebas, un ensemble de chalets rustiques formait un demi-cercle au milieu d’une clairière. Certains étaient bâtis en bois massif, d’autres à même la pierre, fondus dans le décor. Des loups gris trottaient librement entre les arbres, observant leur arrivée avec une curiosité silencieuse. — C’est… ta meute ? souffla Sh
Les jours suivants se déroulèrent dans un calme trompeur. Shelby passait de plus en plus de temps avec Brade, à l’écart de Sunstown, dans les recoins oubliés de la forêt. Il lui enseignait à ressentir, à écouter, à observer. Mais aujourd’hui, il lui avait demandé de le rejoindre dans un endroit qu’elle ne connaissait pas encore. Plus profond. Plus sacré. Là où les secrets ne pouvaient être tus. Ils marchèrent en silence pendant une heure. La forêt se faisait plus dense, plus ancienne. Les arbres, gigantesques, semblaient murmurer en une langue oubliée. Shelby sentait son cœur battre plus fort. Une tension étrange l’habitait, comme si chaque pas la rapprochait d’une vérité qu’elle redoutait. Brade s’arrêta soudain devant une falaise étroite dissimulée par des buissons touffus. D’un geste fluide, il écarta les feuillages, révélant l’entrée d’une grotte obscure, creusée dans la roche comme une bouche béante. — C’est ici, dit-il. Shelby hésita. — Qu’est-ce que c’est ? — La Crypte de
Le ciel de Sunstown semblait s’être assombri depuis quelques jours, comme si la nature elle-même pressentait les changements à venir. La ville, pourtant animée d’ordinaire par les rires des enfants et les allées et venues des habitants, paraissait figée dans une attente invisible. Shelby, quant à elle, vivait chaque minute comme un entre-deux : entre ce qu’elle avait toujours cru être, et ce qu’elle soupçonnait devenir. Le souvenir de son accident de voiture restait vif, presque trop net. Elle se revoyait au volant, la pluie sur le pare-brise, les phares dans la nuit, le choc. Et ce regard. Celui de Brade. Féroce. Fuyant. Humain et pourtant... autre. Depuis qu’elle l’avait recroisé à l’hôpital, quelque chose s’était réveillé en elle. Une sensation étrange, comme une vibration intérieure chaque fois qu’elle était près de lui. Comme si leurs âmes parlaient un langage ancien, oublié. Ce matin-là, Shelby s'était levée plus tôt que d’habitude. La veille, Brade lui avait glissé un mot da
Le couloir du centre médical de Sunstown résonnait d’un calme étrange. L’écho des pas de Shelby résonnait sur le carrelage blanc, presque solennel. Elle avait dû insister auprès de ses parents pour venir. Son père n’était pas d’accord. Sa mère, silencieuse, n’avait rien dit, mais son regard parlait pour elle : Tu veux affronter la vérité ? Alors regarde-la en face.Elle s'arrêta devant la porte 203. Derrière, le jeune homme qu’elle avait heurté.Cela faisait maintenant trois jours. Trois jours que son monde s’était écroulé. Trois jours de révélations, de malédictions, de visions étranges et de sensations incontrôlables. Trois jours de silence.Et pourtant, dans le chaos, une question ne cessait de hanter son esprit : qui était-il ? Et pourquoi, depuis cette nuit-là, elle se sentait étrangement… liée à lui ?Shelby inspira profondément, puis frappa doucement à la porte.— Entrez.Sa voix.Elle entrouvrit lentement. La lumière tamisée révélait une silhouette assise sur le lit, torse nu,