LOGINJe reconnais son retour avant même d’entendre les pas. La cour déborde de voix, de rires forcés, de fer qui s’entrechoque, mais son odeur fend le brouillard comme une lame : résine, sueur, peau chaude, cette note intime que ma langue retrouve chaque nuit où il a le temps d’être à moi. Mon corps réagit avant mes yeux. Ma nuque chauffe, mes épaules se détendent, mon ventre se serre.La porte s’ouvre trop vite, le courant d’air fait vaciller la flamme. Kaël surgit, referme derrière lui du plat de la main, comme s’il avait peur que le monde entier s’engouffre après lui. Son regard accroche le mien, et tout le reste disparaît.- Elina.Il traverse la pièce en trois pas. Ses doigts se referment sur ma taille, m’attirent contre son torse. Sa bouche prend la mienne sans préambule. Le baiser a le goût de neige et de fatigue, une morsure qui relâche d’un coup la tension que je traîne depuis des jours. Sa main remonte le long de ma colonne, se cale au creux de ma nuque, là où la marque vibre. Un
La guérisseuse m’a demandé de venir tôt. Trop tôt pour que Kaël ait quitté le lit. Il dormait encore, un bras jeté sur le drap où mon corps avait reposé quelques minutes plus tôt. Sa respiration soulevait le torse, régulière, chaude. J’ai hésité à le réveiller. Une part de moi voulait qu’il m’accompagne, qu’il sente ce que je portais dans la gorge depuis des jours. Une autre voulait comprendre d’abord, seule, sans ses yeux qui voient tout.Nuit Claire gazouillait faiblement contre ma clavicule, les yeux encore collés de sommeil. Je le bordai dans l’écharpe, puis sortis, pieds nus sur les planches froides, le cœur battant à un rythme qui n’appartenait qu’à moi.La guérisseuse vivait en retrait, près du grand pin creux. Une fumée pâle s’échappait de son toit de mousse. Elle m’attendait déjà, assise sur un banc, un bol de vapeur entre les mains.- Entre, Elina.Elle ne leva même pas les yeux vers moi. Son ton était celui de quelqu’un qui savait déjà ce que j’allais dire avant que je le d
Nuit Claire se remet à pleurer au milieu de la nuit, comme si son petit corps contenait une marée trop vaste pour lui. Les premiers sanglots sont timides — un souffle coupé, un couinement bref — puis la tempête arrive d’un seul bloc. Je m’assois d’un mouvement brusque, encore engourdie par les dernières secondes de sommeil. J’effleure son front trempé. Il se cambre, poings serrés, regard embué de peur plus que de douleur.- Hé… je suis là, mon cœur. Je suis là.Mes mots flottent dans l’air, inutiles, incapables d’atteindre ce qui le déchire. Kaël dort encore, dos tourné, bras replié sous sa tête. Je sais qu’il se réveille au moindre bruit de la meute, mais les pleurs de son fils le laissent parfois une seconde de répit avant de le tirer du sommeil.Je berce doucement Nuit Claire, le presse contre mon sternum, laisse sa joue glisser sur ma peau. Il s’agrippe à la couture de ma tunique, tremble, sanglote, respire en hoquets courts qui font vibrer son torse minuscule.C’est la cinquième
Il a commencé par froncer les sourcils.Nuit Claire était assis sur la peau près du feu, ses pieds nus bien à plat, les doigts occupés à tordre une lanière de cuir. Il ne parlait pas encore beaucoup, ses phrases tenaient en deux ou trois mots, mais son regard, lui, en disait des pages. Ce matin-là, Talan et Faël discutaient près de la porte à propos d’un piège mal refermé. Le ton restait poli, les mots choisis, pourtant l’air s’épaississait à chaque échange.Mon fils s’est figé. Ses mains se sont immobilisées sur la lanière. Sa petite poitrine s’est mise à battre trop vite, comme si on lui serrait les côtes. Il a tourné la tête vers les deux guerriers, et ses yeux d’argent ont accroché leurs silhouettes. Puis il a poussé un son étrange, ni rire ni sanglot, un gémissement contrarié, et il a ramené brusquement les genoux contre lui.Avant même que j’ouvre la bouche, Faël a lâché :- Laisse tomber. On verra ça plus tard.Talan a marmonné une réponse, mais ses épaules se sont relâchées. L
Les jours suivants ont eu la lenteur des neiges qui ne fondent pas. Je remplissais ma part : nourrir Nuit Claire, répondre aux anciens, vérifier le couloir des humains, sourire quand il le fallait. Dès que les tâches le permettaient, je me repliais dans l’angle sombre de la Maison, là où la lumière glisse sur les planches sans vraiment les atteindre. Mon fils contre moi, une tisane oubliée à portée de main, j’écoutais le silence comme on écoute un vieil ennemi.Kaël acceptait ce retrait avec une patience qui me blessait presque. Il tournait autour comme un loup qui respecte un cercle de braises. Sa main entrait parfois dans mon champ : un bol de soupe posé près de moi, un manteau sur mes épaules, un contact bref au passage de ses doigts sur ma nuque. D’autres soirs, lorsqu’il me croyait endormie, je le sentais s’adosser au pied du lit, simple masse de chaleur veillant sur moi. Mon corps le réclamait, ma peau se tendait vers lui dès qu’il approchait, mais mes pensées avaient besoin de
Je lui ai demandé de rentrer avant même que le soleil ne touche la crête.Pas un ordre. Pas même une supplication. Un appel nu, sans parure, lâché dans le lien comme on jette une corde vers un rocher lointain.Kaël. Rentre.La marque s’est mise à vibrer contre ma nuque, longue pulsation lourde, puis un choc bref, comme son cœur qui bute. Il ne m’a pas demandé pourquoi. Il n’a pas répondu avec des mots. Je n’ai senti que le basculement de sa décision : détente, rupture, demi-tour. Les jeunes Alphas resteraient une demi-journée de plus sans lui. Moi, je ne resterais pas une nuit de plus sans sa peau.Nuit Claire dormait enfin, luisant de sueur douce, lové dans le creux des bras d’Arna. Elle avait renversé la couverture sur son ventre, tiré la chaise près du feu, décidé pour moi.- File te laver la figure, avait-elle dit au milieu de la nuit. Quand il reviendra, tu veux qu’il voie les dégâts ou la femme qui se tient encore debout ?Je n’avais pas répondu. J’avais plongé les mains dans l’







