Les acclamations montent, d’abord rugueuses, puis gonflées, jusqu’à frôler l’excès. Le cercle entier, nos torches encore fumantes, nos veilleurs aux bras raidis par l’effort, nos jeunes qui n’avaient jamais vu une trêve suspendue au fil d’un souffle, tout se mêle dans ce cri brut qui refuse de mourir. La pluie continue, mais elle ne noie rien : elle dilue le sang, elle ravive la boue, elle souligne chaque visage. Je suis debout au centre, mon épaule bandée à la hâte, mon flanc qui brûle, et pourtant mon corps tient comme si la douleur était une armure.Kaël s’avance, malgré Myra qui lève les bras pour l’en empêcher. Il n’écoute pas. Ses yeux cherchent les miens, et je ne vois plus la foule. Son pas est lourd, mais il me fend le tumulte, jusqu’à ce que sa main trouve ma nuque. Le contact est bref, mais suffisant pour rallumer la fièvre qui me traverse toujours lorsqu’il m’effleure. Les voix autour s’effacent. Nous sommes deux dans une arène de mille.Je sens son souffle contre mon fron
La pluie tombe en lames fines, glacées, capables d’émousser un cri. Les cordes du cercle luisent, tendues entre des piquets qui s’enfoncent à chaque minute. La terre a perdu son nom : c’est de la pâte, une gorge de boue prête à avaler les chevilles distraites. Des torches têtues tiennent, d’autres expirent dans un soupir fumant. Autour, les silhouettes s’étirent comme des ombres pressées de ne pas exister. L’arène sent le fer, la glaise et la salive des bêtes.J’avance. La boue aspire mes bottes au cou-de-pied, relâche, aspire encore, comme une bête jalouse. En face, Vahr déroule sa carrure, épaules de roc, regard d’ambre trouble. Sa lame courte décroche une ligne d’eau sur l’air. Il ne parle pas. Moi non plus.À la lisière, Kaël se tient debout malgré la douleur que Myra veut garder couchée. Son bandage a pris la pluie, mais sa nuque demeure droite. La marque chauffe contre ma peau, tambour sérieux. Sa pensée touche la mienne, nette malgré le grain de l’averse : Reste exacte. Ne donn
Rivan est revenu sous la pluie, un fil de boue sur la joue, la bouche bleue de froid. Il a passé la palissade comme on franchit une frontière intérieure, à bout mais entier. Les veilleurs ont sonné, le camp s’est resserré autour de lui. Il a mis un genou à terre devant la pierre centrale, et sa voix, râpeuse, a porté sans crier.- Ils acceptent.Le silence a pris tout. Myra lui a jeté une toile sur les épaules. Faren s’est avancé d’un pas. Eldran a levé le menton. Orvand a plissé son œil pâle. J’ai attendu, cape serrée, les mains ouvertes.- Sept jours sans feu contre les toits, a poursuivi Rivan, et passage aux blessés. Échange de prisonniers au troisième. Mais... une condition.Les mots ont pesé plus lourd que la pluie.- Un combat rituel. Toi, Luna, contre leur champion. Au troisième soir, sous la lune safranée. Premier sang ou immobilisation. Pas de morsures. Deux cercles, deux hérauts. Ils ont dit : refuse, et la trêve est cendre.Je l’ai regardé. Son regard ne fuyait pas, malgré
Je le retrouve avant l’aube. Sa trace hésite, reprend, hésite encore, puis s’aligne comme si un poids quittait son épaule pour se poser sur la pierre. La toile de l’abri s’est refermée derrière moi sans un bruit. Le camp respire bas. Les veilleurs me voient passer et ne m’arrêtent pas. La rivière parle plus loin, roulement sourd qui polit la nuit. J’avance pieds nus, pour préserver le peu de silence qui nous reste.Il est là, face au courant, assis sur la langue de roche. Le dos offre une pente calme. Ses mains reposent sur ses genoux, ouvertes, vides. Je m’approche jusqu’à sentir la chaleur qui traverse sa tunique. Je ne l’appelle pas. Je ne demande rien. Je pose ma tête contre son dos avec un soin d’artisane, exactement à l’endroit où la colonne cesse d’être os et devient souffle.Son corps se redresse d’un millimètre, comme si la pierre s’était agrandie juste assez pour nous porter deux. Je ferme les yeux. Son odeur mêle l’herbe des pansements, la peau lavée trop vite, et cette not
Je la laisse dormir. Sa main garde la chaleur de ma place, comme si mes os y avaient laissé un souvenir. La marque bat, discrète, contre ma peau. J’écarte la toile, la nuit me prend aux chevilles, une fraîcheur de glaise et d’eau remuée. Deux veilleurs m’aperçoivent, inclinent la tête. Je n’explique rien. Le camp respire bas, comme un corps fatigué qui ne veut pas réveiller sa douleur.La rivière appelle sans nommer. J’emprunte le sentier qui s’affaisse entre les saules, j’évite les pierres qui roulent, je retiens mon souffle pour écouter celui du courant. Les jarres, au loin, renvoient un croissant blafard. Un chien lève une oreille puis renonce. Dans ma cuisse, la flèche d’hier n’est plus qu’un fil de fièvre, bêtement fidèle. Je descends jusqu’à la langue de roche, et l’eau s’offre avec son odeur de métal, de feuilles, de pluie ancienne.Je m’accroupis. Mes doigts s’ouvrent, se referment. Je n’ai pas de phrase prête, juste ce poids qui s’est tassé sous le sternum, tait ses griffes l
Je n’ai pas attendu qu’on m’invite. L’air sentait l’argile et la graisse d’armes. Kaël reposait, la fièvre en retrait, et sa pensée m’avait frôlée : Fais ce que tu dois. J’ai franchi le seuil du cercle, la cape au bras.Les bancs étaient pleins. Eldran près de la pierre d’angle, Faren droit comme une lance, Hadrik aux côtés des rétifs, Orvand voûté au bord du feu. Des voix basses traînaient encore, lourdes d’impatience.- Je propose une trêve, ai-je dit. Sept jours.Le silence a pris corps. Puis des souffles rudes, des regards durcis.- Sept jours pour éteindre nos toits, déplacer les familles, compter les vivres, doubler les fossés. Sept jours sans feu sur la fourrure, sans torches contre les maisons. Nous envoyons un messager avec ces deux conditions. Qu’ils les rompent, nous rompons l’accord aussitôt.- Tu leur offres du champ, gronda quelqu’un.- Je gagne du temps, ai-je répondu. Ce temps nous manque plus que des discours. Nous avons une pâte contre leur braise, des jarres à rempl