Je les ai vus arriver de loin. Deux silhouettes dignes, droites, enveloppées dans ces étoffes sombres que seuls les anciens osent encore porter. Leurs gestes étaient précis, sans hâte, et pourtant tout chez eux évoquait l’autorité, le respect. Les parents de Kaël.J’ai cru que mes jambes allaient m’abandonner.Il m’avait peu parlé d’eux. Quelques bribes seulement, entre deux silences. Ce qu’ils avaient traversé, ce qu’ils avaient perdu, ce qu’ils attendaient de leur fils unique. Et maintenant qu’ils étaient là, face à moi, je comprenais mieux pourquoi il n’avait jamais osé vraiment les évoquer.La mère m’a observée sans sourire, son regard profondément ancré dans le mien. Aucun jugement apparent, juste une lecture froide, comme si elle cherchait à vérifier ce que son fils avait vu en moi. Le père, lui, n’a rien dit pendant de longues minutes. Il m’a simplement contournée, comme s’il voulait sentir ce que je dégageais au-delà de ma peau.La sœur de Kaël s’est approchée sans attendre. E
Je n’ai pas fermé l’œil.Le ciel n’avait pas encore viré au gris que mes pensées cognaient déjà contre les parois de mon crâne. Mon souffle était régulier, mais l’agitation sourde sous ma peau trahissait l’impatience. Il y avait une faille quelque part. Un détail qui m’échappait. Et je détestais cette sensation.Depuis notre arrivée dans la région, mes sens s’étaient affinés à un point presque dérangeant. Les bruits lointains me parvenaient avec une netteté désarmante, les odeurs s’entremêlaient comme des courants d’air vivants, et parfois… je percevais des choses qui ne m’appartenaient pas.Des souvenirs qui ne venaient pas de moi.J’en étais venu à croire que ma transformation incomplète, tardive, trouvait ses racines dans mes années passées hors de ce monde. Mes instincts avaient été bridés trop longtemps par une éducation trop humaine, trop sage, trop ciselée. J’avais dû tout désapprendre pour ressentir. Et aujourd’hui, ce sang ancien en moi s’éveillait en vagues brutales, comme u
Des mains chaudes se sont tendues vers moi. J’ai vu les regards changer, se détourner de l’ennemi à terre pour se poser sur moi avec une intensité nouvelle. Je me tenais droite, les jambes fébriles, le souffle arraché par l’effort, mais quelque chose dans l’air avait basculé.Kaël n’a rien dit.Il m’a prise par la taille, sans un mot, et m’a guidée hors du cercle. Ma peau collait sous mes vêtements, mes muscles hurlaient, et malgré la chaleur de son bras, je tremblais. Il m’a assise contre une pierre, à l’abri des regards, puis s’est accroupi devant moi, le visage contracté.- Tu n’aurais pas dû continuer, a-t-il dit en posant sa main sur mon flanc.J’ai froncé les sourcils pour contenir la douleur. Un filet de sang me glaçait la hanche. Le moindre mouvement m’arrachait un gémissement, mais je refusais de le laisser sortir.- Ils me reconnaissent, maintenant. Ça valait chaque hématome.Kaël a levé les yeux vers moi, brûlants d’un feu qu’il retenait à grand-peine. Il n’a pas souri. Il
Des murmures persistants flottaient depuis l’aube, portés par des voix qui s’écrasaient contre les murs avant de mourir dans les angles. Personne ne parlait à voix haute, mais les regards disaient tout. Quelque chose grondait sous la surface, et chaque battement de cœur semblait plus tendu que le précédent.Kaël avait réuni les siens dans la salle des décisions, un espace voûté qui résonnait du poids des générations passées. Je restais à l’écart, le dos appuyé contre la pierre froide, observant les échanges sans intervenir. Les mots se heurtaient, s’entrechoquaient, construisaient un mur d’angoisse.- Ils ne viennent pas par hasard, dit un ancien, les mains croisées. Ils flairent une faille.- Ce n’est pas une faille, grogna Kaël. C’est une provocation.Il me jeta un regard, fugace. Juste assez pour m’embraser le ventre. Je lisais dans ses yeux la colère sourde, et une peur plus insidieuse : celle d’être impuissant face à ce qui se dessinait dans l’ombre.Une meute. Une autre. Connue
Il faisait mine de lire un vieux livre étalé devant lui, mais ses doigts trahissaient le tumulte intérieur qu’il tentait de contenir. Une plume à la main, le regard en suspens, Kaël fixait le vide, les traits tendus. Je l’observais depuis un moment sans oser interrompre ce silence étrange, presque sacré.Puis il traça un premier trait.Je crus d’abord qu’il griffonnait pour s’occuper les mains, mais à mesure que la plume glissait sur le papier, une forme apparut, esquissée avec une douceur que je ne lui connaissais pas. C’était mon profil. Mon regard, posé ailleurs, mon cou légèrement tourné, mes cheveux détachés, vivants sous sa main.Il me dessinait.Sans bruit, je m’approchai, les bras croisés contre ma poitrine. Il ne leva pas les yeux. Son trait s’affinait, précis, habité. Chaque ombre, chaque courbe semblait être le reflet d’une émotion qu’il n’arrivait pas à nommer. Un battement de cœur jeté sur le papier.- Tu m’espionnes ? souffla-t-il, sans s’arrêter.- J’écoute le silence q
Je me tenais face à lui, pieds ancrés dans le sol battu, les poings légèrement tremblants. Non pas de peur, mais de concentration pure. L’Alpha qui me faisait face n’était ni arrogant ni condescendant. Il avait cette retenue propre aux vrais guerriers, et ses yeux d’ambre semblaient sonder au-delà de ma posture, jusque dans ma volonté.- Tu es prête ? demanda-t-il simplement.Je hochai la tête. Le signal fut donné, et tout bascula dans un tourbillon de réflexes, d’élans maîtrisés, de feintes et de fulgurances. Je ne pensais plus. Mon corps réagissait, mes muscles guidaient l’instinct, ma louve respirait sous ma peau. Le combat dura plus longtemps que ce que je pensais. Il ne m’épargna rien. Et moi non plus.Quand nos bras s’empoignèrent pour une dernière projection, nous tombâmes ensemble, dos contre le sol, l’un contre l’autre, haletants, à bout de force.Un silence glissa sur la clairière.Puis il se redressa le premier, tendit une main vers moi, et ses lèvres esquissèrent un demi-so