Raconté par Selene
Le froid de la brume m’enveloppait comme une seconde peau, glaciale et lourde. Mes pas crissaient à peine sur le sol humide tandis que je m’éloignais du lieu de la rencontre. Derrière moi, le silence de mes guerriers résonnait plus fort que n’importe quelle parole. Chacun d’eux avait vu ce qu’il s’était passé. L’apparition d’Elias. Son regard. Son aura. Mais aucun n’avait osé dire son nom. Pas même Kael. Je sentais leur tension dans leur souffle, leur question dans chacun de leurs pas retenus. Pourtant, personne ne parlait. Parce qu’ils savaient que si je rompais le silence, tout ce que je contenais éclaterait à la surface. Et je n’étais pas prête. Je n’étais pas prête à parler de ce lien. De cette brûlure ancienne, sauvage, viscérale, que j’avais senti exploser en moi quand nos regards s’étaient croisés. Alpha Elias. Je l’avais reconnu à l’instant même où son odeur avait effleuré mes sens. Vanille, cendres, bois brûlé. Une empreinte qui ne m’avait pas quittée depuis. Mon corps l’avait reconnu avant moi. Ma louve encore plus vite. Nyra avait bondi, prête à le rejoindre. Et moi… moi j’avais lutté. Chaque fibre de mon être hurlait cette vérité. Cet homme… ce roi… était mon compagnon. Et lui n’avait pas dit un mot. Pas un sur ce lien. Pas un sur moi. Il avait observé. Il avait étudié. Et il était reparti. Ce silence… c’était une trahison. Pas parce qu’il m’avait rejetée. Mais parce qu’il n’avait rien fait. Et c’était ça le plus dur. Ce n’était pas de l’ignorance. C’était un choix. Une retenue maîtrisée. Je sentais encore la morsure de ses yeux sur ma peau. Ce regard de tempête, gris argent, chargé de contrôle et de pouvoir. Je l’avais vu se battre contre son loup. Je l’avais vu lutter… mais sans jamais vaciller. Il n’était pas venu m’interroger. Il était venu voir. Et il avait vu. Et ça m’avait suffoquée. Un craquement sur ma gauche me tira de mes pensées. Kael, toujours à mes côtés, ajustait sa veste d’un geste nerveux. Il n’avait toujours rien dit depuis la rencontre. Mais je savais qu’il brûlait de questions. Je m’arrêtai. Il s’arrêta aussi, lentement. — Mais qu’est-ce qui s’est passé, Selene ? demanda-t-il, les sourcils froncés. — Rien d’utile à raconter. — Tu veux vraiment que je fasse semblant de ne pas avoir vu ? Cette rencontre t’a... déstabilisée. Je restai droite, les yeux devant moi. — Peut-être. Ou peut-être qu’elle m’a simplement rappelé que je dois revoir ma stratégie. Kael ne répondit pas, mais je sentis qu’il comprenait. Il n’insista pas. Il n’avait pas besoin d’en savoir plus. Pas maintenant. Il finit par murmurer : — Tu veux qu’on continue jusqu’au Conseil ? Je m’arrêtai. L’air me parut plus lourd, plus lent. — On rentre. Kael fronça les sourcils. — Tu abandonnes la rencontre ? Je le regardai droit dans les yeux. — Non. Je la reporte. Ce qu’ils veulent, c’est que je réagisse. Que je vienne à eux dans l’urgence, dans la tension. Mais ce sera moi qui déciderai du moment. Je ne leur donnerai pas la suite. Pas tout de suite. Il hocha lentement la tête, respectant mon choix sans insister. Nous avons tourné les talons. La clairière derrière nous s’effaçait lentement dans la brume. — Le retour fut silencieux. La forêt défilait, familière mais différente. Nyra bougeait sous ma peau, toujours agitée, comme si quelque chose avait été réveillé en elle. Mais elle ne parlait pas. Elle attendait. Comme moi. Quand Ravaryn apparut au loin, une tension se dénoua en moi. Les premières maisons, les odeurs, les silhouettes familières. Ma meute. Ils n’avaient aucune idée de ce que je venais d’affronter. Ni de ce que je ramenais avec moi. Une certitude. Un trouble. Et une décision à prendre. À peine franchie la porte du QG, Lenn s’approcha. — Tu veux que j’organise une réunion ? demanda-t-il. — Pas encore. Donne-moi une heure. Il hocha la tête. Je montai les marches. Chaque pas m’éloignait du chaos d’Halvaren. Et me ramenait à ce que j’étais. Une Alpha. Je refermai la porte derrière moi. Dans le miroir, je me vis : droite, tendue, vivante. Je posai la main sur ma poitrine. Là où le lien vibrait encore. Elias. Je ne pouvais pas l’ignorer. Mais je pouvais choisir. Et je choisirais ce que j’ai toujours été : une Alpha. Avant tout. Malgré tout.Raconté par SélèneLa paroi était froide sous mes doigts. Rugueuse, à peine creusée dans la roche. Chaque pas nous enfonçait plus profondément dans les entrailles de Halvaren, au cœur de l’ancienne forteresse du Conseil. Aucun mot n’avait été prononcé depuis l’entrée. Seuls les frottements discrets de nos bottes et les échos de l’eau souterraine rythmaient notre avancée.J’étais au centre de notre formation. Elias me suivait de près. Kora ouvrait la voie, Kael fermait la marche. Riven, ainsi que les autres membres venus pour cette mission, nous accompagnaient, leurs pas silencieux mais attentifs. L’air devenait plus dense, chargé d’une énergie ancienne, à la fois familière et oppressante. Halvaren n’était pas un simple siège. C’était une mémoire gravée dans la pierre, un avertissement pour ceux qui l’avaient oublié.Et moi, j’étais une faille dans ses fondations.La dernière porte céda dans un souffle discret. La salle était circulaire, enfouie sous plusieurs niveaux, éclairée par des
Raconté par Elias La carte était déroulée au centre de la table. La lumière vacillante de la lampe projetait sur les contours des vallées des ombres mouvantes. — On passe par les creux de Lauvre, indiquai-je. On évite les routes principales. Ce chemin longe la faille jusqu’au versant sud-ouest de Halvaren. Pas de sentinelles connues, pas de marquage récent. Kora ? — C’est praticable, confirma-t-elle. Étroit, mais stable. Il faudra marcher à flanc pendant plusieurs heures, mais ça tient. — Parfait. Une fois sur place, notre priorité est d’atteindre le flanc sud sans déclencher d’alerte. Si on peut éviter toute confrontation jusqu’au contact, on le fait. Je posai l’index sur le point le plus proche de la zone fortifiée. — Maelis. C’est lui que je veux voir. Il n’est pas du genre à exécuter sans réfléchir. Il connaît le terrain, il connaît les équilibres. Il a servi sous mon père. Il sait ce que signifie maintenir la balance, pas l’écraser. Riven croisa les bras. — Et s’il ne veut
Raconté par Sélène Le silence s’était figé dans la chambre d’Elias, pesant, comme suspendu au bord d’un choix. Kael, Ina et moi étions debout, toujours sous le choc de ce que nous venions d’apprendre. Ravaryn encerclée. Isolée. Menacée. Et nous, à des kilomètres, tenus à distance par une stratégie que nous ne comprenions pas encore. Je sentais Nyra vibrer dans mon esprit, tendue, prête à bondir. Son agitation me donnait la nausée. Elle n’aimait pas attendre. Moi non plus. Elias, jusque-là resté en retrait, prit la parole, calme mais tranchant : — Il est temps de réfléchir. Venez, j’ai besoin de vous montrer quelque chose. Il se dirigea vers la porte sans attendre. Kael échangea un regard avec moi. Je hochai légèrement la tête. Il comprit. Nous le suivîmes à travers les couloirs. La lumière du jour filtrait encore à travers les hautes fenêtres, mais rien n’éclairait l’atmosphère tendue qui nous enveloppait. Nous descendîmes deux étages jusqu’à une aile plus ancienne, plus isolée.
Raconté par Sélène Quand Elias referma la porte, le silence s’installa, dense et nerveux. Nyra frémissait sous ma peau. Quelque chose vibrait dans l’air. Une tension sourde, pesante, presque prémonitoire. Je restai là, droite, immobile. Une part de moi savait. L’instant de répit était terminé. La porte s’ouvrit sans frapper. Kael entra d’un pas vif, suivi d’Ina. Tous deux portaient cette tension dans le regard, celle qui ne ment jamais. — Tu dois te lever, dit Kael sans détour. C’est urgent. Mon cœur se contracta. J’attrapai le premier vêtement à portée de main — un pull léger — et me relevai. — Qu’est-ce qui se passe ? Kael referma derrière lui. — Ravaryn est encerclée. Je le fixai, figée. — Quoi ? — Le Conseil a envoyé des guerriers, répondit Ina. Ils se sont postés sur toutes les limites de notre territoire. Pas d’émissaire. Pas d’annonce officielle. Juste… le silence et les armes. Je sentis mes jambes se raidir. — Depuis quand ? — Ce matin. Très tôt.
Raconté par Elias Je la sentis avant qu’elle ne parle. Sa présence, fragile mais brûlante, tremblait dans l’air, comme une flamme couvée trop longtemps. Nyra… vivante. Repliée mais pas brisée. Et elle… Sélène… elle était là. Présente. Entière. Je restai au seuil. Le silence était dense, presque sacré. Chaque muscle en moi criait de rester là, d’observer, de la garder à distance. Mais mes pieds avançaient. Je m’assis au bord du lit. Je ne la touchai pas. Pas encore. Parce que je savais. Qu’un seul contact suffirait à rompre ce qu’il me restait de contrôle. Elle était déjà éveillée. Son regard était tourné vers moi. Comme si elle m’attendait. Et dans ses yeux, je vis la fatigue. La douleur. Mais surtout cette lumière crue et inaltérable. Ce feu qui ne cède jamais. — Tu ne dors jamais ? Sa voix. Râpeuse. Sincère. Mon sourire ne monta qu’à moitié. Mon regard, lui, ne pouvait pas mentir. Elle savait. Et je sentais que cette fois, elle ne me laisserait pas fuir. — Tu es venu com
Raconté par Sélène Je me suis réveillée sans savoir combien de temps s’était écoulé. La pièce était calme. Trop calme. Pas de voix. Pas d’agitation. Juste ce vide… et pourtant, quelque chose vibrait en moi. Faiblement. Comme une présence qui remontait lentement des profondeurs. J’ai posé une main sur ma poitrine. Nyra. Ma louve. Elle était là. Distante, brisée… mais vivante. Un souffle. Une lueur. Je la sentais se lover dans mon ventre, comme une bête blessée trop longtemps restée silencieuse. Elle ne parlait pas encore. Mais sa chaleur me réchauffait. Comme si elle essayait, malgré tout, de me dire qu’elle revenait. Qu’elle n’avait pas disparu. Et puis… je l’ai senti. Avant même qu’il ouvre la porte. Elias. Comme une secousse dans l’air. Un frisson sur ma peau. Mon cœur s’est mis à battre plus fort — pour lui, et à cause de lui. Un appel. Une vibration magnétique. Un instinct. Il est entré sans bruit. Il s’est arrêté quelques secondes au seuil. Son regard s’est posé sur moi