Chapitre 5
L’odeur de la sauce claire et des épices flottait dans l’air, se mêlant aux éclats de voix et aux rires sous la véranda. Comme chaque dimanche, la famille Aka se réunissait pour un grand déjeuner après la messe à la paroisse Saint-Pierre de Niangon. Ce rituel, ancré dans les traditions familiales, était censé être un moment de partage et de légèreté. Mais pour Samira, c’était surtout une épreuve.
Assise entre son frère Aymeric et son épouse Marianne, elle faisait tournoyer son verre de bissap, le regard perdu dans le liquide écarlate. Elle savait que la tranquillité du repas ne durerait pas.
— Regarde-moi Edwige, soupira Mme Aka, en désignant sa nièce un peu plus loin. Radieuse, un bébé de six mois blotti contre elle. Une femme accomplie. Mariée, mère de famille… et toi, toujours là à faire la forte tête.
Le cœur de Samira se serra, mais elle inspira profondément avant de répondre.
— Maman…
— Ne me dit pas « maman »! Tu comptes rester seule toute ta vie ?
Aymeric leva les yeux au ciel, anticipant déjà la suite.
— Je ne suis pas seule, maman. Je suis divorcée. Ça veut dire que j’ai essayé, et que ça n’a pas marché. Fin de l’histoire.
— Justement ! s’exclama Mme Aka, haussant le ton. Un divorce, ce n’est pas une condamnation à vie ! Tu peux recommencer, tu es encore jeune.
Samira sentit une colère sourde lui brûler la gorge.
— Recommencer quoi ? À me sacrifier pour un homme qui ne m’a pas respectée ? À me forcer à être la femme idéale selon vos critères ?
Un silence gêné s’abattit sur la tablée. Quelques cousins échangèrent des regards furtifs, tandis qu’Edwige s’occupa soudainement du bavoir de son bébé.
Mme Aka croisa les bras, son regard perçant.
— Tu es trop exigeante, trop fière, trop orgueilleuse. Aucun homme ne te conviendra jamais si tu refuses de faire des compromis.
— Compromis ? répéta Samira, un rictus amer sur les lèvres. Tu veux dire m’effacer, tolérer l’intolérable ? Non, maman. L’infidélité n’est pas un simple faux pas. Ce n’est pas anodin.
— Tu es égoïste. Et les enfants, tu y as pensé ?
— Maman, on ne fait pas un enfant pour faire plaisir aux autres.
— Tu verras, le jour où tu seras vieille et seule dans ton grand appartement vide avec des chats, tu regretteras. « Le vieillard assis voit ce que le plus jeune ne peut voir même debout. » Tu le regretteras crois moi ! ton père doit se retourner dans sa tombe !
Samira sentit sa patience s’effriter. Son frère posa une main discrète sur la sienne, un geste silencieux pour l’apaiser.
— Maman, laisse-la respirer. Le mariage n’est pas une fin en soi, intervint Aymeric.
— Facile à dire pour toi ! répliqua Mme Aka avec amertume. Les hommes ont toujours le luxe de choisir. Nous, on doit se dépêcher avant qu’il ne soit trop tard.
Samira soupira, exaspérée.
— Je refuse de subir la même pression que toi, maman. Je suis bien comme je suis.
Elle se leva avec son assiette et s’éloigna vers le jardin, laissant derrière elle un silence tendu.
Quelques instants plus tard, Aymeric la rejoignit, une assiette de fruits à la main.
— Tu veux en parler ? demanda-t-il en lui tendant un morceau de mangue.
— Je connais déjà ton discours : « Maman est comme ça, il faut l’accepter, patati, patata… »
— Non. Aujourd’hui, j’avais envie de parler d’autre chose.
Samira haussa un sourcil.
— Comment ça va au boulot ?
— Plutôt bien. J’aurais peut-être une promotion d’ici peu, répondit-elle, un sourire en coin.
— Félicitations, petite sœur.
Elle mordit distraitement dans un morceau de papaye avant de lâcher, pensive :
— Tu connais Franck, le « frère » de Malick ?
— Bien sûr, pourquoi ?
— Il m’a fait comprendre que je devrais éviter Malick, comme si notre entente pouvait me porter préjudice.
Aymeric grimaça.
— Ces deux-là ont toujours été à couteaux tirés. L’épouse de Franck est l’ex de Malick. Et puis, Malick a beau prétendre qu’il se fiche des affaires familiales, il siège au conseil d’administration de la BSA et il a un master en finance.
— Attends…
— Le vieux Touré tarde à confirmer Franck au poste de Directeur Général. Tout laisse à croire qu’il préférerait que son fils prenne la relève.
Samira fronça les sourcils, digérant l’information.
— Je comprends mieux.
Un silence s’installa. Puis Aymeric la fixa avec un petit sourire.
— D’ailleurs, toi et Malick, vous avez fait la une de la presse… C’est comment ?
— Quoi ?
— Comment tu le trouves ?
Elle haussa les épaules, feignant l’indifférence.
— Arrogant. Égocentrique. Charmant aussi… mais il le sait trop.
Aymeric éclata de rire.
— Tu viens de résumer Abel-Malick Touré en une phrase.
Il s’interrompit, un sourire malicieux aux lèvres.
— Ne me dis pas que ton béguin de jeunesse pour lui est encore d’actualité…
— Pff, c’étaient des bêtises de gamine, balaya-t-elle d’un geste.
Elle détourna la tête, mais Aymeric la fixa, intrigué.
— Je te préviens, Malick est un électron libre. La seule femme qu’il chérit réellement, c’est sa grand-mère. Et tu sors d’un divorce éprouvant je n’ai pas envie que tu souffres davantage.
— Mais non rassure toi, actuellement je ne suis pas à la recherche d’une relation sérieuse. Malick serait une belle option pour avoir un peu de sensation forte.
Aymeric fronça les sourcils. Samira pouffa de rire :
— Je plaisante. Ne t’inquiètes pas. Malick m’a toujours vu comme une petite sœur.
Il marqua une pause avant d’ajouter :
— Ok. C’est mon ami et je le connais. Et il cache des blessures profondes sous son air de dandy.
Samira tourna lentement la tête vers lui.
— Des blessures ?
Aymeric hocha la tête.
Il a vécu une enfance compliquée. Ne te frottes pas à lui . Tu risque d’y laisser des plumes... Tu sais quand il est venu vivre dans notre quartier avec sa mamie, c’est parce que son père était souvent absent et sa belle mère lui faisait subir des sévices au vu et au su de Franck et Sonia. Une vraie marâtre digne des pires contes celle là ..jura t’il avant de poursuivre .Malick était livré à lui-même jusqu’à ce que sa grand-mère le récupère. Elle l’a élevé avec une rigueur et un amour qui lui ont permis de devenir l’homme qu’il est aujourd’hui. Dans le fond c’est un type bien.
— Donc, derrière son sourire arrogant et sa désinvolture, il y a une vraie douleur…
— Exactement. Mais il ne l’avouera jamais. Il préfère se perdre dans ses plaisirs éphémères plutôt que d’affronter ses démons.
Elle fit tourner son verre de bissap entre ses doigts, songeuse.
— Je comprends mieux certaines choses…
Aymeric la regarda, amusé.
— Tu es intriguée, avoue-le.
— Pas du tout. Mais disons que je le vois différemment.
Il éclata de rire.
— Ne le regarde pas trop différemment, hein. Rappelle-toi notre règle : on ne touche pas aux sœurs des amis.
Elle roula des yeux, un sourire flottant sur ses lèvres.
— Dit frangin, il faut qu’on aille voir Mami Chantal après.
— Bonne idée. Elle sera ravie de te revoir.
Samira hocha la tête, pensive. Peut-être était-il temps de renouer avec certains visages du passé… y compris celui d’Abel-Malick Touré.
Après un weekend si mouvementé, Samira se sentait rassuré derrière son ordinateur à la BSA. "Il ne faut pas mettre tous ses oeufs dans le même panier". Pour briser le plafond de verre au dessous de sa tête elle avait décidé de proposer un projet majeur à la direction générale. Elle comptait sortir des sentiers battus et ainsi les convaincre de ses aptitudes à occuper un poste de direction. Il s'agissait d'accroître les ressources en intégrant le secteur informel dans la bancarisation. C'était risqué, mais elles avaient faits des simulations, et cela en valait la peine. Pour avoir la validation du comité exécutif, son projet doit d'abord avoir l'accord de sa supérieure hiérarchique directe, Inès Kpan, et elle appréhendait sa réaction. Samira relut une dernière fois son mail, attacha le document du projet en pièce jointe, puis l'envoya. Il fallait qu'elle en discute avec Inès afin de la convaincre du bien fondé de son projet. Elle inspira longuement et se leva de son fauteuil. Le b
De retour chez lui Malick retrouva le calme légendaire de son appartement. Il soupira en refermant la porte, jeta un regard à sa chienne qui était à ses pieds. Elle tourna en rond, jappa légèrement, et renifla le tapis en soie comme si elle s’apprêtait à y marquer son territoire. — Tu n’as pas intérêt à bousiller ce tapis, murmura-t-il. Il coûte plus cher que ta gamelle pour l’année. Elle répondit par un jappement joyeux, remuant la queue. Malick roula des yeux. Il s’accroupit, l’observa un instant. Son poil était soyeux, ses yeux d’un noir brillant, pleins d’espièglerie. — Bon… il te faut un nom. Il hésita un moment, avant de murmurer : — euh Toupie. Ouais. Toupie, ça te va bien. Vu comme tu gigote dans tous les sens Elle jappa, ravie de son baptême. Il esquissa un sourire. Pendant qu’il allait chercher une vieille couverture pour lui faire un coin dans le salon, l'interphone sonna. Le concierge lui annonça une visite surprise. Il fronça les sourcils. Personne ne venait che
Ce week-end là, Samira avait donné rendez-vous à Malick, chez elle à sa résidence. Lorsqu'il reçut son message,dans une enveloppe noir avec à l'intérieur un mot et un pion blanc de jeu d'échecs : La dame.Le message disait ceci: 'Pour ce début de cette aventure, je t'ouvre les portes de mon intimité. Une surprise t'attend Tu ne me verras pas venir . Tu devras mettre la main à la pâte.S.A" Malick en était tout émoustillé. Elle voulait le recevoir chez elle, elle voudrait sans doute sortir le grand jeu de séduction. Ces derniers jours il partageait son temps entre Mami Chantal et son boulot. Il avait bien besoin d'une bonne partie de jambes en l'air, puisqu'il était devenu abstinent à cause du pacte qu'il y avait entre Samira et lui. Mais oserait il se laisser aller avec Samira ? Le gardien lui ouvrit la porte, et l'installa dans le séjour. Il y avait une musique entraînante. Il se demandait bien quelle tenue sexy, elle avait prévu pour se mettre en avantage pour ce premier rencard
Elle avait connu Elias, son ex époux à l'université. Elle était étudiante à l'Institut polytechnique et lui fraîchement sorti de cette brillante institution, revenait y donner une conférence. Ils avaient tout de suite accroché. Elias avait tout pour lui plaire: beau, attentionné, avenant. Il filait le parfait amour quand après deux ans, une belle opportunité professionnelle s'offra à lui, lui permettant de regagner son pays afin d'y occuper un poste influent. Il demanda Samira en mariage. Celle ci n'hésita pas une seconde à tout laisser tomber pour le suivre au Togo: ses propres ambitions professionnelles, ses amies, sa famille. Le mariage se fit rapidement et Samira et Elias s'installèrent à Lomé. Quelques mois plus tard Samira trouva un emploi dans une banque de la capitale Togolaise. Le couple filait le parfait amour. Samira s'adapta tant bien que mal à la famille ainsi qu'à l'entourage d'Elias. Durant la deuxième année de leur mariage le couple décida d'avoir un avis médical, puis
Le jardin du restaurant sur les hauteurs de Cocody baignait dans une lumière dorée. Le soleil amorçait sa descente, laissant sur les feuilles des arbres des reflets chauds et apaisants. Tout était calme, presque trop calme.Samira sirotait une eau gazeuse, la gorge un peu serrée. Face à elle, Abel-Malick, vêtu d’une chemise en lin couleur crème, la regardait avec cette intensité déconcertante qu’il maîtrisait à la perfection.—Alors, murmura-t-il en posant ses lunettes de soleil sur la table, on le signe, ce pacte ?—Pas un pacte, corrigea-t-elle. Un contrat. Avec des règles. Précises.Il sourit, amusé.—Très bien. Madame veut jouer aux dames ? Ou aux échecs ?—Aux échecs, répondit-elle sans hésiter. Chaque mois, je t’annonce qui je serai à l’aide d’un pion et d’un mot. Rien d’autre. À toi d’interpréter.—Et si je ne devine pas ?—Alors, tu perds l’avantage. Et moi, je gagne du terrain. Répondit-elle ,un sourire malicieux aux lèvres.Malick s’inclina légèrement, faussement solen
Il avait quitté sa maison cette nuit-là, hagard, le cœur serré, les souvenirs d’enfance resurgissant comme une tempête.À sept ans, il avait perdu sa mère. Une femme douce, lumineuse, dynamique qu’un accident de voiture avait emportée trop tôt. Il ne se souvenait que de son parfum et de la chaleur de ses câlins. Son père, effondré, avait rapidement épousé Hélène, croyant bien faire. Ce fut une erreur. Hélène n’était ni mère ni marâtre, elle était un poison lent, subtil, perfide.Elle lui infligeait des humiliations constantes, le punissait sévèrement pour des broutilles. L’enfermait dans le placard de la buanderie, l’obligeait à manger à part. Sonia et Franck, ses enfants à elle, régnaient dans la maison comme des petits rois, tandis que lui, l’héritier, le sang des Touré, grandissait comme un intrus dans sa propre demeure. Son père, lui était souvent absent, trop obsédé consolider le rêve professionnel qu’il avait chéri avec sa defunte épouse : la BSA. Le rêve d’être à la tête du ba