###Chapitre 4
La montre de luxe à son poignet affichait 22h47, lorsque Abel-Malick gara son bolide devant l’entrée d’un immeuble sobrement élégant aux Deux-Plateaux. La journée avait été interminable, rythmée par des réunions creuses et des sourires forcés. Il n’aimait pas ce monde… sauf quand il en était le centre d’attraction.
Il coupa le moteur et s’adossa à l’appui-tête, les paupières closes. Une fatigue pesante l’envahissait, mais ce n’était pas celle du corps. C’était celle de l’ennui.
Après quelques secondes, il ouvrit la portière et sortit.
L’ascenseur le mena directement à son appartement, au dernier étage de l’immeuble. Dès qu’il franchit le seuil, un silence feutré l’accueillit, seulement troublé par la lumière tamisée du salon. Une fragrance familière flottait dans l’air : un mélange subtil de bois de oud et d’orange amère.
D’un geste mécanique, il jeta ses clés sur la console et déboutonna lentement sa chemise en traversant la pièce. Chaque détail de son intérieur reflétait son goût pour le minimalisme : des lignes épurées, des couleurs sobres, un équilibre parfait entre luxe et discrétion. Direction le bar.
Il se servit un verre et s’installa dans un fauteuil en velours, faisant tournoyer lentement le liquide ambré entre ses doigts. Il porta le verre à ses lèvres sans boire, le regard perdu au-delà de la baie vitrée qui dévoilait une ville illuminée et vibrante.
« Abel-Malick Touré, 35 ans. Héritier sans attache. Homme de médias adulé. Le Chouchou des dames. »
Et pourtant, fondamentalement seul !
Il ne l’admettait pas à voix haute, mais certaines nuits, comme celle-ci, la solitude devenait plus palpable.
Son téléphone vibra sur la table basse. Un message s’afficha à l’écran :
Nina : « J’espère que tu ne m’as pas oublié… »
Il laissa échapper un soupir. Nina était une conquête récente. Brillante médecin, séduisante, indépendante. Le genre de femme qui comprenait les règles sans qu’il ait besoin de les expliquer.
Trois rendez-vous. Pas plus.
C’était la règle. Toujours.
D’un geste précis, il tapota une réponse brève. »Soirée chargée. Une prochaine fois. »
Il savait ce que cela signifiait pour elle. Ce n’était pas un report, mais une fin.
Sans regret, il reposa son téléphone et se massa les tempes. On le disait insensible, détaché. Il n’essayait même pas de corriger cette perception. « Mieux valait être perçu comme froid que comme vulnérable. »
Il vida son verre d’une traite et se leva, direction sa salle de sport privée. Quand le sommeil le fuyait, il préférait l’épuiser.
Alors qu’il s’échauffait devant le miroir, une image s’imposa à lui. Le regard de Samira Aka.
Intrigué. Parfois amusé. Parfois agacé. Mais toujours indéchiffrable.
Elle était différente. Pas parce qu’elle était plus belle ou plus intelligente—il avait connu tant de femmes exceptionnelles. Mais parce qu’elle ne cherchait pas à lui plaire.
Les femmes, il en avait croisé trop pour encore se laisser surprendre. Il les classait d’ailleurs en trois catégories :
1. Les groupies – fascinées par son statut et prêtes à tout pour exister dans son monde.
2. Les libertines – qui, comme lui, prenaient et partaient sans attache.
3. Les chasseuses de maris – les plus dangereuses, prêtes à jouer sur tous les tableaux pour l’amener à l’autel.
Samira… Elle, Il ne savait pas où la ranger.
Puis, il se ravisa. « Elle est la sœur de mon ami.
Et on ne touche pas aux sœurs des amis ».
C’était une règle tacite, un code entre hommes qu’il s’était toujours efforcé de respecter.
Il évitait également ses collègues femmes ou autres relations d’affaires féminines. Puisqu’elles, il seraient pratiquement impossible de ne plus les côtoyer.
Un sourire en coin effleura ses lèvres alors qu’il enfilait ses gants de boxe.
Samira ne l’avait jamais cherché. Jamais tenté de le séduire. Ce qui en faisait une véritable exception.
Il expira lentement, puis attrapa son téléphone. Il n’avait pas envie de passer la nuit seul à cogiter sur des courbes interdites.
Il fit défiler ses contacts et s’arrêta sur un nom familier : Sara.
Une groupie. Enthousiaste, dévouée, et surtout, prévisible.
Il composa son numéro.
Ce soir, il ne dormirait pas seul.
Chapitre 9Le bruit sec des talons d’Inès Kpan résonna dans l’open space, imposant un silence tendu à son passage. Depuis sa nomination en tant que Directrice d’exploitation, elle s’était appliquée à affirmer son autorité, et Samira était devenue sa cible privilégiée.Installée à son bureau, Samira feignait l’indifférence, les yeux rivés sur son écran d’ordinateur, alors qu’elle sentait déjà la présence oppressante d’Inès se rapprocher. Elle s’arrêta juste devant elle, les bras croisés, un sourire faussement courtois aux lèvres.— Mademoiselle Aka, où en est le rapport d’évaluation des agences ? Il devait être sur mon bureau ce matin.Samira leva lentement la tête, soutenant le regard de sa supérieure sans ciller.— Il est prêt. Vous l’aurez dans quelques minutes.Inès haussa un sourcil, visiblement agacée par le ton mesuré mais ferme de Samira.— Quelques minutes ? Ce genre de retard est inacceptable à ce niveau de responsabilité, Samira. Peut-être que vous n’êtes pas encore prête po
Chapitre 8Ce soir-là, Abel-Malick devait honorer le second rendez-vous d’une nouvelle conquête. Il l’avait rencontrée lors d’un événement qu’il animait. Ana était la parfaite groupie. Elle lui vouait une admiration proche de la vénération. Avec ce genre de femme, le scénario était déjà joué d’avance. Elle était très belle, ce qui n’était pas pour lui déplaire. Ces derniers temps, il n’avait réellement rien d’excitant à se mettre sous la dent. Il saurait se contenter d’Ana, sa conquête du soir. Il savait qu’il ne devrait pas fournir beaucoup d’efforts pour la séduire.Quelques anecdotes sur son métier et les stars qu’il côtoyait, quelques compliments savamment distillés, un air mystérieux… et le tour était joué.Ils avaient rendez-vous dans un bar prisé d’Abidjan. Ana aimait danser. Quoi de plus excitant que de sentir un corps voluptueux, ferme, onduler contre lui lors d’une danse, pour faire monter la température avant les choses sérieuses ?L’air était lourd, saturé d’un mélange de
Samira baissa la tête. Enfin, quelqu’un comprenait ce qu’elle avait traversé.— L’humiliation que tu as vécue t’a rendue plus forte, tu sais. Il faut du courage, du caractère, pour savoir dire stop quand il le faut, pour se relever après la chute, poursuivit Mami Chantal, posant une main douce sur celle de Samira.Samira ferma les yeux un instant, sentant une émotion qu’elle avait longtemps refoulée. Combien de fois avait-elle espéré recevoir une parole de réconfort de sa propre mère, mais hélas, cela n’était jamais venu._Non, ne soit pas triste, ma fille. J’ai voulu te parler, car je me reconnais en toi par moments. Tu as su transformer la douleur en force. Tu as fait de la limonade avec les citrons que la vie t’a offerts. Moi aussi, je suis divorcée.Samira releva la tête, étonnée.– Oui, à mon époque, les femmes n’avaient même pas le droit d’avoir un compte bancaire à leur nom. Tout passait par le mari. Nous étions sous leur tutelle, même pour Notre propre argent. Mon ex-mari, ce
Un mois s’était écoulé depuis la rencontre entre Samira et Abel-Malick chez Mami Chantal.C’était le jour J. pour Samira. Elle savait que ce moment décisif allait tout changer. Elle allait enfin connaître le verdict : serait-elle la nouvelle Directrice d’exploitation de la BSA ?Durant tout ce mois, elle n’avait ménagé aucun effort pour dépasser ses limites. Son objectif était simple, mais exigeant : collecter les ressources nécessaires et animer le réseau. Samira s’était donnée corps et âme dans cette mission. Elle n’avait pas hésité à aller sur le terrain, à se rendre dans chaque agence, à s’assurer que chaque chef d’agence disposait des moyens nécessaires pour mieux servir la clientèle. Elle était toujours la première arrivée, la dernière partie.Puis, vint le jour de l’entretien avec le comité exécutif, en présence du PCA lui-même, Monsieur Touré Mohamed. Lorsqu’elle pénétra dans la salle de réunion, il lui lança une pomme à la volée. Ses vieux réflexes d’ancienne joueuse de baske
Chapitre 6La maison de Mami Chantal baignait dans la douce lumière dorée de la fin d’après-midi. Son jardin, soigneusement entretenu, exhalait un parfum envoûtant d’ylang-ylang et de citronnelle. L’ylang-ylang trônait au centre, ses fleurs jaunes diffusant une senteur suave, tandis que la citronnelle formait une barrière naturelle contre les moustiques. Mami Chantal les avait plantés elle-même, avec ce sens pratique et méticuleux qui la caractérisait.Abel-Malick Touré posa délicatement une tasse de thé chaud entre les mains de sa grand-mère avant de s’asseoir dans le fauteuil en face d’elle. L’arôme du bissap épicé flottait entre eux, mêlé à la senteur du jardin.— Bois doucement, Mami. Il est encore trop chaud.Elle haussa un sourcil moqueur.— Tu crois que c’est aujourd’hui que je vais me brûler ?Malick esquissa un sourire, rare et sincère. Un sourire que seuls quelques privilégiés avaient le droit d’apercevoir. Il s’adossa, observant la vieille dame avec une tendresse non avouée
Chapitre 5L’odeur de la sauce claire et des épices flottait dans l’air, se mêlant aux éclats de voix et aux rires sous la véranda. Comme chaque dimanche, la famille Aka se réunissait pour un grand déjeuner après la messe à la paroisse Saint-Pierre de Niangon. Ce rituel, ancré dans les traditions familiales, était censé être un moment de partage et de légèreté. Mais pour Samira, c’était surtout une épreuve.Assise entre son frère Aymeric et son épouse Marianne, elle faisait tournoyer son verre de bissap, le regard perdu dans le liquide écarlate. Elle savait que la tranquillité du repas ne durerait pas.— Regarde-moi Edwige, soupira Mme Aka, en désignant sa nièce un peu plus loin. Radieuse, un bébé de six mois blotti contre elle. Une femme accomplie. Mariée, mère de famille… et toi, toujours là à faire la forte tête.Le cœur de Samira se serra, mais elle inspira profondément avant de répondre.— Maman…— Ne me dit pas « maman »! Tu comptes rester seule toute ta vie ?Aymeric leva les y