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Je reste plantée là, bouche bée, devant cette maison énorme. De la musique s’échappe de l’intérieur, lourde et joyeuse. Des rires d’enfants fusent quelque part dans le jardin.

Aujourd’hui, Kassia fête ses huit ans. Et je n’ai pas été conviée. Je n’avais même pas idée qu’il y aurait une fête. Sérieusement.

Pathétique, non ? Ne pas savoir que ta propre fille prépare une fête pour elle ?

J’avais appelé Darren pour savoir ce qu’il fallait que j’apporte. Il m’a raccroché au nez, furieux, en me disant que Maelis avait pris en charge toute l’organisation. Que je n’avais pas à venir. Que ni lui ni Kassia ne voulaient de moi à la fête.

Pendant des années, c’était moi qui m’occupais des anniversaires. Je passais des nuits à tout préparer, tout acheter, tout décorer. Mais cette année, Maelis était aux commandes.

Apparemment, Kassia l’avait demandée. Elle avait dit que je ne savais pas organiser comme il faut. Que mes fêtes étaient toujours ternes, kitsch et qu’elle les trouvait horribles.

Apprendre que tout ce que je faisais pour elle ne lui plaisait pas m’a brisé. Que mes efforts ne valaient rien. Que pour elle, ce n’était jamais assez.

Je pousse un soupir. Tout mon travail réduit à rien, écrasé par quelqu’un d’autre. Et pourtant, ça me fait encore mal. Ça fait des mois qu’elle est revenue. Je devrais m’y faire, accepter la nouvelle réalité. Mais je n’y arrive pas.

« Tu peux le faire, Ren, » murmure Blue, mon loup. Sa voix m’encourage tandis que j’essaie de prendre le courage d’avancer vers la maison — un endroit où on me fait sentir indésirable.

« C’est la fête de notre petite, on ne peut pas manquer ça, » ajoute-t-il.

Si la colère m’avait étouffée la première fois que Darren m’avait repoussée, la blessure d’aujourd’hui me déchire davantage. Kassia et Darren m’ont exclue le jour même où j’ai donné naissance à ma fille. D’abord la colère, puis une douleur sourde qui ne me lâche plus.

Je chasse ces pensées et franchis le seuil. La porte est ouverte ; je m’immisce à l’intérieur. La scène me fige : tout est splendide. Maelis a visiblement mis les petits plats dans les grands — on croirait un décor de conte.

Je suis guidée par la musique jusqu’au jardin. L’espace a été transformé en rêve : des fleurs roses et blanches jonchent le sol, les tables sont couvertes de nappes dorées qui brillent, chaque chaise est drapée de satin blanc et ornée d’un ruban doré. Tout respire le chic.

Pas étonnant que Kassia renie mes fêtes. À côté de ça, mes décorations semblent fades et maladroites. Ma confiance en prend un coup : rien de ce que j’ai offert n’a suffi.

« Qu’est-ce que tu fiches ici ?! » Une voix stridente me ramène à la réalité.

Je me retourne. Kassia me dévisage, son visage tordu par la colère et le mépris, comme si ma simple présence menaçait sa journée parfaite. Son cri attire les regards — des invités humains et des loups se tournent vers nous.

Je ne réponds pas. J’ignore quand et pourquoi tout a basculé chez ma fille. Ai-je dit ou fait quelque chose de mal ? Pourquoi cette haine soudaine ?

« Pars et ne reviens jamais ! » hurle-t-elle, serrant les poings.

« Chérie, je t’ai apporté ton cadeau, » dis-je d’une voix qui tremble. Les larmes montent malgré moi. Je fais de mon mieux pour ne pas faire de scène ; je ne veux pas devenir l’objet de pitié.

Je veux seulement reprendre ma famille, pas qu’on me plaigne.

Kassia tend la main — je m’attends à un soupir de soulagement, à un sourire. Mais au lieu de cela, elle jette le paquet au sol et l’écrase de son pied. La poupée que j’ai choisie pour elle se brise sous ses semelles. Voir la poupée en miettes, c’est comme voir mon cœur fracassé.

« J’ai dit que je ne te voulais pas ici. Et je ne veux pas de ton cadeau moche, » crache-t-elle, la voix tremblante d’une haine froide.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Qu’avait Maelis de plus que moi ? Pourquoi suis-je devenue l’ennemie dans cette histoire qu’on se raconte ?

Tout ce que j’ai fait, c’est les aimer. Je leur ai donné le meilleur de moi-même — comme épouse, comme compagne, comme mère. Et cela n’a jamais été suffisant. Maelis m’a remplacée dans leurs cœurs, comme si tout ce que j’étais pouvait se balayer d’un geste.

« Krys… » Mon nom sort étranglé. La douleur coupe ma respiration.

Elle me coupe net : « Non ! Je te déteste et papa aussi ! On ne veut pas de toi. » Sa voix est implacable. « Tu es jalouse de Maelis parce qu’elle est belle et toi non. Si tu continues à empêcher papa d’être heureux, je prierai pour que la déesse te punisse. »

Je recule, comme assommée par un coup. Non seulement elle me rejette, mais elle souhaite que je souffre, que je parte en enfer. Et Darren, qui va épouser Maelis… comment a-t-il pu en arriver là ?

Comment suis-je passée de la mère aimante au monstre dans leur conte de fées ?

« Tu ne peux pas dire ça, Kassia. Je suis ta mère, » je m’efforce de faire entendre ma voix, mais les larmes l’étouffent.

« Tu n’es plus ma mère. Ma seule mère, c’est Maelis. » Elle tourne le dos et court se réfugier dans les bras de Maelis, qui la serre comme si elle la couvait de toute sa supériorité. Le regard que Maelis me lance est chargé de jugement, comme si elle avait toute légitimité.

Je n’arrive pas à croire que Kassia m’ait ainsi dénoncée devant les invités. Et que Darren laisse faire. Pourquoi ont-ils choisi Maelis plutôt que moi ? Mes ultimes espérances se brisent en morceaux qu’on ne peut recoller.

Avant que je ne puisse ramasser ma dignité, Darren est là. Il m’attrape le bras avec une force qui brûle et m’entraîne hors du jardin.

« S’il te plaît, Darren… » je murmure, suppliée, alors que nous arrivons près de la porte.

« Ferme-la, espèce de connasse ! » hurle-t-il. La fureur le transforme : ses yeux passent du noir au jaune.

Le mot me fige. Je ne m’attendais pas à être traitée ainsi, comme une intruse répugnante, une menace pour leur bonheur. Son emprise se resserre ; ses doigts se referment autour de mon cou. La douleur est vive, insupportable. Du sang perle ; mon chemisier en est taché.

« C’est la dernière fois que je veux te voir près de Kassia. Ne la touche pas, ne la regarde pas. Si tu t’approches de nous, je te tue, compris ? » Sa voix est un glaçon. « Tu ne représentes rien pour elle. Tu ne représentes rien pour moi. »

Je murmure, en sanglotant : « Mais c’est ma fille… »

Sans pitié, il me repousse hors de la maison et claque la porte. Je m’effondre à quatre pattes sur l’allée, sans réaliser d’abord l’ampleur de mes blessures ; le cou brûle encore. Mais rien de cela ne rivalise avec la douleur intérieure : comment lutter quand on est brisé par ceux qu’on aime ? Se battre pour eux ou lâcher prise quand ils te rejettent sans remords ?

Un petit « Hé » me sort de ma torpeur. Un garçon d’une dizaine d’années se tient près de ma voiture. Blond, yeux gris, un visage que je trouve étrangement familier.

« Mon père dit que les jolies filles ne devraient pas pleurer. Et vous êtes la plus belle femme que j’aie vue, » me dit-il, sérieux et sincère.

Sa gentillesse me touche. Si ma propre fille me rejette, voilà qu’un enfant étranger voit encore quelque chose de beau en moi. Je m’agenouille, malgré la douleur, pour lui répondre.

« Merci, mon grand. Comment tu t’appelles ? » je demande, un sourire tremblant aux lèvres en essuyant mes larmes.

Il s’illumine. « Je m’appelle Joren… Et vous êtes la mère de Kassia. Je suis fâché contre elle parce qu’elle a été méchante avec vous. Je n’aime pas non plus ma mère et le père de Kassia. Ils sont injustes. C’est eux qu’il faudrait punir. »

Je réalise soudain que ce garçon est le fils de Maelis. Une idée sombre traverse mon esprit : le retourner contre sa mère, le monter. Mais je refuse ce chemin. Je ne voudrais jamais faire souffrir un enfant.

« Je sais, mon cher, » dis-je doucement. « Mais c’est toujours ta mère. Tu dois l’aimer, même si elle se trompe aujourd’hui. »

Il me regarde longuement, puis hoche la tête. « D’accord. Mais sache que je t’aime, et que tu es très bien. » Il me serre fort, m’embrasse sur la joue, puis part.

Je ne comprends pas encore ce qui me lie à ce garçon, mais une intuition me dit que nos destins sont croisés.

Je remonte dans ma voiture. En m’éloignant, un poids se détend en moi, petit à petit. Pour la première fois depuis des mois, je me sens un peu apaisée — et tout cela grâce au fils de celle qui m’a remplacée.

Je traverse les couloirs presque vides de l’entreprise. Avec ma meilleure amie, nous avions lancé Ruby's Collection de zéro. Ruby's marchait fort ; elle figurait parmi les dix maisons de mode les plus en vue.

Et maintenant, tout part en fumée.

Darren a tenu sa promesse : il m’a broyée. Les magazines et les tabloïds m’ont pulvérisée publiquement. On m’a peinte en coupable.