La forêt avait changé.Depuis le réveil du dragon, les arbres semblaient… plus vivants.Leurs branches frémissaient à l’approche d’un cœur pur, mais se refermaient comme des griffes à l’odeur du sang corrompu.Lorcan avançait en silence, suivi de Kael et Lyra.Ils escortaient Elara, dont la démarche vacillante trahissait les brûlures internes laissées par le pacte.Leurs pas les menaient vers un lieu interdit, effacé des cartes par les anciens.Le Sanctuaire de Verdanis.— Tu es certain qu’il acceptera de nous écouter ? murmura Lyra.— Non. Mais il pleure encore.Kael fronça les sourcils.— Qui ?Lorcan s’arrêta.— Le dernier Gardien d’ivoire.— Il a vu le pacte être brisé il y a des siècles. Il n’a jamais pardonné. Ni aux dragons… ni aux humains.La clairière apparut d’un coup, creusée dans la roche comme une plaie ouverte dans le flanc de la montagne.Une rivière cristalline en surgissait, mais à sa source… coulait une seule larme.Épaisse. Blanche.Comme du lait brûlant tombé du ci
Le vent hurlait au sommet du bastion.Un vent sans odeur. Sans saison.Un vent qui ne venait d’aucune direction connue.Elara rouvrit les yeux, en sursaut.Elle était dans sa chambre. Mais quelque chose n’allait pas.Son souffle formait une buée d’argent dans l’air. Les murs vibraient à peine, comme si la pierre elle-même respirait.Et au centre de la pièce…Neros.Le garçon se tenait debout. Immobile. Pieds nus sur le sol froid.Il la regardait.— Tu n’aurais pas dû faire le pacte, dit-il d’une voix grave… trop grave.Presque… double.— Neros ? murmura-t-elle, en se redressant lentement.— Ce n’est pas toi qui me parles, n’est-ce pas ?Le garçon pencha la tête, et un sourire triste étira ses lèvres juvéniles.— Nous partageons désormais une brèche.— Ce que tu portes en toi… résonne en moi.— Et cette faille, Elara, elle est faite de chair.Elle voulut s’approcher. Mais un pas de plus, et la pièce se mit à fluctuer.Les pierres devinrent souples. Les ombres s’allongèrent comme des ma
Le ciel semblait plus bas que d’habitude.Comme si les nuages eux-mêmes retenaient leur souffle.Lorcan marchait en tête, les épaules tendues, le regard vissé à la ligne brumeuse des montagnes du Nord. À ses côtés, Elara serrait contre elle un ancien rouleau de peau tannée — le seul indice laissé par le Conseil sur l’existence d’un Gardien draconique, oublié de tous, sauf des mythes.— Tu es sûr de vouloir faire appel à lui ? murmura-t-elle en évitant une racine noueuse.— Non.— Mais c’est notre seul choix.Ils avaient laissé Neros aux soins de Mira, enfermés dans le cercle des Anciennes. Le jeune garçon dormait encore, un souffle lent, mais son esprit… son esprit était ailleurs.Et le Néant l’appelait.Pour refermer la brèche, il fallait une puissance que même les sorciers du Voile ne pouvaient contrôler.Un souffle d’origine.— Il dort au pied de la gorge de Fàrn. Entre les deux chutes. Là où l’eau ne gèle jamais.Kael l’avait murmuré à Lorcan, la veille, comme on partage une légen
La lune s’était retirée derrière un voile d’ombres.Même les chouettes avaient cessé leur chant.Dans la tanière, tout semblait dormir.Tout… sauf lui.Il s’appelait Neros, à peine quinze hivers, le plus jeune du cercle d’initiation.Un louveteau à la fourrure trop sombre pour son âge, aux yeux couleur d’orage. Silencieux. Effacé. Toujours à l’écart, même quand les autres jouaient ou s’affrontaient pour gagner leur place dans la hiérarchie.Cette nuit-là, Neros se tenait debout, pieds nus sur la pierre froide, face à l’autel des anciens.Et il parlait.Mais personne ne lui répondait.— Vous êtes là, je le sais.— Dans mon ventre.— Dans mes os.— Vous n’avez plus besoin de vous cacher…Il leva la main.Ses doigts saignaient, entaillés par ses propres ongles. Le sang coulait lentement, goutte après goutte, traçant un cercle sur la dalle.Une langue ancienne s’échappa de sa bouche.Inconnue. Inhumaine.Ce fut Kael qui sentit l’anomalie.Réveillé en sursaut par un frisson glacé, il suivi
Le corbeau s’écrasa contre le perron de pierre dans un fracas d’ailes et de sang.Anya fut la première à se pencher. Ce n’était pas un oiseau ordinaire. Son plumage n’était pas noir mais d’un gris fumé, comme brûlé par l’intérieur. Ses yeux… ou ce qu’il en restait… n’étaient que deux orbites vides, d’où s’échappait une brume épaisse et noire.Attaché à sa patte, un parchemin. Lorcan l’ouvrit sans un mot.Il n’y avait qu’une seule phrase, tracée dans une encre vivante qui semblait onduler sous ses yeux :« Le Conseil du Voile a perdu un de ses piliers. Le Néant a ouvert un œil. »Lorcan sentit un frisson lui remonter l’échine.La dernière fois qu’un membre du Conseil avait été tué, c’était plus de deux siècles auparavant, lors de la Fracture des Âmes, un événement si violent que les forêts avaient saigné et les rivières avaient changé de lit.Kael se pencha à son tour, fronçant les sourcils.— Qui ?— Le message ne le dit pas, mais ce symbole… ici.Il désigna une marque griffée en bas
Le vent s’était levé bien avant l’aube.Lorcan gravit les derniers mètres vers le cœur de la tanière, le pas lourd, les muscles tendus. Chaque racine sous ses pieds semblait vibrer d’une nouvelle gravité. Il portait sur lui une odeur subtile — pas celle du sang ou de la peur, mais celle d’un monde plus ancien, d’un serment que rien ne pourrait défaire.La meute s’était rassemblée dans le cercle central, comme si elle avait senti l’importance de son retour avant même qu’il ne franchisse le seuil.Anya s’avança la première, le souffle suspendu.— Tu es vivant.— Et… différent.Lorcan hocha lentement la tête. Son regard croisait les visages familiers : Kael, Mira, les jeunes encore marqués par les cicatrices des derniers affrontements.Puis il parla.— J’ai comparu devant le Conseil du Voile.— Ce n’était pas une légende. C’était réel. Et ancien.— Ils nous ont convoqués. J’ai répondu.— Et j’ai accepté leur charge.Un murmure parcourut la meute. Une onde sourde d’incompréhension et d’in