Le carreau d'arbalète filait vers lui, une menace argentée tranchant l'air humide de la grotte. Lorcan, encore sous sa forme lupine, réagit par pur instinct. Il esquiva le projectile d'un mouvement brusque de la tête, mais le carreau lui érafla l'oreille, arrachant un lambeau de fourrure et laissant une brûlure cuisante.
La douleur, vive et lancinante, le fit grogner de rage. Il fixa Valois, sa haine palpable dans le regard. Il voulait bondir sur lui, le déchiqueter, le réduire en charpie. Mais il se retint, se souvenant des paroles de la voix mystérieuse. "Ils ne te veulent pas toi... Ils veulent autre chose..."
Il devait comprendre ce qu'ils cherchaient, et pourquoi.
Valois ricana, rechargeant son arbalète avec une rapidité effrayante. "Dommage", dit-il. "J'aurais cru que tu serais plus facile à abattre. Mais ne t'inquiète pas, Loup. Ta mort ne sera que plus savoureuse."
Les autres Traqueurs, massés à l'entrée de la grotte, se préparaient à attaquer. Lorcan savait qu'il ne pourrait pas les affronter tous en même temps. Il était blessé, fatigué et confus. Il devait trouver un moyen de s'échapper, de gagner du temps.
Il se tourna et sauta dans le bassin d'eau froide qui se formait sous la cascade. L'eau glaciale le mordit comme mille aiguilles, le réveillant instantanément. Il nagea sous la cascade, se laissant emporter par le courant.
Il savait que les Traqueurs le suivraient. Ils étaient trop déterminés pour abandonner la chasse. Mais l'eau rendrait la tâche plus difficile, et il pourrait peut-être les semer.
Il nagea jusqu'à l'extrémité du bassin et remonta sur la berge, trempé et frigorifié. Il se secoua vigoureusement, chassant l'eau de sa fourrure. Puis, il se lança à nouveau dans la forêt, courant à toute vitesse.
Il courait depuis des heures, sans se soucier de sa blessure ou de sa fatigue. Il était animé par un seul objectif : survivre et découvrir ce que les Traqueurs voulaient réellement.
Le soleil commençait à se lever, illuminant la forêt d'une lumière dorée. Il atteignit une clairière qu'il connaissait bien, un endroit isolé où il se rendait souvent pour se reposer et méditer.
Il s'arrêta au centre de la clairière et se laissa tomber sur le sol, épuisé. Il ferma les yeux et laissa la transformation s'opérer à nouveau. Ses os craquèrent et se reformèrent, sa fourrure se rétracta, sa peau retrouva sa forme humaine.
Il était nu, tremblant de froid et de fatigue. Il s'assit, le dos appuyé contre un arbre, et ferma les yeux. Il avait besoin de repos, de nourriture et de soins. Mais il savait qu'il ne pouvait pas se permettre de se relâcher. Les Traqueurs étaient toujours à sa poursuite.
Il entendit un bruissement de feuilles derrière lui. Il ouvrit les yeux et se redressa, prêt à se défendre.
Une jeune femme se tenait à l'orée de la clairière, le regard fixé sur lui. Elle était jeune, à peine plus de vingt ans, avec de longs cheveux bruns et des yeux verts intelligents. Elle portait des vêtements de randonnée et un sac à dos sur les épaules. Elle avait l'air à la fois surprise et effrayée.
"Qui êtes-vous ?" demanda-t-il, la voix rauque et fatiguée.
La jeune femme hésita un instant, puis répondit : "Je... je m'appelle Elara. Je suis historienne. Je fais des recherches sur les légendes locales."
Lorcan la fixa, méfiant. Que faisait une humaine ici, dans son territoire ? Était-elle une espionne, envoyée par les Traqueurs ?
"Que voulez-vous ?" demanda-t-il.
"Je... je vous ai vu", dit Elara, hésitante. "Je vous ai vu vous transformer... Je sais ce que vous êtes."
Lorcan serra les poings. Il était démasqué. Sa vie était en danger.
"Vous ne devez le dire à personne", dit-il, la voix menaçante. "Si vous révélez mon secret, je vous tuerai."
Elara le regarda droit dans les yeux, sans ciller. "Je ne vous trahirai pas", dit-elle. "Je vous crois. Je crois aux légendes. Et je crois que vous n'êtes pas un monstre."
Lorcan fut surpris par ses paroles. Il n'était pas habitué à ce que les humains le comprennent, encore moins à ce qu'ils le défendent.
"Pourquoi ?" demanda-t-il. "Pourquoi me croyez-vous ?"
Elara hésita un instant, puis répondit : "Parce que je connais l'histoire de votre meute. Je sais ce que vous avez fait pour protéger cette forêt. Je sais que vous êtes un gardien, pas un destructeur."
Lorcan fut touché par ses paroles. Il avait passé sa vie à se battre contre les préjugés et la haine. Il était rare de rencontrer quelqu'un qui le comprenne vraiment.
"Comment connaissez-vous notre histoire ?" demanda-t-il.
Elara sortit un livre de son sac à dos. "Je l'ai trouvé dans les archives d'un vieux monastère", dit-elle. "Il raconte l'histoire de votre meute, de votre pacte avec la lune, de votre combat contre les forces obscures."
Lorcan fut stupéfait. Il n'avait jamais vu ce livre. Il pensait que l'histoire de sa meute était perdue à jamais.
"Puis-je le voir ?" demanda-t-il.
Elara lui tendit le livre. Lorcan le prit délicatement, ses doigts parcourant la couverture usée. Il sentit une connexion étrange avec cet objet, un lien avec son passé.
"Ce livre pourrait changer beaucoup de choses", dit-il. "Il pourrait nous aider à comprendre ce que les Traqueurs veulent réellement."
"Je suis prête à vous aider", dit Elara. "Je veux vous aider à protéger votre meute et à découvrir la vérité."
Lorcan la regarda droit dans les yeux. Il vit de la sincérité dans son regard, de la détermination. Il sentit qu'il pouvait lui faire confiance.
"Très bien", dit-il. "Je vais vous faire confiance. Mais vous devez me promettre de suivre mes ordres, sans poser de questions."
Elara hocha la tête. "Je le promets."
Lorcan lui tendit la main. "Bienvenue dans la meute des Écailles de Lune, Elara."
Elara prit sa main. Sa peau était douce et chaude, une sensation étrange et agréable pour Lorcan.
Il sentit un lien se former entre eux, un lien fragile et incertain, mais puissant. Un lien qui pourrait bien changer leur destin à jamais.
La forêt avait changé.Depuis le réveil du dragon, les arbres semblaient… plus vivants.Leurs branches frémissaient à l’approche d’un cœur pur, mais se refermaient comme des griffes à l’odeur du sang corrompu.Lorcan avançait en silence, suivi de Kael et Lyra.Ils escortaient Elara, dont la démarche vacillante trahissait les brûlures internes laissées par le pacte.Leurs pas les menaient vers un lieu interdit, effacé des cartes par les anciens.Le Sanctuaire de Verdanis.— Tu es certain qu’il acceptera de nous écouter ? murmura Lyra.— Non. Mais il pleure encore.Kael fronça les sourcils.— Qui ?Lorcan s’arrêta.— Le dernier Gardien d’ivoire.— Il a vu le pacte être brisé il y a des siècles. Il n’a jamais pardonné. Ni aux dragons… ni aux humains.La clairière apparut d’un coup, creusée dans la roche comme une plaie ouverte dans le flanc de la montagne.Une rivière cristalline en surgissait, mais à sa source… coulait une seule larme.Épaisse. Blanche.Comme du lait brûlant tombé du ci
Le vent hurlait au sommet du bastion.Un vent sans odeur. Sans saison.Un vent qui ne venait d’aucune direction connue.Elara rouvrit les yeux, en sursaut.Elle était dans sa chambre. Mais quelque chose n’allait pas.Son souffle formait une buée d’argent dans l’air. Les murs vibraient à peine, comme si la pierre elle-même respirait.Et au centre de la pièce…Neros.Le garçon se tenait debout. Immobile. Pieds nus sur le sol froid.Il la regardait.— Tu n’aurais pas dû faire le pacte, dit-il d’une voix grave… trop grave.Presque… double.— Neros ? murmura-t-elle, en se redressant lentement.— Ce n’est pas toi qui me parles, n’est-ce pas ?Le garçon pencha la tête, et un sourire triste étira ses lèvres juvéniles.— Nous partageons désormais une brèche.— Ce que tu portes en toi… résonne en moi.— Et cette faille, Elara, elle est faite de chair.Elle voulut s’approcher. Mais un pas de plus, et la pièce se mit à fluctuer.Les pierres devinrent souples. Les ombres s’allongèrent comme des ma
Le ciel semblait plus bas que d’habitude.Comme si les nuages eux-mêmes retenaient leur souffle.Lorcan marchait en tête, les épaules tendues, le regard vissé à la ligne brumeuse des montagnes du Nord. À ses côtés, Elara serrait contre elle un ancien rouleau de peau tannée — le seul indice laissé par le Conseil sur l’existence d’un Gardien draconique, oublié de tous, sauf des mythes.— Tu es sûr de vouloir faire appel à lui ? murmura-t-elle en évitant une racine noueuse.— Non.— Mais c’est notre seul choix.Ils avaient laissé Neros aux soins de Mira, enfermés dans le cercle des Anciennes. Le jeune garçon dormait encore, un souffle lent, mais son esprit… son esprit était ailleurs.Et le Néant l’appelait.Pour refermer la brèche, il fallait une puissance que même les sorciers du Voile ne pouvaient contrôler.Un souffle d’origine.— Il dort au pied de la gorge de Fàrn. Entre les deux chutes. Là où l’eau ne gèle jamais.Kael l’avait murmuré à Lorcan, la veille, comme on partage une légen
La lune s’était retirée derrière un voile d’ombres.Même les chouettes avaient cessé leur chant.Dans la tanière, tout semblait dormir.Tout… sauf lui.Il s’appelait Neros, à peine quinze hivers, le plus jeune du cercle d’initiation.Un louveteau à la fourrure trop sombre pour son âge, aux yeux couleur d’orage. Silencieux. Effacé. Toujours à l’écart, même quand les autres jouaient ou s’affrontaient pour gagner leur place dans la hiérarchie.Cette nuit-là, Neros se tenait debout, pieds nus sur la pierre froide, face à l’autel des anciens.Et il parlait.Mais personne ne lui répondait.— Vous êtes là, je le sais.— Dans mon ventre.— Dans mes os.— Vous n’avez plus besoin de vous cacher…Il leva la main.Ses doigts saignaient, entaillés par ses propres ongles. Le sang coulait lentement, goutte après goutte, traçant un cercle sur la dalle.Une langue ancienne s’échappa de sa bouche.Inconnue. Inhumaine.Ce fut Kael qui sentit l’anomalie.Réveillé en sursaut par un frisson glacé, il suivi
Le corbeau s’écrasa contre le perron de pierre dans un fracas d’ailes et de sang.Anya fut la première à se pencher. Ce n’était pas un oiseau ordinaire. Son plumage n’était pas noir mais d’un gris fumé, comme brûlé par l’intérieur. Ses yeux… ou ce qu’il en restait… n’étaient que deux orbites vides, d’où s’échappait une brume épaisse et noire.Attaché à sa patte, un parchemin. Lorcan l’ouvrit sans un mot.Il n’y avait qu’une seule phrase, tracée dans une encre vivante qui semblait onduler sous ses yeux :« Le Conseil du Voile a perdu un de ses piliers. Le Néant a ouvert un œil. »Lorcan sentit un frisson lui remonter l’échine.La dernière fois qu’un membre du Conseil avait été tué, c’était plus de deux siècles auparavant, lors de la Fracture des Âmes, un événement si violent que les forêts avaient saigné et les rivières avaient changé de lit.Kael se pencha à son tour, fronçant les sourcils.— Qui ?— Le message ne le dit pas, mais ce symbole… ici.Il désigna une marque griffée en bas
Le vent s’était levé bien avant l’aube.Lorcan gravit les derniers mètres vers le cœur de la tanière, le pas lourd, les muscles tendus. Chaque racine sous ses pieds semblait vibrer d’une nouvelle gravité. Il portait sur lui une odeur subtile — pas celle du sang ou de la peur, mais celle d’un monde plus ancien, d’un serment que rien ne pourrait défaire.La meute s’était rassemblée dans le cercle central, comme si elle avait senti l’importance de son retour avant même qu’il ne franchisse le seuil.Anya s’avança la première, le souffle suspendu.— Tu es vivant.— Et… différent.Lorcan hocha lentement la tête. Son regard croisait les visages familiers : Kael, Mira, les jeunes encore marqués par les cicatrices des derniers affrontements.Puis il parla.— J’ai comparu devant le Conseil du Voile.— Ce n’était pas une légende. C’était réel. Et ancien.— Ils nous ont convoqués. J’ai répondu.— Et j’ai accepté leur charge.Un murmure parcourut la meute. Une onde sourde d’incompréhension et d’in