Mag-log inLa lumière du matin avait cette douceur cruelle qui révèle tout sans jamais demander la permission. Dans le café où Alexie avait trouvé refuge, les tables étaient encore à moitié vides, le bruit discret des tasses et des conversations légères formait une bulle rassurante. Rien à voir avec le lounge de la veille.
Un endroit où le cerveau aurait dû se calmer.
Elle était venue là pour se reposer.
Elle avait dormi… deux heures, peut-être trois. Ses pensées ne s’étaient jamais arrêtées.
Elle remua son café avec un automatisme las, le parfum intense du grain fraîchement moulu s’élevant dans l’air froid de la salle.
Ce n’était qu’un pari.
Elle se le répétait depuis l’aube.
L’intérieur du café était décoré avec goût : briques apparentes, plantes tombantes, quelques tableaux abstraits. La musique était douce, acoustique, presque trop apaisante pour ce qu’elle ressentait. Ce décalage la mettait encore plus mal à l’aise.
Elle consulta machinalement son téléphone.
Elle reposa le téléphone face contre table, comme pour empêcher les mots de s’échapper.
Elle porta sa tasse à ses lèvres. Le café était brûlant, presque agressif.
Juste un pari.
Alors pourquoi son cœur battait-il encore à l’idée de le revoir ?
Parce qu’une part d’elle — celle qu’elle n’aimait pas beaucoup — espérait le revoir.
Et l’autre… en avait une peur viscérale.
Tu dois gérer ça, Alexie.
Elle ferma les yeux quelques secondes.
Juste un couple.
Elle relâcha un souffle qu’elle ne savait pas avoir retenu.
C’était épuisant, cette attente.
Elle ouvrit son ordinateur portable, histoire de se convaincre qu’elle pouvait réfléchir à autre chose. L’écran refléta brièvement son visage : yeux fatigués mais allumés, peau encore rosée par le froid du matin.
Elle tapota quelques mots au hasard, effaça aussitôt.
Son regard glissa une nouvelle fois vers l’entrée du café.
Personne.
Elle se détesta un peu à cet instant.
Arrête de le chercher.
Elle soupira et se concentra sur son café. Les minutes passèrent, lourdes, lentes.
…lorsque son ventre se serra brutalement.
Elle n’avait pas entendu le bruit de pas.
Mais elle savait.
Quelqu’un s’arrêta près d’elle.
Son cœur fit un bond suicidaire dans sa poitrine.
Et l’univers réduit à une seule silhouette.
Lui.
Ethan.
Simplement vêtu : un manteau sombre, une chemise anthracite, les cheveux légèrement décoiffés comme si le vent avait tenté de le dompter — sans succès.
Le décor du café, les voix alentours, le bruit des cuillères… tout disparut.
Ses yeux noirs se posèrent sur elle.
Et elle sut que rien dans ce café — ni dans cette journée — ne serait simple.
Il n’avait pas le regard du bar.
Ce regard était… plus vif.
Il fit un pas dans sa direction, lentement.
Elle resta immobile, malgré ses jambes qui menaçaient de flancher.
La proximité n’était pas encore là.
Il s’arrêta à une distance respectueuse, mais chaque centimètre semblait chargé :
— Tu me suis.
Sa voix.
Pas une accusation.
Alexie cligna des yeux, surprise, déstabilisée.
— Quoi… Non… C’est toi qui… euh… je suis venue ici parce que leur cappuccino est bon.
Bravo Alexie.
Un silence délicatement tendu s’installa.
Pas comme hier.
— Est-ce que tu viens ici souvent ?
Il posa la question comme on teste une hypothèse.
Elle sentit un frisson lui glisser dans le dos.
— C’est mon café préféré, répondit-elle, en se demandant pourquoi parler devenait aussi compliqué.
Il acquiesça très légèrement.
— Je comprends.
Puis, sans avertir, il tira la chaise en face d’elle.
Calmement.
Comme si c’était l’endroit le plus logique où être.
Alexie sentit sa respiration devenir trop consciente, trop bruyante à son goût.
Il croisa ses doigts devant lui, ancré dans une posture impénétrable.
Puis il demanda :
— Est-ce que tu as repris ton souffle ?
Elle resta muette.
Alors… il avait remarqué.
Ce que son regard lui avait fait hier.
Il voyait tout.
Elle soutint son regard tant qu’elle put.
— Pas complètement.
La réponse jaillit, fragile, honnête.
Et un imperceptible sourire, presque invisible, effleura ses lèvres.
Pas un sourire plein d’assurance.
Juste…
Elle était piégée.
Le silence entre eux n’avait rien de gênant.
Ethan maintenait ce regard profond sur Alexie, celui qui la dépouillait de ses défenses une à une. Elle tenta de s’accrocher à son café comme à un bouclier.
— Donc… tu me suis, répéta-t-il avec une pointe d’ironie douce.
Ses mots flottèrent dans l’air, légers mais précis, comme une flèche tirée sans effort.
Alexie se redressa, un peu vexée qu’il ait deviné ce qu’elle refusait d’admettre.
— Absolument pas. Je flâne. Je déguste. Je… vis ma vie.
Ethan l’interrompit avec un calme déstabilisant :
— Peut-être qu’on se suit tous les deux.
Un frisson lui parcourut la nuque.
Elle tenta de détourner la tension par un sarcasme maladroit :
— Tu sais… c’est terrifiant comme phrase.
— C’est pourtant ce qui semble se passer, répondit-il posément.
Il ne souriait pas.
Alexie se sentit soudain trop observée.
— Tu viens souvent ici ? demanda-t-elle pour reprendre la main sur la conversation.
— Pas avant aujourd’hui.
Elle cligna des yeux.
— Donc tu m’as suivie.
Cette fois, un vrai sourire effleura ses lèvres.
— Je n’ai fait que marcher.
Elle se redressa, les mains crispées sur son café.
— On dirait une phrase de stalker…
— Ou de quelqu’un qui tombe sur une coïncidence intéressante.
La façon dont il prononça « intéressante » changea complètement la température du café.
Elle tenta de respirer normalement.
Il observa son trouble.
— Tu es toujours aussi nerveuse ? demanda-t-il calmement.
— Je ne suis pas nerveuse.
— Tu vas renverser ton café si tu continues à serrer la tasse comme ça.
Elle regarda ses doigts, blanchis par la pression.
— Ce n’est pas toi… C’est le café, répondit-elle, mauvaise comédienne.
Il laissa planer un silence, juste assez pour qu’elle regrette chaque mot prononcé.
— Tu n’étais pas nerveuse hier, dit-il.
Elle faillit s’étrangler.
— Hier, j’avais du liquide anti-nerfs appelé alcool.
Il hocha la tête doucement, l’air de prendre note.
— Tu avais aussi du courage.
Une phrase qui sonna un peu trop juste.
Alexie fixa ses yeux sombres une seconde de trop.
— Tu dis ça comme si j’avais fait quelque chose d’impressionnant.
— Tu es venue me parler.
— Et ?
— Et tu n’avais pas l’air d’avoir peur.
Il laissa un temps.
— C’est rare.
Alexie sentit sa poitrine se serrer.
Elle osa une question :
— Beaucoup de gens t’approchent… et tu les repousses ?
Il soutint son regard, sans détourner.
— Beaucoup approchent.
Elle comprit.
Ce n’était pas un homme qui faisait du charme.
Et pourtant…
Elle ne sut quoi dire alors. Les mots devinrent des obstacles, trop encombrants, trop risqués.
Il l’observa encore un instant.
— Tu écris ? demanda-t-il.
Elle se dépêcha de fermer l’écran, l’air coupable.
— J’essayais.
— Tu n’y arrives pas.
— C’est compliqué avec… le bruit.
Mensonge.
Il inclina légèrement la tête.
— Je veux bien être discret, si tu préfères.
— Non ! répondit-elle trop vite. Je veux dire… tu peux rester. Si tu veux.
Il posa ses coudes sur la table, mains jointes, regard vissé au sien.
— Ce n’est pas que je veux rester.
Elle retint son souffle.
Trop.
Alors elle détourna les yeux.
Ethan, lui, resta parfaitement immobile.
Puis, comme s’il avait lu chacun de ses doutes, il ajouta calmement :
— Tu peux me poser une question, si tu veux.
Alexie se tourna vers lui, prudente.
— Pourquoi ?
— Parce que je veux voir ce que tu choisis de savoir.
Son cœur fit un énorme bruit dans sa poitrine.
Une question.
Elle sentit le monde se réduire à cette table, à cette tasse, à ces yeux noirs qui avaient l’air de pouvoir tout changer.
Elle inspira profondément.
— Pourquoi tu me regardes… comme ça ?
La réponse tomba, sans détour.
— Parce que tu fais semblant d’être forte.
Les mots la transpercèrent.
Pas violents.
Elle n’eut pas le temps de répondre.
— Quelque chose pour vous, monsieur ?
Ethan posa son regard sur Alexie avant de répondre.
— La même chose qu’elle.
Puis il se tourna à nouveau vers elle.
— Tu étais en train de répondre, je crois.
Alexie ouvrit la bouche…
Et le silence fit tout le travail.
La serveuse repartit, laissant derrière elle l’odeur de café chaud et une question en suspens.
Ethan n’avait toujours pas détourné les yeux.
Elle tenta de respirer normalement, sans succès.
— Tu n’as pas répondu, murmura-t-il.
Elle déglutit difficilement.
— Je…
Ethan reposa légèrement son dos contre la chaise, sans pour autant se relâcher. Sa présence restait tendue, comme un arc avant le tir.
— Tout le monde fait semblant, finit-il par dire.
Son regard ne changea pas.
— Moi, je cache, répondit-il.
Alexie frissonna.
Il se tut un instant, observant les mouvements du café.
Tous ces gens vivaient une réalité simple.
Ethan revint à elle.
— Tu fais semblant d’être forte, Alexie.
Sa voix était basse, mais assurée.
— Au contraire…
— Non.
Alexie sentit une colère microscopique éclore.
— Tu ne me connais pas, lâcha-t-elle.
Il hocha calmement la tête.
— Pas encore.
Un mot.
La serveuse revint avec son café.
Ses mains étaient grandes, élégantes, presque trop calmes.
Il observa la vapeur qui montait, comme s’il y trouvait des réponses. Puis :
— Qu’est-ce que tu veux ?
Alexie cligna des yeux.
— Pardon ?
— Tu sais ce que je veux savoir.
La question la percuta comme un choc frontal.
Son cerveau tenta d’analyser :
Mais son cœur…
Elle sentit sa voix s’étouffer avant même de s’exprimer.
Ethan sourit très légèrement, comme s’il venait d’obtenir une réponse malgré son mutisme.
— Tu ne sais pas encore.
Elle détesta la façon dont son cœur répondit à cette phrase.
Elle posa sa main contre la table pour ne pas trembler.
— Pourquoi tu te rapproches ?
Il sourit, cette fois un peu plus visible.
— Parce que tu ne pars pas.
Le silence s’allongea.
Soudain, Ethan se redressa.
— Je dois y aller.
Alexie eut l’impression de tomber en arrière mentalement.
— Comme ça ?
Il acquiesça.
— Comme ça.
Il prit sa veste.
Il ajouta en posant quelques pièces sur la table pour payer sa consommation :
— Je ne suis pas quelqu’un qu’on apprivoise en une seule soirée.
Elle ouvrit la bouche pour répliquer, mais il la précéda :
— Et tu n’es pas quelqu’un qu’on ignore.
Elle sentit une chaleur monter jusqu’à sa gorge.
Il s’éloigna de la table.
Puis s’arrêta.
Sans se retourner, il dit :
— Je suis content que ton café préféré soit celui-ci.
Alexie resta figée.
Il se retourna alors, juste assez pour que leurs regards se retrouvent.
— À bientôt, Alexie.
Pas une question.
Et il sortit.
Elle resta immobile longtemps après son départ.
Elle porta le café à ses lèvres.
C’était officiel.
Elle venait d’entrer dans une histoire où la raison avait déjà perdu.
Le réveil sonna trop tôt. Ou peut-être était-ce son cerveau qui sonnait plus fort que l’alarme.Alexie cligna des yeux, se tournant vers son téléphone qui vibrait encore sur la table de nuit. Elle avait l’impression de n’avoir dormi qu’une demi-heure. Pas étonnant : elle avait passé une partie de la nuit à envoyer des “je vais très bien” mensongers à Sarah et à se convaincre que le monde n’allait pas s’écrouler parce qu’un homme avait un regard trop puissant.Elle attrapa son oreiller et l’écrasa sur son visage en grognant.— Je refuse de me lever. Officiellement.Mais son cerveau n’était pas de cet avis. Déjà, il déroulait un film précis :Un bureau. Des regards. Un sourire infime. Une voix basse.Elle repoussa violemment la couverture et se redressa, les cheveux en bataille, l’air d’une héroïne au lendemain d’une guerre psychologique.Direction : salle de bain.Elle alluma la lumière. Son reflet la fixa.— Toi, tu es en train de perdre tes moyens, dit-elle à haute voix.Le
La fin de journée promettait d’être paisible.En théorie.Le bruit des claviers diminuait progressivement, les chuchotements se transformaient en soupirs d’épuisement, et l’odeur du café froid abandonnait peu à peu les gobelets vides sur les bureaux.Alexie s’étira dans sa chaise, sentant ses épaules craquer sous la tension.Elle jeta un coup d’œil à l’horloge de son écran : 17h38.Encore vingt minutes avant de pouvoir filer.Encore vingt minutes avant que son cerveau cesse d’être un champ de bataille entre logique et… Ethan.Elle ferma son ordinateur portable d’un geste presque triomphant et récupéra son manteau sur le dossier de sa chaise.Ce soir, elle voulait fuir les pensées, fuir le désir, fuir la question qu’elle refusait de formuler.Mais le destin — ou une ironie cosmique très malicieuse — en avait décidé autrement.— Alexie ?La voix.Toujours la voix.Elle se figea.Très lentement, elle tourna la tête.Ethan se tenait à l’entrée de l’open space, appuyé contre le cadre de la
La réunion du lundi matin s’annonçait interminable.La salle était grande, vitrée, avec une longue table centrale et trop de slides projetées pour une heure aussi matinale.Alexie avait choisi une place dans la deuxième rangée, légèrement en retrait.Une position stratégique pour observer sans être observée.Enfin… c’était l’idée.Parce qu’au moment où Ethan entra dans la salle, tout l’air sembla changer de densité.Il était là encore.Costume sombre, allure parfaitement posée, visage fermé de concentration.Il n’était pas venu seul : un directeur l’accompagnait, pressé de lui expliquer des chiffres à voix basse.Alexie ravala un frisson mal placé.Reste normale. Respire. Fais ton travail.Elle replaça une mèche de cheveux derrière son oreille et fixait la présentation…pendant exactement quatre secondes.Puis ses yeux glissèrent inexorablement vers lui.Il prenait place au fond de la salle, près de la baie vitrée, les bras croisés.Attentif.Ou peut-être… en surveillance ?Il ne rega
L’heure du déjeuner dans l’entreprise : un brouhaha de conversations qui se croisent, des parfums de café et de plats réchauffés, des éclats de rire trop sonores. La vie professionnelle à son maximum. Le moment idéal pour jouer.Alexie avait décidé de s’installer à une table en plein centre de la cafétéria moderne, entourée de collègues. Elle était détendue en apparence, mais intérieur… c’était une toute autre histoire.Elle observait chaque entrée de la salle. Chaque silhouette. Chaque mouvement d’ouverture de porte.Elle ne le cherchait pas. Elle le guettait.Mais elle avait un plan.Une stratégie.Elle voulait montrer… à lui et à elle-même qu’elle pouvait mener la danse sans se brûler.— Alexie, tu es bizarre depuis quelques jours, lança Malik en s’asseyant face à elle, une bouteille d’eau à la main. — Bizarre ? répéta-t-elle, faussement outrée. Je suis le modèle même de la stabilité psychologique.— Ça doit être ça, répondit-il en haussant un sourcil amusé. T’as encore
Le soir tombait lentement, traînant derrière lui les dernières couleurs du soleil. Dans l’appartement d’Alexie, cette lumière orangée glissait sur les murs, comme si le jour refusait de s’éteindre complètement — un peu comme ses pensées.Elle lâcha son sac près du canapé, se laissa tomber dessus avec un long soupir, puis resta immobile quelques instants.Respirer. Se calmer. Remettre tout en ordre.Elle se passa une main sur le visage.— C’est rien, Alexie. Tu maîtrises, tu gères… tu domines même.Elle hocha la tête, comme pour se convaincre elle-même que la version de la réalité qu’elle venait de formuler était la bonne.Le pari. C’était ça, le point de départ. Une blague entre amis. Une petite mission amusante pour challenger l’ennui du quotidien.Séduire un inconnu. Obtenir un sourire. Et maintenant… pousser le jeu un peu plus loin.Elle posa les yeux sur la table basse où reposaient ses deux trophées involontaires : Une carte photographique glissée sous un livre. Une not
Le soleil s’était levé sur le campus avec une assurance insolente, comme s’il savait qu’aujourd’hui encore, Alexie aurait besoin d’un peu de lumière pour ne pas sombrer dans ses pensées.Les étudiants circulaient entre les bâtiments, discussions animées, sacs trop lourds, cafés à emporter.Un lundi ordinaire.Mais rien n’était ordinaire dans la tête d’Alexie depuis que lui s’y était installé.Une présence silencieuse, un écho qui refusait de s’éteindre.Elle sortait de son amphithéâtre, des notes à peine lisibles sur son cahier parce que chaque phrase du professeur se mélangeait à la question obsédante :Ethan reviendra-t-il ?Elle aurait aimé prétendre que ça ne changeait rien à sa vie.Mais son cœur la dénonçait à chaque battement.Elle inspira profondément et marcha vers les jardins du campus, là où de nombreux étudiants s’installaient pour réviser sur les bancs face aux magnolias en fleurs.L’air sentait la sève, le gazon encore humide, et le café fraîchement versé dans les gobele







