Fleure
— Vous vous fichez de moi ?
Je ne crie pas. Pas encore. Mais ma voix tremble, plus forte qu’elle ne devrait, déchirant le silence glacé du bureau.
Je me redresse d’un coup, mes doigts serrent le bord du contrat comme un fragment de bois flotté auquel me raccrocher. Mes yeux brûlent les siens, défiants, sauvages. Aaron Valesco reste immobile, impassible, comme s’il savait tout, comme s’il avait prévu ce moment où je m’insurgerais, où mon orgueil refuserait de céder.
— Sérieusement ? Vous m’avez convoquée ici, dans votre… tour d’ivoire glaciale, pour me proposer un mariage commercial ? Comme si j’étais un simple nom à remplir dans une case sur un document bureaucratique ?
Un silence lourd tombe entre nous. Son calme me fait grincer des dents. Cette indifférence calculée me coupe le souffle.
— Je ne suis pas à vendre, Monsieur Valesco.
Je balance la feuille sur le bureau. Le claquement du papier contre le bois massif résonne comme une gifle. La colère bouillonne dans mes veines, brûle sous ma peau, fait battre mon cœur à toute vitesse.
— Ce que vous proposez, c’est obscène. J’ai peut-être des dettes, peut-être des nuits blanches à imaginer comment payer le loyer, mais je ne suis pas désespérée au point de troquer ma dignité contre un bonus à six chiffres.
Il incline légèrement la tête, presque pensif, comme s’il découvrait un visage qu’il n’avait jamais vraiment vu. Pas seulement une candidate sur un CV, mais une femme entière, tendue à bout de nerfs, vulnérable et fière.
— Je ne me moque pas de vous, Fleure.
Je ris, amer, le souffle court.
— Ah non ? Et c’est quoi alors ? Une expérience sociale ? Un test pour voir jusqu’où une femme peut aller pour sauver sa peau ? Ou vous jouez au prince moderne, persuadé que tout s’achète, même l’âme ?
Il ne répond pas tout de suite. Ses yeux noirs plongent dans les miens avec une intensité presque douloureuse.
Puis il murmure :
— Vous n’avez pas lu la dernière page.
Je fronce les sourcils, intriguée malgré moi. Il pousse lentement le dossier vers moi, du bout des doigts. La feuille me fixe comme un miroir.
— Le contrat stipule que vous êtes libre de refuser à tout moment. Sans conséquence. Mais si vous acceptez… vous devenez bien plus qu’un simple nom sur une feuille.
Je le regarde, suspendue à ses mots.
— Qu’est-ce que ça veut dire ?
Sa voix s’adoucit, devient presque hypnotique.
— Je n’ai pas besoin d’une potiche. Je veux une femme capable de se tenir à mes côtés dans les réunions tendues, face à mes associés, devant les actionnaires, et même devant mes ennemis. Une femme brillante, qui sait garder la tête froide. Une partenaire. Pas un trophée.
Je reste figée, mon souffle court, le cœur oscillant entre défi et curiosité. Je devrais m’enfuir. Claquer la porte. Lui dire que je ne suis pas une pièce sur son échiquier.
Mais ses mots m’atteignent.
Ils creusent un sillon dans ma résistance.
Je sens ce trouble étrange, cette fascination mêlée de rage.
Il voit mon hésitation. Son regard descend lentement, détaille mes joues en feu, mes lèvres mordues, mes mains crispées sur le bureau. Puis il recule d’un pas, me laissant l’espace, mais ne me lâchant pas des yeux.
— Vous avez une semaine.
Je souffle, incrédule.
— Une semaine ?
— Pour réfléchir. Pour accepter. Ou pour claquer cette porte et ne plus jamais revenir.
Il se dirige vers la baie vitrée, se tient droit, dominant la ville scintillante. Un roi dans son royaume de verre et de pouvoir.
— Ce n’est pas un jeu, Fleure. Je ne plaisante jamais. Et je n’ai jamais fait cette offre à personne d’autre.
Je me lève, mon corps tendu, la gorge serrée, le cœur battant à tout rompre.
— C’est bien la première chose que je vous crois.
Je tourne les talons, les talons claquant sur le marbre froid, puissants, déterminés. Plus un avertissement qu’un départ.
Je traverse l’ascenseur, la réception, les portes vitrées. À l’extérieur, l’air frais me frappe le visage, me gifle. Je reprends enfin mon souffle.
Mais je sens encore, brûlant dans mon dos, ce regard.
Ce poison.
Ce piège doré.
Et ce frisson insupportable au creux de mon ventre.
Une semaine.
Une semaine pour dire non.
Ou pour me damner.
Je rentre au volant, les rues défilent, mais je ne vois rien. Chaque lumière, chaque visage semble refléter le tumulte en moi.
Le contrat pèse lourd dans mon sac, comme une chaîne invisible autour de mes épaules.
Le bureau, pourtant mon refuge, m’accueille avec un silence étranger.
J’ouvre la porte.
Maëlys lève les yeux, son sourire se fige.
— Fleure ? Tu es là. Tu as l’air… ailleurs.
Sa voix douce m’arrache un soupir.
Elle referme son ordinateur, se lève, et vient me prendre par la main.
— Viens, assieds-toi.
Je m’effondre sur la banquette, vidée, tremblante.
— Maëlys… il faut que je te raconte.
Elle m’écoute sans interruption, suspendue à mes mots.
Je lui confie la proposition d’Aaron, le contrat, les conditions, la menace.
Ses yeux s’agrandissent, son visage se ferme, sa mâchoire se crispe.
— C’est fou. Qui est cet homme pour te demander ça ? Et pourquoi toi ?
— Je ne sais pas, murmuré-je. Il est arrogant, puissant… et il y a quelque chose en lui qui me trouble.
Elle serre ma main.
— Ce n’est pas une question de pouvoir ou d’argent. C’est un piège. Ne tombe pas dedans.
— Je sais. Mais j’ai une semaine pour décider. Une semaine pour choisir entre ma fierté et ma survie.
Elle me regarde, déterminée.
— Tu n’es pas seule, Fleure. On va trouver une solution. Quoi qu’il arrive.
Je sens un feu nouveau monter en moi. La colère devient une arme.
— Merci, Maëlys.
Nous passons la soirée à échafauder des plans, à imaginer comment jouer ce jeu dangereux sans perdre.
Le temps presse.
Une semaine.
Le temps de transformer l’imprévisible en force.
FleureLa nuit s’est engloutie derrière les rideaux épais de sa chambre. Pas une lueur ne filtre, si bien que je pourrais croire être enfermée dans une tombe. Et pourtant, j’entends chaque battement de mon cœur, chaque respiration d’Aaron, chaque mouvement de drap qui me rappelle que je ne suis pas seule.Je n’ai pas dormi. Comment dormir, alors que ses paroles continuent de tourner dans ma tête ?"Tu n’appartiens plus à personne d’autre."Elles se sont gravées en moi comme une sentence. Comme si en acceptant de venir à cette soirée, en me laissant marquer par son sceau devant tous, j’avais bel et bien signé un pacte invisible. Un pacte avec le diable.Je me tourne sur le côté, les yeux fixés sur l’ombre de son profil. Il dort à moitié, paisible, une main repliée sous sa nuque, comme s’il régnait même dans son sommeil. Et moi… je me sens captive, piégée dans une cage dorée.Je serre la serviette autour de moi, toujours incapable de remettre la robe ou même de chercher une chemise. C’e
FleureLa voiture ralentit et s’arrête enfin devant les grilles monumentales de son domaine. Les hauts portails de fer forgé s’ouvrent lentement dans un grincement qui me donne l’impression de franchir une frontière invisible. Au-delà, le manoir se dresse, massif, écrasant, illuminé par des dizaines de fenêtres aux lueurs dorées. Une forteresse. Un piège.Mon cœur cogne dans ma poitrine. La soirée m’a déjà laissée à bout de souffle, mais je sens que le pire commence seulement.Aaron sort le premier. Son ombre se projette sur le sol pavé comme celle d’un conquérant. La portière s’ouvre de mon côté, et sans un mot, il m’offre sa main. Je ne veux pas la prendre. Mais son regard est un ordre, et mes doigts, malgré moi, s’y accrochent. Sa poigne ferme m’arrache toute possibilité de fuite.Je me redresse, les jambes encore tremblantes.— Je veux rentrer chez moi, lâché-je, d’une voix sèche, presque cassée.Il se fige. Lentement, ses yeux se plissent. Le silence autour de nous devient lourd,
AaronSes lèvres brûlent encore contre les miennes quand je relève lentement la tête, sans la lâcher. Je garde mon front collé au sien, mes doigts toujours ancrés à sa nuque, comme s’il suffisait de cette pression pour rappeler au monde entier qu’elle est sous mon joug.Autour de nous, la salle n’ose plus respirer. Le silence n’en est pas un : c’est un tonnerre contenu, un grondement muet de cœurs serrés, de regards jaloux, de bouches ouvertes. Tous ces visages fixés sur nous, suspendus entre l’indignation et l’envie, m’enivrent. Je le sens, je le respire, et c’est une ivresse plus puissante que le vin le plus rare.Je garde sa nuque dans ma main, sa peau palpitante sous mes doigts. Elle ne peut pas m’échapper. Sa respiration heurtée, son regard fuyant, le feu de ses joues… chaque signe de son trouble est mon trophée.Et moi, je ne regarde pas Fleure. Non. Pas encore.Je regarde la salle.Leurs yeux sont des miroirs brisés : désir trouble, haine contenue, fascination maladive. Certain
FleureLa salle entière est encore suspendue à l’éclat du Bleu Hope quand Aaron resserre sa prise sur ma main. Le diamant capte chaque lumière, chaque souffle, comme s’il avait capturé l’attention de la terre entière. Mais lui n’en a pas assez.Il veut plus.Il veut tout.— Ce soir, dit-il d’une voix qui roule comme un tonnerre maîtrisé, je proclame devant vous ce qui ne sera jamais remis en question : elle est mienne.Un frisson traverse l’assemblée. L’air devient lourd, chargé d’électricité. Puis, soudain, son autre main se glisse derrière ma nuque. Son geste est ferme, sans appel, presque brutal dans sa douceur calculée. Un étau chaud et glacé à la fois.Je n’ai pas le temps de respirer. Pas le temps de détourner le visage.Ses lèvres s’abattent sur les miennes.Le choc me brûle.Sa bouche est ardente, avide, dévorante. Ce n’est pas un baiser d’apparat. Ce n’est pas un signe de tendresse mondaine. C’est une flamme qui s’impose, un sceau qui marque au fer rouge. Il veut me posséder
FleureLe cristal des lustres vibre au-dessus de nos têtes, éclaboussant la salle d’éclats dorés et argentés. Les conversations bruissent comme une mer agitée, chaque mot dissimulant des calculs, des ambitions, des jugements. Je sens le poids de ces regards sur moi, encore plus lourd que la robe qui me serre la poitrine.Aaron ne lâche pas ma main. Sa poigne est ferme, presque douloureuse, comme s’il voulait me rappeler à chaque seconde que je lui appartiens. Un étau invisible, poli par un sourire charmeur.La musique s’adoucit soudain, comme si tout l’air de la salle retenait son souffle. Aaron s’avance de quelques pas, m’entraînant avec lui, et un cercle naturel se forme autour de nous. Tous les invités se taisent, suspendus à ce qu’il va dire, à ce qu’il va montrer.Son regard balaie l’assemblée, confiant, triomphant.— Mes chers amis, commence-t-il d’une voix claire et grave, ce soir n’est pas seulement celui de l’annonce de mes fiançailles… c’est aussi la célébration d’un lien un
FleureLa nouvelle tombe comme un couperet, froid et sans appel : Aaron organise une soirée. Une soirée de fiançailles. Pour annoncer au monde entier que je lui appartiens, que je suis sa fiancée.Le message arrive le matin même, laconique, glacial. Pas une place pour le doute, ni la contestation. Je le relis encore, le cœur se serrant un peu plus à chaque lecture.« Tu seras à mes côtés. »Ces mots résonnent en moi comme une sentence. Une chaîne invisible qui se resserre. Je suis prise au piège d’un spectacle orchestré pour afficher ma soumission, pour sceller mon sort devant tous ceux qui comptent dans ce monde.Je passe la matinée dans un état de tension sourde, incapable de penser à autre chose. L’idée même de cette soirée me donne la nausée, mais je sais qu’il est impossible de reculer.Vers midi, on sonne à la porte. Un homme élégant, discret, dépose un grand paquet soigneusement emballé.— Une livraison pour Mademoiselle Fleure, annonce-t-il d’une voix neutre, évitant soigneuse