Home / Romance / Les clauses du cœur / Chapitre 3 — L’échéance

Share

Chapitre 3 — L’échéance

Author: Darkness
last update Last Updated: 2025-07-13 21:02:23

Fleure

Je n’ai presque pas dormi de la nuit.

J’ai tourné, viré, compté les heures comme on compte des bombes prêtes à exploser. Le visage d’Aaron Valesco hante chaque recoin de mon esprit, son regard, sa voix, ses mots, tout ce qu’il promet… et tout ce qu’il sous-entend.

Je croyais avoir vu le pire.

Mais le pire, ce n’est pas un contrat tordu. Le pire, c’est ce matin.

La lettre m’attend sur mon bureau.

Simple. Blanche. Impeccable.

Le genre d’enveloppe qui ne porte jamais de bonnes nouvelles.

Je reconnais le logo de la banque. Mon cœur se contracte avant même que je l’ouvre. Mais je le fais. Lentement. Comme si j’ouvrais une blessure que je connais déjà trop bien.

 Madame Monet,

Suite à nos multiples relances restées sans réponse, nous vous informons que la période de tolérance concernant les échéances de remboursement est désormais échue.

À défaut de régularisation sous sept jours, la banque engagera une procédure de saisie de vos actifs professionnels.

Je reste figée.

Sept jours.

Une semaine.

La même semaine qu’Aaron m’a donnée.

Le monde s’amuse, ou bien il conspire.

Maëlys entre à ce moment-là. Elle me voit, la lettre à la main, le regard vidé.

— Fleure ? Qu’est-ce que c’est ?

Je lui tends sans un mot. Ses yeux parcourent la page, son visage se ferme, se durcit.

— Merde. Ils n’ont pas le droit de faire ça aussi vite. Tu avais demandé un report.

— J’ai demandé. Supplié. Mais leur patience est morte avec mon dernier versement.

Je me lève, le papier tremblant dans les mains.

— Ils veulent tout. Nos locaux. Nos comptes. Nos équipements. Notre avenir.

— Non, souffle-t-elle. On ne va pas les laisser faire.

Je secoue la tête. Le poids sur mes épaules devient insupportable. Mes rêves, mes sacrifices, chaque goutte de sueur déposée dans cette entreprise… balayés par un délai.

— Je n’ai rien. Tout est déjà hypothéqué. Je ne peux même pas emprunter sans garanties.

Maëlys s’approche, me prend les deux mains.

— Il nous reste encore du temps. Une semaine. On peut appeler d’autres investisseurs. On peut négocier. Mais Fleure… tu sais aussi ce que ça veut dire.

Je ferme les yeux.

Je le sais.

Aaron.

Son offre.

Son contrat maudit.

Il ne veut pas seulement me sauver. Il veut m’acheter. Et cette fois, ce n’est pas de la paranoïa : c’est une évidence. Il connaît mes comptes. Il sait tout. Il a choisi ce moment précis parce qu’il savait que je serais à genoux.

Je rouvre les yeux.

— Il a placé un piège parfait. Il savait que la banque allait frapper. C’est pour ça qu’il m’a donné une semaine. Il veut que je tombe… dans ses bras ou dans le vide.

Maëlys serre les dents.

— Tu vas tomber nulle part, Fleure. Tu vas choisir. Et tu vas gagner.

Mais à quel prix ?

Je sens déjà l’étau se refermer. Je pourrais appeler Aaron. Lui dire oui. Et tout serait réglé, comme par magie. Mais ce serait vendre mon âme.

Je pourrais aussi lui dire non.

Et tout perdre.

L’entreprise. Le bureau. Mon travail .

Je me laisse tomber sur le canapé, les mains sur le visage.

— Comment on choisit entre la honte et la ruine ?

Un silence.

Puis Maëlys, plus calme, plus froide :

— On ne choisit pas entre les deux. On crée une troisième option. Tu ne vas pas accepter son offre à ses conditions. Si tu y vas… tu entres avec tes règles. Tu négocies. Tu imposes ta voix.

Je redresse la tête, lentement.

— Tu crois vraiment que je peux imposer quoi que ce soit à Aaron Valesco ?

— Je crois que ce type ne t’a jamais vue vraiment à l’œuvre. Et c’est ça qui va le surprendre.

Je la fixe. Et pour la première fois depuis cette foutue réunion… je souris. Un sourire froid. Un sourire dur.

Oui, il veut une épouse parfaite ? Il va avoir une lionne.

Mais selon mes termes.

Et avant la fin de cette semaine, ce ne sera plus lui qui posera les règles.

Ce sera moi.

Le hall de la banque sent la cire froide et les faux sourires.

Les murs sont d’un blanc chirurgical. Les fauteuils, d’un beige prétentieux. Tout ici respire la réussite sans émotion. Le genre d’endroit où les rêves meurent doucement, étouffés sous le poids des chiffres.

Je patiente. Dix, quinze, vingt minutes.

Volontairement.

Ils veulent m’affaiblir.

Je reste droite. Silencieuse. Je croise les jambes avec lenteur, je vérifie mon téléphone sans précipitation. Je pourrais les brûler d’un regard si j’avais ce pouvoir. Mais je n’ai que ma voix. Mon sang-froid. Mon nom.

— Madame Monet ?

La réceptionniste me sourit trop poliment. Sa voix manque d’âme. Comme si elle m’invitait dans une morgue.

— Monsieur Delmas va vous recevoir.

Je me lève. Mes talons claquent sur le sol comme une sentence.

Le bureau est vaste. Trop. Il y flotte cette odeur de cuir et de pouvoir qu’on croit naturelle quand on a oublié d’où on vient.

Jean-Philippe Delmas m’attend derrière son bureau comme un juge derrière son estrade.

Son costume est trop cintré, son sourire trop large.

— Madame Monet, asseyez-vous je vous en prie.

Je m’exécute sans un mot. Je ne suis pas venue supplier. Je suis venue me battre.

— Nous avons bien reçu votre demande de renégociation. Et croyez-moi, nous comprenons votre situation. Mais vous devez comprendre que la banque, elle, a des obligations strictes envers ses créanciers.

Je le fixe, sans broncher.

— Je ne suis pas venue pour un discours, Monsieur Delmas. Je suis venue pour parler solutions.

Il incline légèrement la tête, joue l’homme bienveillant. Je vois pourtant briller le mépris dans ses yeux.

— Justement. Après étude de votre dossier, nous avons constaté que votre entreprise affiche un passif croissant depuis dix-huit mois. Vos bilans sont fragiles. Vos revenus instables. Il serait irresponsable de prolonger un échéancier que vous ne pouvez honorer.

— Irresponsable ou non rentable ?

— Disons que les deux vont souvent de pair, dit-il en souriant.

Je serre les dents. Il continue, comme s’il me faisait une faveur :

— Il existe toujours une option, bien sûr. Une reprise partielle par un investisseur majeur. Un mécène. Un rachat. Ou un arrangement personnel.

Je plisse les yeux.

Il sait.

Ce salaud sait.

— Ce n’est pas à la banque de suggérer à ses clientes de vendre leur liberté, dis-je d’un ton glacé.

Il se redresse légèrement, surpris.

— Je n’ai rien suggéré, Madame Monet. Mais vous êtes une femme intelligente. Et dans votre position, une certaine… flexibilité morale peut être salvatrice.

Il prononce ces mots avec un plaisir malsain. Comme s’il me regardait déjà tomber.

Je me lève d’un bond. Mon siège grince, mais je garde le contrôle. Froid. Précis. Lame dégainée.

— Je vous remercie de votre temps, Monsieur Delmas. Mais vous venez de me rappeler exactement pourquoi je ne laisserai jamais cet empire s’effondrer : parce que vous attendez que je tombe. Parce que vous vous nourrissez de la chute des autres.

Il se lève à son tour, surpris par ma fermeté.

— Madame Monet…

— Non. Vous avez votre réponse. Je trouverai une solution ailleurs. Et dans une semaine, vous regretterez de m’avoir enterrée trop tôt.

Je tourne les talons. Mon cœur bat à cent à l’heure. Mon estomac se tord.

Mais je ne me retourne pas.

Pas devant lui.

Pas aujourd’hui.

Je sors dans la rue. Le soleil m’agresse. L’air semble trop lourd. Mes mains tremblent.

Une semaine.

Et aujourd’hui, j’ai perdu la banque.

Je suis seule.

Non. Pas seule.

Il reste Aaron.

Toujours là, en filigrane. Comme une ombre collée à mes pas.

Il m’a tendu une main. Un marché. Un pacte.

Un piège doré.

Et pour la première fois… je commence à me demander si je suis encore capable de refuser.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Les clauses du cœur    Épilogue — Le Jardin Imparfait

    Cinq ans.Le temps n’a pas tout guéri. Certaines cicatrices sont restées, des lignes pâles sur notre peau et dans notre mémoire. Elles ne font plus mal, mais elles sont là, comme des cartes de géographies intimes, rappel des territoires dévastés que nous avons traversés.Je regarde Fleure, debout au bout du jardin. Son ventre, rond et lourd sous sa robe d’été, capte la lumière dorée du soir. Une main repose dessus, protectrice, tandis que l’autre arrose les lavandes qui bordent le potager. Nous avons appris à cultiver les choses, elle et moi. Les légumes, les fleurs, et cette paix fragile entre nous.Ce n’est pas le bonheur des contes de fées. C’est quelque chose de plus précieux, de plus réel. C’est une trêve quotidienne, choisie, travaillée. Un mariage.Il y a eu des rechutes. Des nuits où le silence s’est glissé entre nous, trop lourd, et où nous nous sommes regardés avec la vieille peur au ventre. Des mots durs, lancés dans un moment de fatigue, qui ont résonné comme des échos du

  • Les clauses du cœur    Chapitre 58 — Le Pacte des Cicatrisés

    Aaron L’aube pointait, timide, derrière la fenêtre ouverte. La fraîcheur de la nuit avait balayé les derniers relents de fièvre, laissant place à une clarté laiteuse, indécise. Nous étions toujours enlacés, nos corps alourdis par l’épuisement et la sueur séchée, mais nos esprits, étrangement, ne trouvaient pas le repos.La question de Fleure tournait en boucle dans ma tête, amplifiée par le silence. Qu’est-ce que c’était ? Une trêve, oui. Une reddition, aussi. Une prière, sans doute. Mais c’était insuffisant. C’était un baume sur une blessure béante, un pansement sur une fracture ouverte. Nous avions trouvé un répit dans la chair, mais le jour allait se lever, et avec lui, la réalité.Fleure bougea contre moi. Son dos se cambra légèrement, puis elle se tourna pour faire face à la fenêtre, sans rompre notre étreinte. Je sentis les muscles de son dos se contracter sous mes doigts.— Le jour vient, murmura-t-elle, sa voix encore rauque.— Je sais.Un silence. Puis, elle se retourna brus

  • Les clauses du cœur    Chapitre 57 — L'Arche et la Déluge

    Aaron Le chemin vers la chambre est une procession lente, hantée par les fantômes de la veille. Chaque pas sur le parquet est un écho assourdi de nos pas précipités, de nos chutes. La porte, entrouverte, laisse entrevoir le désordre que nous n’avons pas eu le courage d’affronter plus tôt. Les draps en tas, la bouteille vide, la tache de vin comme une cicatrice sur la table de nuit.Je m’arrête sur le seuil, ma main dans celle de Fleure, et je sens mon corps se figer. L’air sent encore l’amour fauve et la folie, un parfum entêtant de sexe, de sueur et de larmes séchées.— Attends, je murmure.Je la lâche, entre seul dans la pièce avec la détermination farouche d’un exorciste. Je vais droit au lit, saisis les draps froissés, les draps qui ont été le théâtre de notre bataille, et les arrache d’un geste vif. Je les jette en boule dans un coin de la pièce, où ils forment un amas de chiffons accusateurs. Puis j’ouvre grand la fenêtre. L’air froid de la nuit s’engouffre, chassant les relent

  • Les clauses du cœur    Chapitre 56 — Le Piège de la Chair

    Le serment était fait. Les mots, lourds de vérité promise, flottaient encore dans l’air obscur du salon. Mais entre le dire et le vivre, il y avait un abîme que leur corps, lui, ne semblait pas avoir lu.La main de Fleure était toujours dans celle d’Aaron. Un pacte fragile. Puis, le contact simple devint autre chose. Une chaleur qui n’était plus seulement réconfortante, mais qui coulait comme de la lave sous la peau. Le pouls d’Aaron s’accéléra contre la paume de Fleure. Elle sentit le frémissement presque imperceptible de ses doigts se refermant légèrement sur les siens. Pas une prise, pas encore. Une question.Elle leva les yeux vers lui. Dans la pénombre, son regard n’était plus celui du combattant épuisé, ni de l’homme nu et vulnérable. C’était un regard qu’elle connaissait trop bien. Un regard qui la déshabillait, qui buvait la lumière de sa peau, qui cherchait les courbes sous le tissu de son sweat. Un regard de faim.Et elle sentit la réponse immédiate, traîtresse, dans son pro

  • Les clauses du cœur    Chapitre 55 — Le Serment dans les Décombres

    Le silence qui suit n’est plus un vide. C’est une substance épaisse, lourde de tout ce qui a été jeté entre eux, comme des gravats. La confession d’Aaron , l’idée de ne plus être là… est insupportable , reste suspendue, aussi dangereuse qu’une lame tenue par la pointe. Il n’a pas dit « Je t’aime ». Il a dit « Je ne peux pas partir ». C’est plus primaire, plus désespéré. C’est la vérité de la bête acculée.Fleure ne recule pas. Elle l’observe, son corps à lui si tendu qu’il semble sur le point de se briser, ses mains enfoncées dans ses poches comme pour s’empêcher de frapper ou de toucher. Elle voit la bataille faire rage derrière ses yeux, ce même conflit qui la déchire : la peur face au désir, la répulsion mêlée à l’attraction irraisonnée.— Insupportable, répète-t-elle, non plus sur un ton d’accusation, mais avec une lassitude profonde, comme si elle pesait le mot et trouvait son poids écrasant. C’est un bien grand mot pour un homme qui passe son temps à fuir.— Je ne fuis pas maint

  • Les clauses du cœur    Chapitre 54 — L'Heure du Crépuscule

    Aaron La porte de l'appartement grince, un son trop familier qui, ce soir, ressemble à un couperet. Aaron se fige sur le seuil. L'air est immobile, saturé d'un parfum de cire d'abeille et de tension rentrée. Il sent le parfum de Fleure, mais il est différent, froid, comme un fantôme dans les pièces.Elle est là, debout près de la grande baie vitrée, tournant le dos à la porte. Une silhouette découpée dans la lueur orangée du crépuscule. La même posture que ce matin, mais plus raide, plus définitive. Elle ne se retourne pas.Il referme la porte derrière lui. Le clic de la serrure est assourdissant dans le silence.— Fleure.Son nom, lancé dans le vide, lui revient en écho, fragile. Elle ne répond pas. Elle observe la ville qui s'endort, ou peut-être son propre reflet dans la vitre.Il pose ses clés sur la console, le bruit anormalement fort. Il enlève sa veste, la plie avec une lenteur méticuleuse, gagnant du temps, cherchant ses mots dans un esprit vide. Chaque geste est une concessi

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status