ISADORALa nuit est mon alliée.Toujours.Le jour est un théâtre trop cru, trop saturé de sourires forcés, de politesses hypocrites et de phrases aux parfums de poison. Mais la nuit… ah, la nuit ne ment pas. Elle montre les failles. Les peurs. Les désirs qu’on cache sous des masques. On ne triche pas dans l’obscurité, pas quand on sait l’écouter.Je traverse le couloir désert du siège, celui qui mène aux bureaux fermés du Conseil exécutif. Mes talons résonnent doucement sur le sol en marbre poli. Le bâtiment dort ou feint de dormir. Les caméras me suivent, mais je sais quels angles éviter, quelles zones d’ombre avalent les mouvements. Ici, tout est surveillé. Mais personne ne me confrontera. Pas encore.Cassandra croit que c’est elle qu’ils regardent. Elle qu’ils jugent. Elle ne comprend pas que le décor est déjà en train de changer et qu’elle ne tient plus le premier rôle.Je n’ai même pas besoin de la renverser. Elle s’effondre seule, rongée par sa propre paranoïa. Chaque silence q
EZRALa nuit s’installe comme une main glaciale sur le palais.Chaque pierre semble retenir son souffle, comme si les murs eux-mêmes avaient peur d’entendre ce qui va se dire.Il y a des heures où le silence devient une arme plus affûtée que n’importe quelle lame.J’ai appris à m’en méfier.La salle du Conseil est vide, mais elle pue encore les luttes de la journée.Les dossiers empilés dégagent une odeur de parchemin froissé, les bougies consumées laissent dans l’air une senteur âcre de cire brûlée.La table massive, veinée de cicatrices laissées par des années de débats et de trahisons, garde encore la mémoire des regards croisés, des promesses fausses, des mensonges énoncés comme des vérités.Je reste debout, les mains derrière le dos.À attendre.Non, pas attendre.Veiller.Le grincement d’une porte.Un souffle presque imperceptible.Puis ses pas.Isadora.Elle arrive comme une ombre qu’on a invoquée.Ses pas sont lents, calculés, silencieux. Pourtant, je les entends, comme on ent
CASSANDRAIl y a des jours où le silence crie plus fort que n’importe quelle tempête.Ce matin-là, le palais entier respire une fausse quiétude. Trop de calme. Trop de silence. Le genre de silence qui n’apaise pas mais oppresse. Il flotte dans l’air comme une menace invisible, une nappe de brouillard mental qui colle à la peau et alourdit les pensées.Je traverse les couloirs comme une étrangère dans un lieu qui m’a pourtant vue grandir. Chaque pierre me connaît. Chaque tapis a foulé mes pas des milliers de fois. Et pourtant, aujourd’hui, ils semblent me repousser, refuser mon autorité comme on détourne les yeux d’une reine déchue.Les serviteurs évitent mon regard. Ou le soutiennent trop longtemps. Les deux me dérangent.Quelque chose a changé.Je le sens dans les gestes lents de la garde. Dans les pauses silencieuses des conversations qui s’interrompent dès que je passe une porte. Dans les lettres que je reçois de moins en moins. Dans les regards, surtout. Les regards.Ce ne sont pl
EZRAJe fixe la pièce à travers la vitre teintée du bureau. L’éclairage est tamisé, les contours des meubles se perdent dans l’ombre. De l’autre côté, les silhouettes se meuvent, se croisent sans un mot, indifférentes à la tempête silencieuse qui se prépare.Je suis spectateur et acteur à la fois, prisonnier de cette cage d’ombres où chaque regard, chaque souffle, chaque mouvement compte.Isadora a changé. Je le sens dans ses pauses, dans ses silences. Elle joue, oui, mais sur un échiquier différent du mien. Ses gestes sont précis, trop étudiés. Son sourire, plus une arme qu’un appel. Une danse maîtrisée pour masquer ce qui se trame derrière ses yeux sombres. Ces yeux-là, je les connais, et pourtant, chaque fois, ils m’échappent.Lors de notre dernière réunion, elle a glissé un détail, comme un fil tendu au-dessus du vide. Une question anodine sur la « gestion des dissidents ». Une pique subtile à l’intention de Cassandra, bien sûr. Elle a parlé sans parler, suggéré sans révéler. Je l
CASSANDRALa note manuscrite ne devrait pas être là.Posée sur mon bureau, entre deux dossiers que je n’ai pas encore ouverts. L’enveloppe ne m’appartient pas. Le papier est plus rugueux que ceux que nous utilisons ici. L’odeur... un mélange de tabac froid et de café rassis. Et l’écriture tremblante mais reconnaissable.Lorenzo.Je n’ai pas entendu son nom depuis sept ans. Il s’est évaporé de ma vie sans éclat, comme une porte qu’on referme doucement pour ne réveiller personne.Mais moi, je n’ai jamais oublié. « On m’a contacté. Ils veulent que je parle. Tu sais de quoi. Sois prudente. »Aucun nom. Aucune date. Aucune précision. Et pourtant tout est là.Mon cœur a une seconde d’hésitation, puis se remet à battre plus vite. Pas par peur, pas vraiment. Plutôt comme une mécanique bien rodée qui se prépare à une nouvelle salve.Je m’assieds. L’air me semble plus lourd soudain. Je relis trois fois, lentement, en cherchant l’angle mort, la rature révélatrice. Un mensonge. Une imprécision.
EZRAJe déteste perdre.Et ce tribunal, cette mascarade, vient de me mettre face à une défaite inattendue.Cassandra.Cassandra, cette silhouette discrète, toujours en retrait, s’est dressée comme une falaise dans le tumulte.Je la croyais effacée, dépassée par les enjeux.Mais c’est moi qui ai mal jugé.C’est moi qui ai oublié qu’un cœur peut devenir forteresse quand il n’a plus rien à perdre.Je fais tourner lentement mon verre de whisky, les yeux fixés sur les lumières de la ville qui s’étirent jusqu’à l’horizon comme un réseau veineux prêt à injecter le chaos.Ils ont sous-estimé l’attachement. Sous-estimé la force du lien humain dans ce jeu de pouvoir.Moi aussi.Mais ça ne se reproduira pas.Je n’ai pas l’intention de perdre Ilan. Ni ce qu’il représente.Il n’est pas seulement un adolescent héritier.Il est l’icône d’un futur modèle de gouvernance. Plus malléable que son père. Plus vulnérable.S’il m’échappe, la moitié du Conseil glissera entre mes doigts.Les fonds aussi. Et le