LorenzoIls disent que la lumière révèle.Mais ils oublient de dire ce qu’elle détruit.Je l’ai regardée s’éloigner un instant pour répondre à un appel — sa silhouette découpée dans le halo doré du hall d’entrée, son dos droit, sa nuque tendue comme si elle savait déjà que ce qui l’attendait était plus grand que nous deux.Je n’ai pas bougé. Je l’ai simplement regardée.Parce que parfois, ne pas intervenir est une forme de respect.Et ce soir, Alessia méritait ce respect-là.La vérité, c’est que je n’ai jamais voulu l’emmener ici.Pas elle.Pas comme ça.Je connaissais les conséquences. Je savais que les flashs ne nous quitteraient plus.Mais elle avait dit oui.Un oui murmurant plus fort que tous les silences.Et je l’avais tenue par la main comme on retient ce qu’on ne veut pas perdre.Le restaurant était désormais derrière nous.Mais le monde, lui, restait suspendu.Elle revient. Le téléphone rangé. Les yeux plus sombres qu’avant.Pas fâchée. Juste… lucide.— Ils veulent que je com
AlessiaOn aurait dit un couple ordinaire.Deux silhouettes attablées en terrasse, sous la douce lumière tamisée d’un restaurant étoilé.Un décor étudié, presque trop parfait : nappes blanches impeccables, bougies vacillantes, serveurs en costume noir qui flottaient entre les tables comme des ombres discrètes.Et pourtant, chaque geste entre nous détonnait dans cette normalité feinte.Lorenzo me regardait comme si je n’étais pas réelle. Comme si j’étais encore une hallucination de la nuit précédente.Je sentais son regard sur moi, lourd de souvenirs, d’interdits et de possibles.Il ne disait rien. Pas tout de suite. Mais ses doigts frôlaient les miens sur la table, dans une danse millimétrée, presque fébrile.Autour de nous, les murmures n’étaient pas feints.Ils glissaient entre les verres de vin, ricochaient sur les murs dorés, se collaient à notre peau.Des regards volés, des sourires gênés, quelques visages qu’on aurait reconnus si on avait eu envie de s’attarder.Mais tout était
AlessiaIl n’avait plus de sol.Et moi plus de nom.Le matin a eu la pudeur de ne pas insister.Il s’est glissé dans la chambre comme un souffle, pâle et timide, comme si la lumière elle-même n’osait pas tout révéler.Je ne savais pas ce qu’on devenait après ça.Quand une vérité fissure la peau.Quand les repères s’effondrent sans crier gare.Quand le désir n’a plus de place pour se cacher.Je sentais encore son odeur sur mes poignets.Ses doigts sur mes hanches.Le creux de sa bouche contre mon ventre.Et je me suis demandé, en silence :Qu’est-ce qu’on devient, quand on a couché avec son sang ?Même sans le savoir.Même sans le vouloir.Lorenzo n’a pas parlé.Pas tout de suite.Il s’était levé lentement, s’était habillé en silence.Chaque bouton, chaque geste, semblait lui coûter un peu de lucidité.Comme si le tissu brûlait.Il ne m’a pas regardée.Pas d’abord.Je voyais ses mâchoires serrées, la tension dans sa nuque, le chaos derrière son dos droit.Moi, je m’étais recroquevillée
AlessiaQuand je suis remontée, Lorenzo était réveillé.Assis au bord du lit, le regard perdu dans un point invisible.Je lui ai tendu la lettre, sans un mot.Il a lu. Lentement.Chaque ligne le creusait un peu plus.Puis il m’a regardée.— C’est pas possible…J’ai hoché la tête.— Si.C’est pour ça qu’il disait qu’on était pareils.Parce qu’on venait du même endroit.Du même homme.Il s’est levé. Il a vacillé.Puis il m’a pris dans ses bras.Fort. Comme pour ne pas sombrer seul.Un cri sans son a traversé son corps.Une délivrance.Ou un effondrement.Peut-être les deux.Nous sommes restés là.Deux orphelins d’un même père.Deux cœurs éclatés. Deux âmes à vif.Mais ensemble.Enfin.Et peut-être que c’était ça, au fond,Le vrai commencement.LorenzoJe ne savais pas respirer avec ça dans les veines.Pas avec cette lettre. Pas avec cette vérité.Mon corps était là, debout, mais c’est à l’intérieur que tout s’effondrait.Comme si chaque organe cédait, un à un, sous le poids de ce qu’il
AlessiaLa maison de mon enfance me hantait, avant même que je ne la voie.Elle avait ce genre de silence qu’on entend de loin. Le genre de silence qu’on reconnaît, même sans l’avoir jamais traversé.Un silence qui a le goût du passé. Et parfois de la cendre.Le trajet s’est fait dans une densité presque irréelle.Pas une musique. Pas un mot de trop.Lorenzo tenait le volant comme on retient une vérité trop lourde. Ses phalanges blanches, son regard vissé à la route, et ce soupir qu’il n’a jamais poussé, mais que je sentais brûler sous sa peau.Il ne fuyait pas.Il revenait.Et c’était peut-être pire.Je n’ai pas demandé où nous allions.Je savais.C’était écrit sur ses épaules.Dans la tension de sa mâchoire.Dans ce besoin de retour, si proche de la fuite.Dans la manière dont il n’osait pas me regarder, comme s’il avait peur que je voie en lui quelque chose qu’il n’avait pas encore osé affronter.Quand la maison s’est dressée devant nous, j’ai eu l’impression que l’air s’épaississa
AlessiaIl n’était plus là, et pourtant, tout portait encore la trace de sa présence.Dans la chaleur encore tiède du drap, dans le creux à peine visible de son épaule sur l’oreiller.Dans la façon dont le silence de l’appartement vibrait encore de ses gestes, de sa voix.J’aurais pu croire que je l’avais rêvé. Mais non. La nuit était passée sur ma peau comme un aveu. Une nuit sans mensonge, sans masque, sans détour. Une nuit qui avait tout changé, sans rien promettre.J’ai marché jusqu’à la cuisine, pieds nus sur le carrelage froid. J’aurais voulu m’en moquer, mais je frissonnais. Pas seulement à cause de la température.Les gestes étaient simples. Ouvrir le placard. Prendre une tasse. Verser de l’eau dans la bouilloire.Mais mes mains tremblaient légèrement.Quelque chose en moi s’était déplacé, délogé.Je ne savais pas encore si c’était une fissure ou une renaissance. Mais c’était là. Inévitable.En buvant lentement le café brûlant, j’ai senti une tension remonter. Elle ne venait p