AlessiaLa chaleur extérieure m’effleure à peine ; en moi, c’est l’hiver.Le monde poursuit sa course indifférente. Les passants bavardent, les voitures klaxonnent, les volets claquent sous le vent tiède. Tout, autour de nous, semble appartenir à une réalité qui m’est désormais étrangère.Je les observe sans les voir, comme si j’étais de l’autre côté d’une vitre.À mes côtés, Lorenzo demeure silencieux. Sa main n’a pas quitté la mienne depuis notre départ. Son pouce, de temps à autre, dessine des cercles dans le creux de ma paume. Ce geste ténu, presque inconscient, est la seule chose qui me retienne encore au réel.Nous parvenons à notre demeure. Je pose le pied sur le trottoir comme on foule un sol inconnu.Il m’aide à sortir, doucement, avec cette attention sobre qui le caractérise. Mes pas sont hésitants, mon équilibre vacille. J’avance comme si je devais tout réapprendre : marcher, respirer, supporter mon propre poids.L’ascenseur nous mène jusqu’à l’étage. Puis la clé tourne da
ValeriaIl y a des jours où l’air colle à la peau comme un drap mouillé.Ce matin-là, l’air ne circule pas. Il stagne. Il reste là, suspendu au plafond comme une menace invisible, un poids qui descend lentement vers moi.Le silence n’est pas neuf. Il m’accompagne depuis des jours, peut-être des semaines, je ne sais plus. Le temps s’est disloqué quelque part entre la salle d’opération et cette chambre. Il n’y a plus d’heures, plus de nuits. Juste des fragments. Des réveils flous. Des bruits de pas dans le couloir. Des visages inconnus au-dessus du mien. Des piqûres, des murmures, des gobelets d’eau posés sur ma table de chevet.Mais ce matin, le silence a changé de forme. Il n’est plus neutre. Il est chargé. Vibrant d’une absence précise.Je le sens dès l’instant où j’ouvre les yeux.Quelque chose en moi attend.Un réflexe, peut-être. Une habitude ancienne : chercher sa silhouette près du mur, son ombre dans l’embrasure, le tremblement de sa voix dans l’air.Mais il n’y a rien.Juste l
ValeriaIl y a des jours où l’air colle à la peau comme un drap mouillé.Ce matin-là, l’air ne circule pas. Il stagne. Il reste là, suspendu au plafond comme une menace invisible, un poids qui descend lentement vers moi.Le silence n’est pas neuf. Il m’accompagne depuis des jours, peut-être des semaines, je ne sais plus. Le temps s’est disloqué quelque part entre la salle d’opération et cette chambre. Il n’y a plus d’heures, plus de nuits. Juste des fragments. Des réveils flous. Des bruits de pas dans le couloir. Des visages inconnus au-dessus du mien. Des piqûres, des murmures, des gobelets d’eau posés sur ma table de chevet.Mais ce matin, le silence a changé de forme. Il n’est plus neutre. Il est chargé. Vibrant d’une absence précise.Je le sens dès l’instant où j’ouvre les yeux.Quelque chose en moi attend.Un réflexe, peut-être. Une habitude ancienne : chercher sa silhouette près du mur, son ombre dans l’embrasure, le tremblement de sa voix dans l’air.Mais il n’y a rien.Juste l
AlessiaLa lumière est différente.Elle ne cherche plus à consoler comme celle de la veille. Elle n’essaie pas d’adoucir ou de voiler. Elle s’impose, crue, blanche, sans détour. Elle entre à flots par la fenêtre entrouverte, découpe les angles du mobilier, trace des lignes nettes sur les murs pâles, et illumine jusqu’aux moindres détails — le verre d’eau à moitié vide, la blouse accrochée au pied du lit, la trace froissée de sa tête sur l’oreiller d’à côté.C’est une lumière qui dit : le monde continue, avec ou sans toi.Je sens sa morsure sur ma peau. Elle m’oblige à ouvrir les yeux, même si chaque battement de paupière est une lutte. Je suis fatiguée. Non, plus que fatiguée. Je suis vidée. Drainée de l’intérieur. Il ne reste de moi que cette silhouette frêle au bord du lit, cet amas d’os et de chair qui a tout perdu et qui pourtant respire encore.À côté, dans ce fauteuil trop droit, trop dur, trop loyal, Lorenzo dort.Ou peut-être qu’il s’est simplement effondré de fatigue, les bra
AlessiaLa lumière est tamisée.Un halo blafard filtre à travers le store entrebâillé, caressant à peine les murs. On pourrait croire que le temps s’est arrêté ici. Mais ce serait faux. Le temps passe. Il érode. Il creuse. Il pèse.Je suis là, toujours là.Pas vraiment vivante.Pas tout à fait morte.Suspendue.Mon corps repose, mais mon esprit flotte quelque part au-dessus, sans attache. Je me sens dissociée, étrangère à cette chambre, à cette peau, à ce ventre vide.Et lui…Il est là.Il ne dort pas non plus.Je crois qu’il ne dort plus depuis des jours.Peut-être depuis toujours, en vérité.Il s’est installé dans ce fauteuil trop bas, trop dur, trop silencieux. Comme s’il voulait m’accompagner dans ce gouffre sans fond. Comme s’il avait décidé que, quitte à tomber, ce serait ensemble.Sa main repose sur le drap, près de la mienne. Elle ne me touche pas. Mais elle est là.Stable.Présente.Ancrée.Je sens, parfois, ses doigts frémir, comme s’il voulait attraper les miens et qu’il n’
AlessiaLa porte s’ouvre.Je le sens avant même de le voir.Ce n’est pas un bruit.C’est un frisson dans l’air.Un vertige intérieur.Comme si mon corps, malgré tout, savait reconnaître le sien.L’air change.L’atmosphère se tend.Quelque chose s’arrête de respirer dans la pièce.Ou peut-être est-ce moi.Je garde les yeux fermés.Pas par faiblesse.Par instinct.Comme un animal blessé qui refuse qu’on le regarde.Je ne veux pas voir son visage.Pas encore.Je ne veux pas affronter ce qu’il me renvoie.Ce que mes propres yeux ne supporteraient pas de lire dans les siens :la peur, la pitié, la douleur.Ou pire : ce mélange de désespoir et de colère qu’il tente toujours de cacher et qui, pourtant, déborde.Je ne suis pas prête.Pas maintenant.Il ne parle pas.Ses pas s’approchent, lents, irréguliers.Je les entends, distinctement.Et à chaque pas, mon cœur se serre un peu plus.J’aimerais qu’il recule.J’aimerais qu’il parte.J’aimerais qu’il me prenne dans ses bras.Je ne sais pas ce