AlessiaIl est resté là toute la nuit.Je le savais. Même sans le voir. Même sans ouvrir la porte. Sa présence était un poids dans l’air, une chaleur irrésolue dans le silence. À chaque fois que je m’approchais, j’entendais sa respiration derrière le bois. Calme. Contrôlée. Mais pas paisible. Jamais paisible.Lorenzo ne sait pas ce que c’est, la paix.Et moi, je suis fatiguée de la guerre.J’ai regardé la poignée plusieurs fois. Une dizaine. Une centaine. Comme si elle allait tourner toute seule. Comme si l’univers allait décider à ma place. Mais rien. Juste cette tension stagnante. Cette peur muette. Et la question qui revenait, lancinante, vrillée dans ma poitrine : et s’il ne partait jamais ?Quand je suis sortie, il s’est levé d’un seul mouvement. Pas brusque. Juste… comme s’il s’était tenu prêt. Comme s’il attendait ce moment depuis des heures, peut-être même depuis des années. Ses yeux me cherchaient déjà. Comme toujours.Il avait cette façon de me regarder qui me dérangeait. Pa
LorenzoJe suis resté là longtemps, seul dans la cuisine, les yeux fixés sur la tasse qu’elle avait laissée. Le café avait refroidi. Il portait la trace de ses lèvres. Un vestige d’elle. Une empreinte discrète, mais brûlante. Et ça m’a suffi pour tenir debout.Pas cette fois.Pas encore.Elle m’a giflé. Pas fort. Pas comme une punition. Mais comme un cri contenu trop longtemps. Un désespoir jeté à la figure. Ce n’est pas la claque qui m’a marqué. Ce sont ses yeux. Sa voix. Son absence de haine. Parce que ce n’est pas la colère que je redoute.C’est son indifférence.Je l’ai vue me regarder comme un étranger. Comme si elle essayait de reconnaître, en moi, quelque chose de vivant. Quelque chose d’humain. Et je n’étais plus sûr de pouvoir lui offrir ça.Je n’ai jamais su m’excuser. Pas vraiment. Pas comme il faut. J’ai appris à m’imposer. À corriger. À punir. À tenir. Mais pas à demander pardon. Pas à supplier. Ce mot ne traverse pas ma gorge. Il s’y coince, comme une lame.Mais ce que j
AlessiaJe n’ai pas dormi.Pas vraiment. Pas profondément. Mon corps est resté piégé dans cette zone morte entre l’éveil et le cauchemar, là où les pensées tournent en boucle, là où la douleur devient une respiration, un battement de plus.Lorenzo non plus n’a pas bougé. Pas une fois.Et sa main nouée à la mienne a été comme un fil entre deux ruines. Un lien. Une corde raide.Ou peut-être une chaîne.Je ne sais plus.C’est étrange, la façon dont le silence peut peser plus lourd qu’un cri. Il résonne. Il étouffe. Il sculpte des creux là où il y avait des pleins. Et cette nuit, j’ai senti mon cœur s’effriter à chaque seconde passée à ne pas parler.Je suis partie avant que le soleil ne se lève.Sans un mot.Sans un regard.Sans un soupir.J’ai défait nos doigts un à un comme on arrache des pétales fanés.Comme on se retire une lame de chair vive.Et je suis descendue, pieds nus, jusqu’à la cuisine. Le sol glacé m’a rappelée à la réalité. Je suis encore vivante. Même si j’ai parfois l’im
AlessiaIl ne m’a pas adressé un mot.Mais il est resté.Je suis demeurée plantée au milieu du salon, les bras croisés contre ma poitrine nue, dissimulée à peine sous le tissu trop léger d’un t-shirt que je n’avais pas pris la peine de changer. J’étais descendue sans réfléchir, sans stratégie, comme on descend au combat — avec la peur logée dans la gorge, la dignité accrochée aux cils.Il était là. Bien sûr qu’il l’était.Assis dans l’ombre, les coudes posés sur les genoux, le dos voûté, la tête penchée comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. On aurait dit une statue sculptée dans le silence, pétrifiée dans sa culpabilité.J’ai avancé. D’un pas mesuré, douloureux. Chaque foulée me coûtait quelque chose. Chaque mouvement arrachait un lambeau d’orgueil à ce qui restait de moi.— Je n’ai pas dormi, ai-je murmuré.Il a levé les yeux vers moi. Son regard n’exprimait ni surprise ni remords. Juste une présence nue, désarmée. Comme s’il le savait. Comme s’il n’avait pas dormi non
AlessiaIl ne m’a pas adressé un mot.Mais il est resté.Je suis demeurée plantée au milieu du salon, les bras croisés contre ma poitrine nue, dissimulée à peine sous le tissu trop léger d’un t-shirt que je n’avais pas pris la peine de changer. J’étais descendue sans réfléchir, sans stratégie, comme on descend au combat — avec la peur logée dans la gorge, la dignité accrochée aux cils.Il était là. Bien sûr qu’il l’était.Assis dans l’ombre, les coudes posés sur les genoux, le dos voûté, la tête penchée comme si le poids du monde reposait sur ses épaules. On aurait dit une statue sculptée dans le silence, pétrifiée dans sa culpabilité.J’ai avancé. D’un pas mesuré, douloureux. Chaque foulée me coûtait quelque chose. Chaque mouvement arrachait un lambeau d’orgueil à ce qui restait de moi.— Je n’ai pas dormi, ai-je murmuré.Il a levé les yeux vers moi. Son regard n’exprimait ni surprise ni remords. Juste une présence nue, désarmée. Comme s’il le savait. Comme s’il n’avait pas dormi non
AlessiaIl m’a trouvée.Et je l’ai laissé entrer.Je devrais avoir honte.Je devrais avoir peur.Je devrais appeler ça une rechute, une faiblesse, un abandon.Mais non.J’appelle ça lui.Lorenzo.Il n’a rien dit. Il n’a rien exigé.Il est juste passé le seuil, détrempé, figé, comme un fantôme qui n’avait jamais vraiment quitté les lieux.Il a retiré son manteau. Lentement.Comme s’il voulait me laisser le temps de fuir.De me barricader.De changer d’avis.Mais je n’ai pas bougé.Il l’a déposé sur le dossier du fauteuil, avec cette lenteur pesante qui n’appartient qu’à lui. Celle qui rend chaque geste chargé. Chaque silence menaçant.Puis il s’est assis. Comme s’il n’était jamais vraiment parti. Comme s’il avait toujours eu la clé.Je suis restée debout. À distance.Mon cœur cognait trop fort dans ma poitrine.Pas à cause du froid. Pas uniquement.C’était autre chose. Un grondement sous la peau. Un feu sale et addictif qui ne s’éteint jamais vraiment.— Tu vas dire quelque chose ? je
LorenzoLa pluie me fouette le visage, mais je ne bouge pas.Parce que je sais qu’elle m’entend.Même de loin.Même quand elle prétend l’inverse.Je murmure son nom, cette fois.Pas comme une menace.Pas comme une prière.Comme une défaite.Alessia.Je t’ai détruite.Mais ce que je ne t’ai jamais dit,c’est que je me suis détruit avec toi.Et ce soir, je viens réclamer ce qu’il reste.De toi.De moi.De nous.AlessiaJe ne dors plus.Je n’essaie même plus.Je compte les fissures du plafond. Les battements de mon cœur. Les minutes jusqu’au matin.Mais le matin ne vient jamais vraiment.Il fait toujours sombre quand on a peur.Je suis revenue ici. Dans cette maison vide, celle de ma tante. Celle qui ne sent plus rien. Ni chaleur. Ni présence. Ni sécurité. Juste la poussière et les fantômes.Je laisse le chauffage éteint. Je veux sentir le froid.Celui de dehors. Celui de dedans.Peut-être qu’en grelottant assez fort, j’arriverai à faire taire l’envie de lui.Lorenzo.Je ne devrais même
EmilyJe me suis maquillée. Très lentement. Comme une armure. Chaque trait de khôl, chaque rougeur camouflée, chaque touche de fond de teint est une gifle à mon humiliation. Je me recompose. Je me repeins.Je redeviens la femme qu’il a choisie de regarder hier soir.Pas celle qu’il regrette ce matin.Quand j’entre dans la cuisine, il est déjà là.Assis.Immobile.Le regard dans le vide.Il tient une cigarette entre ses doigts, mais elle est éteinte.Je n’ose pas parler. Mes talons claquent. Il ne lève même pas les yeux.Mais je sens qu’il sait que je suis là.Il sait toujours.— Elle est partie, je murmure.Toujours ce silence.Mon cœur se comprime. J’ai froid. Ou chaud. Je ne sais plus.Je cherche ses yeux. Il me fuit.Je déteste ça.— C’est ce que tu voulais, non ? Qu’elle parte ?Rien.Et puis, un souffle. Presque un ricanement.— Ce que je veux, Emily… tu serais incapable de le comprendre.Il relève enfin les yeux vers moi.Et dans son regard… ce n’est pas de la haine.C’est pire.
AlessiaJe savais. Depuis le moment où j’ai entendu la porte claquer derrière moi. Depuis le silence trop lourd, trop chargé. Depuis le parfum qui n’était pas le mien dans sa chambre. J’ai su.Mais ce n’était pas la trahison qui me faisait trembler.C’était le fait de l’avoir laissé faire.Je m’étais levée ce matin-là avec un vertige au creux de la poitrine, comme une main invisible qui pressait contre mon sternum. Une intuition. Un souffle glacé sur ma nuque. J’ai marché dans cet appartement comme on traverse un champ de mines. Chaque pas une gifle. Chaque silence un hurlement.Il n’était plus seul.Je ne l’ai pas confronté. Je ne l’ai même pas regardé.Parce que regarder Lorenzo, c’est se perdre. Il t’arrache les pupilles pour y verser ses ténèbres. Et toi, tu crois que c’est de l’amour.Je suis partie.Sans bruit.Et pourtant, je hurlais à l’intérieur.Je me suis réfugiée dans un lieu sans nom, un appartement prêté par une amie qui ne posait pas de questions. Une planque sans miroi