Éléonore
Le feu crépite dans l’âtre, projetant des ombres mouvantes sur les murs de pierre. Je suis assise sur un fauteuil ancien, le regard perdu dans les flammes, le cœur serré par une douleur que je ne comprends pas entièrement.
Des souvenirs que je ne devrais pas avoir s’entrechoquent dans mon esprit, des images fugitives où Léandre occupe une place que je lui ai toujours refusée.
Je serre mes bras contre moi, comme pour empêcher ces visions de m’engloutir.
Andréas…
Je ferme les yeux, cherchant désespérément à me raccrocher à lui, à la certitude de notre amour. Mais même cette certitude vacille sous le poids du passé qui revient me hanter.
Derrière moi, je sens la présence de Léandre.
Il ne dit rien.
Il n’a pas besoin de parler.
Il sait que le venin a déjà fait son œuvre.
Il attend simplement que je plie sous le poids de mes souvenirs.
Mais je refuse.
Je ne suis pas sienne.
Je ne le serai jamais.
— Tu cherches à fuir ce qui est en toi, Éléonore.
Sa voix est un murmure, une caresse glacée qui effleure ma nuque.
— Je cherche à me souvenir de la vérité.
Il s’accoude au dossier du fauteuil, si près que je peux sentir la fraîcheur de son souffle sur ma peau.
— Et si la vérité était différente de ce que tu crois ?
Je me lève brusquement, le cœur battant.
— Arrête.
Il esquisse un sourire.
— Tu te souviens, n’est-ce pas ?
Je secoue la tête, mais il avance d’un pas, réduisant la distance entre nous.
— Dis-moi ce que tu vois quand tu fermes les yeux.
Je frémis.
Je vois…
Des nuits dans un château oublié, des promesses murmurées dans l’obscurité, une étreinte brûlante sous la lueur de la lune.
Je vois ses lèvres sur ma peau.
Son regard chargé de désir.
Mon corps qui se tend vers lui…
Je secoue la tête violemment, chassant ces images.
— C’est un mensonge.
Léandre ne détourne pas le regard.
— Alors pourquoi ton cœur s’emballe ?
Ma gorge se serre.
Il joue avec moi.
Il manipule mon esprit.
Mais une part de moi a peur qu’il dise vrai.
Une part de moi se demande…
Et si, avant Andréas, j’avais déjà aimé quelqu’un d’autre ?
Quelqu’un qui m’a brisée… et que j’ai trahi ?
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Andréas
Je suis enfermé dans une pièce froide et sombre, mes poignets enchaînés par un sort ancien.
Léandre m’a écarté d’elle.
Et je ne peux rien faire.
La rage me consume autant que l’impuissance.
Je sais ce qu’il essaie de faire.
Il joue avec ses souvenirs.
Il la trouble, l’empoisonne, s’insinue dans son esprit jusqu’à ce qu’elle ne sache plus distinguer la vérité du mensonge.
Et moi…
Je suis ici, incapable de la protéger.
Mes poings se serrent.
Je ne laisserai pas Léandre me la prendre.
Pas cette fois.
Je relève la tête et fixe la porte.
Je dois sortir d’ici.
Avant qu’il ne soit trop tard.
Avant qu’il ne la gagne à nouveau.
Éléonore
La nuit est tombée sur le domaine de Valmeray, enveloppant le château d’un voile d’ombre et de silence. Pourtant, en moi, c’est une tempête.
Je marche dans les couloirs, le cœur lourd, l’esprit assiégé par des souvenirs que je ne reconnais pas comme miens.
Des souvenirs où Léandre est plus qu’un ennemi.
Plus qu’un geôlier.
Il est un amant.
Un amant oublié.
Je secoue la tête, rejetant l’idée avec violence. Non. C’est une illusion, un tour de son esprit perfide. Il joue avec moi, il me manipule comme il l’a toujours fait.
Mais alors… pourquoi ces images sont-elles si réelles ?
Pourquoi mon cœur se serre-t-il d’une douleur inconnue à l’idée que tout cela soit vrai ?
Un rire bas retentit derrière moi.
— Tu doutes.
Je me fige.
Léandre.
Il est appuyé contre un mur, les bras croisés, me scrutant avec cette patience carnassière qui m’épuise autant qu’elle m’effraie.
— Je le vois dans ton regard, Éléonore.
Je le fixe, les poings serrés.
— Tu as tordu mon esprit.
Il sourit.
— Ai-je besoin de le faire ?
Je déteste cette arrogance.
Mais plus encore, je déteste l’incertitude qu’il fait naître en moi.
Je prends une profonde inspiration et plonge mon regard dans le sien.
— Pourquoi est-ce que je vois ces choses ?
Il s’approche lentement, chaque pas résonnant dans le silence du couloir.
— Parce que tu te souviens.
Je déglutis.
— Non.
Il continue d’avancer, réduit la distance jusqu’à ce que je puisse sentir la fraîcheur de son aura m’effleurer.
— Si, mon amour. Tu commences à comprendre.
Ce mot me fait frémir.
Mon amour.
Je recule d’un pas, refusant de me laisser prendre au piège.
— Je n’ai jamais été tienne.
Léandre penche la tête, et dans ses yeux sombres, il y a quelque chose de plus profond que de la simple possession.
Quelque chose de plus ancien.
Plus tragique.
— Alors pourquoi ai-je l’impression de t’avoir déjà perdue une fois ?
Je sens mon souffle se bloquer.
Une douleur fulgurante transperce ma poitrine, comme une cicatrice oubliée qui se rouvre brutalement.
Perdue…
Déjà perdue…
Un souvenir frappe mon esprit.
Une silhouette enveloppée de ténèbres.
Une voix murmurant mon nom avec désespoir.
Des doigts qui me frôlent avant de disparaître dans le néant.
Je vacille.
Léandre tend la main, mais je le repousse violemment.
— NON !
Je reprends mon souffle, le regard brûlant de colère.
— Je n’appartiens qu’à moi-même !
Son sourire s’efface légèrement, mais il ne recule pas.
Il se contente de me fixer, comme s’il attendait.
Comme s’il savait que le poison qu’il a distillé en moi continue de faire son œuvre.
Je tourne les talons et m’éloigne rapidement, fuyant cette présence oppressante avant qu’elle ne consume le peu de certitudes qu’il me reste.
Mais une voix me hante alors que je m’éloigne.
Une voix que je ne reconnais pas tout à fait… et qui ressemble étrangement à la mienne.
"Tu l’as déjà aimé."
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Andréas
L’air est glacial, chargé de magie sombre.
Les chaînes qui m’entravent brûlent ma peau comme des braises vivantes.
Je lutte contre la douleur, tirant sur les liens, ignorant le goût métallique du sang dans ma bouche.
Léandre a tout prévu.
Il m’a écarté.
Et il est en train de la briser, lentement.
Je serre les dents, la colère grondant en moi comme une tempête.
Je dois sortir d’ici.
Je dois la retrouver.
Je refuse qu’elle tombe entre ses griffes.
Mes muscles se contractent, mes doigts se crispent autour des chaînes, et je puise dans mes dernières forces pour tenter une ultime fois de briser ce sortilège.
Un grondement résonne dans l’obscurité.
Une force ancienne s’éveille.
Les murs tremblent, une bourrasque glaciale balaie la pièce.
Et soudain…
Les chaînes explosent .
Je tombe à genoux, haletant, sentant le pouvoir crépiter dans mes veines.
Léandre a fait une erreur.
Il m’a sous-estimé.
Je lève les yeux vers la porte.
J’arrive, Éléonore.
Et cette fois, je le détruirai.
ÉléonoreLe monde s’est tu. Plus de cris, plus de bataille, plus de peur. Juste le silence paisible d’un matin naissant, baigné d’une lumière douce et dorée. Je laisse mes yeux dériver sur l’horizon, savourant la quiétude après tant d’épreuves.Mais plus que le paysage, c’est lui que je ressens. Son souffle contre ma peau, son cœur battant sous ma paume, sa chaleur qui m’entoure comme un bouclier invincible.Andréas me serre contre lui, son étreinte forte et apaisante. Son menton repose sur le sommet de ma tête, et je ferme les yeux, laissant mon corps se détendre complètement. Plus besoin de lutter. Plus besoin de fuir. Nous sommes là, ensemble, et c’est tout ce qui compte.— Je n’aurais jamais cru connaître un instant comme celui-ci, murmure-t-il contre mes cheveux.Sa voix est rauque, fatiguée, mais remplie d’une tendresse infinie.Je lève la tête vers lui, ancrant mon regard au sien. Il y a tant de choses que je pourrais dire, mais à quoi bon ? Il sait déjà. Il a toujours su.Je t
ÉléonoreL’aube étire ses premiers rayons sur les ruines encore fumantes du champ de bataille. Le silence n’est plus celui de la fin, mais celui d’un commencement. Les survivants se relèvent, se cherchent, se retrouvent. Et moi, je reste là, ancrée dans le regard d’Andréas.Il ne dit rien. Je ne dis rien non plus. Nos âmes parlent pour nous, dans ce langage silencieux que seuls ceux qui ont traversé l’enfer peuvent comprendre. Ses yeux, d’un bleu profond, me transpercent, cherchant en moi quelque chose que je suis enfin prête à lui donner.Lui.Moi.Nous.Il avance d’un pas. Son souffle se mélange au mien. Ses doigts frôlent ma joue, hésitants, comme s’il craignait encore que tout cela ne soit qu’un mirage, une illusion née du combat et de la douleur. Mais je ne suis pas une illusion. Je suis là. Vivante. Prête.Alors, c’est moi qui brise la distance. Mes mains s’accrochent à lui, à cette présence qui a été mon ancre dans la tempête. Il ne recule pas. Il m’accueille, il me retient. Et
ÉléonoreJe sens les battements précipités de mon cœur résonner contre ma cage thoracique. Mon corps tremble sous le poids de l’épuisement, de l’adrénaline retombée, de la douleur qui commence à s’ancrer dans chaque fibre de mon être.Andréas me tient fermement, comme s’il craignait que je disparaisse à mon tour, emportée par les cendres encore tièdes de ce combat. Son souffle est erratique, et lorsqu’il me serre un peu plus contre lui, je ressens toute la tension qui l’a habité, toute l’angoisse qu’il a contenue.— Tu es là, souffle-t-il, comme pour se convaincre. Tu es vivante.Je hoche faiblement la tête contre son épaule, incapable de formuler une réponse. Une vague de chaleur me traverse, non pas de mon pouvoir, mais de lui. Il est ma certitude, mon ancre, celui qui m’a toujours vue telle que je suis, même lorsque je doutais.Mais tandis que mes yeux se perdent dans le ciel, un frisson parcourt mon échine. La nuit est encore lourde, l’air chargé d’un silence pesant. La victoire a
ÉléonoreLe vent hurle autour de nous, emportant avec lui des volutes de poussière et de cendres.Le ciel, chargé de nuages noirs, semble retenir son souffle.Face à moi, Gauvain se tient droit, son corps frémissant d’énergie obscure.Son regard d’acier croise le mien, et je ressens l’ombre qui palpite autour de lui, prête à fondre sur moi à la moindre ouverture.— Tu crois pouvoir me vaincre, Éléonore ? murmure-t-il, un sourire narquois étirant ses lèvres. Tu n’es qu’une enfant jouant avec un feu qui la consumera.Je ne réponds pas.Les mots ne servent plus à rien.Ce combat est la dernière étape.Celle qui décidera du destin des âmes enchaînées à cette malédiction.Celle qui scellera mon propre sort.Les Ombres DéchaînéesGauvain attaque le premier.D’un geste, il invoque un torrent d’ombres qui s’élève autour de lui, déferlant vers moi comme une vague prête à m’engloutir.Je n’ai pas le temps de réfléchir.J’agis.Mon corps bouge avec une rapidité que je ne me connaissais pas, port
ÉléonoreDerrière moi, Andréas retient son souffle.— Ne le sous-estime pas, Éléonore, murmure-t-il.Comme si c’était possible.Je serre les poings, invoquant la magie qui pulse dans mes veines.Si je dois me battre, alors ce sera sans retenue.Je refuse d’être brisée.Pas par lui. Pas par eux.L’Attaque FoudroyanteGauvain ne me laisse pas le temps d’agir.Il tend la main, et une colonne d’ombre fuse vers moi.Je l’évite de justesse en me jetant sur le côté, sentant l’air vibrer sous l’impact.Le sol se crevasse là où j’étais quelques secondes plus tôt.— Pas mal, murmure-t-il. Mais pas suffisant.Il disparaît.Non, il se fond dans l’ombre.Mon cœur bondit.Je me retourne juste à temps pour voir sa silhouette réapparaître derrière moi.Trop tard.Il me frappe de plein fouet, un choc brutal qui m’envoie rouler sur le sol.La douleur explose dans mon corps.Je me redresse en grimaçant, le goût du sang dans ma bouche.Gauvain m’observe, le regard indéchiffrable.— Tu es lente.Je serre
ÉléonoreNous ne faisons que quelques pas avant que la porte du manoir ne s’ouvre brusquement.Ils sont là.Tous les Anciens.Le Conseil.Le poids de leurs regards me cloue sur place.Léandre s’avance le premier, son visage fermé, plus grave que jamais.— Éléonore Valmeray, annonce-t-il d’une voix qui fait frissonner l’air autour de nous.— Nous devons parler.Je n’ai pas le choix.Je le savais déjà.Un jugement sans appelLa salle est glaciale.Les chandeliers projettent des ombres mouvantes sur les murs de pierre, rendant l’atmosphère encore plus oppressante.Je me tiens droite face à eux, Andréas légèrement en retrait, prêt à intervenir à la moindre menace.Léandre me fixe longuement avant de prendre la parole.— Nous avons ressenti ce qui s’est passé.Un murmure parcourt l’assemblée.— Tu as touché à ce qui n’aurait jamais dû être réveillé.Je ne détourne pas le regard.— Je l’ai fait pour comprendre.Un silence.Puis un rire amer s’élève.— Comprendre ? répète une femme aux cheve