La nuit était tombée sur la petite ville, mais aucune lumière ne brillait dans la chambre d’Olivia. Elle était assise sur le rebord du lit, droite, les yeux ouverts, le dos tendu comme une lame. À ses pieds, son téléphone affichait un seul nom : Charles Dunning.
Elle n’avait pas prononcé ce nom à voix haute depuis plus de trois ans. L’avocat de la famille. Le bras droit de Margot. L’architecte silencieux de sa prison dorée. Jack dormait dans la chambre d’à côté avec Riley. Depuis la visite de Margot, un poids insupportable s’était abattu sur la maison. Même l’air semblait plus lourd. Chaque bruit suspect réveillait Jack en sursaut. Et Olivia… Olivia ne dormait plus du tout.
Alors, elle fit ce qu’elle redoutait le plus. Elle appuya sur « appeler ». La tonalité résonna dans le noir. Une, deux, trois fois. Puis une voix grave et glacée répondit, sans surprise : « Je me disais bien que tu finirais par te manifester. » « Je ne veux pas d’énigmes, Charles. Je veux des conditions. »
Un silence calculé suivit, puis : « Margot est prête à te faire une proposition. Elle veut ton retour. Officiel. Tu reprends ton nom, tu réapparais dans la presse comme la digne héritière Harper, tu fais le nécessaire pour dissiper les ‘malentendus’ du passé. En échange… elle oublie cette… aventure banlieusarde. Et elle ‘protège’ l’enfant. »
Olivia ferma les yeux. La formulation était si froide, si cynique. « Je veux quelque chose de plus. » « Vraiment ? Tu es bien en position pour négocier, tu sais. » « Je veux un accord écrit. Que Riley ne sera jamais inquiétée. Que Jack ne sera jamais ciblé. Que tout ce qui les concerne sera classé, enterré, oublié. Tu veux que je revienne ? Alors je viens. Mais seule. » « Je te rappelle demain. Tu sais ce que tu fais, Olivia ? » « Oui. Je signe avec le diable. »
Et elle raccrocha. Le lendemain matin, Jack trouva Olivia dans la cuisine, habillée sobrement, élégamment. Trop élégamment. Il la regarda, surpris. « Tu vas quelque part ? » Elle hésita, puis sourit faiblement.
« Je vais régler ça. » « Qu’est-ce que tu veux dire, régler ? Tu as parlé à elle ? » « Non. À Charles. » Jack se figea. « Tu plaisantes ? Tu ne vas pas faire ça, Olivia. » « Jack… je n’ai pas le choix. Elle a le pouvoir. Elle peut prendre Riley. Elle peut te broyer. Me salir. Tout renverser. » « Mais tu ne peux pas redevenir l’une des leurs. Tu as fui cette vie pour une raison. »
Elle baissa les yeux. « Je sais. Et je redeviendrai cette femme… pour quelques semaines. Le temps qu’ils signent. Le temps que je protège ce qu’on a. Ce que j’ai trouvé ici… » Sa voix se brisa. « Toi. Riley. Cette vie. C’est tout ce que j’ai. Je ne laisserai personne l’abîmer. Même si je dois m’effacer. »
Jack recula, choqué. « Tu crois que je vais te laisser faire ça ? Que je vais regarder celle que j’aime se sacrifier, seule ? » « Tu n’as pas le choix non plus. » Il la fixa longuement. Le silence entre eux était devenu tranchant. « Tu vas redevenir Harper. Et moi, je fais quoi ? J’attends ? » « Non, tu continues. Tu t’occupes de Riley. Tu me fais confiance. »« Et si je ne peux pas ? » Elle s’approcha. L’embrassa doucement. Comme une dernière fois. « Alors ce qu’on avait était déjà perdu. » Et elle partit.
Dans la voiture qui l’emmenait vers Manhattan, Olivia retrouva cette posture familière : dos droit, regard fixe, mâchoire serrée. Une armure qu’elle croyait avoir détruite. L’immeuble des Harper trônait au sommet de la Cinquième Avenue comme un palais invisible aux pauvres. Le hall était toujours aussi glacé. Des portraits de famille y veillaient comme des spectres. Margot l’attendait dans le salon principal. Verre de vin à la main, sourire carnassier.
« Enfin raisonnable. » Olivia la regarda sans ciller. « Où est le contrat ? » Margot sourit. « Sur le bureau. Mais tu ne veux pas d’abord qu’on parle… de ta garde-robe ? Tu vas devoir redevenir présentable. » « Je suis venue signer. Rien d’autre. » Margot haussa les épaules. « Toujours aussi farouche. »
Olivia s’empara du document, le parcourut, vérifia chaque clause. Tout y était. L’immunité de Jack. La protection de Riley. L’effacement de leur passé. À la dernière ligne, elle hésita, puis signa. Margot s’approcha, lentement. « Tu sais ce qui va suivre maintenant, ma chère ? Tu vas redevenir la princesse. Les projecteurs. Les galas. Les décisions. Les conseils d’administration. Tout ce que tu as fui. »
Olivia la regarda droit dans les yeux. « Et toi, tu sais ce que tu viens de déclencher ? » « Un retour glorieux. » « Non. Une guerre. » Mais ce qu’Olivia ignorait encore, c’est qu’au moment même où elle signait ce pacte silencieux, une photo était envoyée à Jack. Une photo prise au téléobjectif. Elle, pénétrant dans la tour Harper. Un message l’accompagnait : « Elle t’a trahi. Elle est revenue là où elle appartient. » Et à cet instant précis… quelque chose en Jack se fissura.
La nuit tomba sur la Vallée du Sel comme un voile de cendres, mais dans le Berceau, une lueur persistait. Les parois, chargées d'histoires et d'empreintes, pulsaient lentement comme une respiration millénaire. Riley, debout au centre du sanctuaire, fixait les autres. Ils étaient sept autour d'elle : Mira, Amma, Eliah, Jack, les deux Errants, et une silhouette nouvelle, apparue à l'aube, vêtue de haillons et portant une flamme silencieuse dans les yeux.Il se présenta comme Ivar. Un rescapé d'un ancien sanctuaire, disparu depuis des cycles. Son savoir était fragmentaire, mais il parlait d'une prophétie : « Lorsque les cendres se lèveront, le vent jugera les cœurs et les intentions. Et seuls ceux qui n'ont rien réclamé pourront transmettre. »Amma fronça les sourcils, encore une prophétie ? Nous venons à peine de détruire un système fondé sur les dogmes.Mais Ivar secoua la tête, ce n'est pas une croyance. C'est un signal. Le vent parle. Et il vient.Dans le ciel, au-dessus de la vallée
Le ciel était strié de nuages denses, aux reflets cuivre, comme si la mémoire du monde elle-même avait entamé sa lente descente vers l’oubli. Mais sous terre, dans les galeries du Berceau, une autre dynamique était à l’œuvre : les fragments du passé, les voix longtemps dispersées, se rassemblaient.Jack arriva le premier, épuisé, amaigri, les yeux hantés par des mois de fuite et de sacrifices. Il se tenait à l’entrée du sanctuaire, hésitant. Lorsqu’il vit Riley, figée devant un mur de pierre vibrante, il sentit son souffle se suspendre. Non pas parce qu’elle était sa fille, mais parce qu’elle était devenue quelque chose de plus grand. Elle était le pont entre ce qui avait été détruit et ce qui pouvait être reconstruit.Il s’avanca, silencieusement. Riley se retourna, leurs regards se croisèrent. Pas de mots. Juste cette certitude qu’ils étaient encore en vie, encore humains, encore debout. Jack toucha la paroi, ressentant une onde parcourir ses veines, un souvenir qui n’était pas le s
Le sud s’ouvrait devant eux comme un livre aux pages blanches, vibrant d’un soleil pâle filtré par les cendres suspendues. Riley, Eliah, et les deux Errants progressaient lentement, laissant derrière eux les ruines d’un monde où chaque mot avait été pesé, chaque souvenir dicté. Devant eux, le silence.La vallée du Sel, que les cartes anciennes désignaient comme une terre morte, s'était transformée en un vaste sanctuaire désertique. Au loin, les formations rocheuses ressemblaient à des statues fondues, comme si des géants avaient péri là, figés par un souffle divin. Selon les rumeurs, les cavernes se trouvaient au fond d’un ravin invisible sur les cartes du Codex. Un lieu à lécart des anciens flux, protégé par l’oubli.Les jours s’enchaînèrent, éreintants. Eliah se montrait attentif, veillant sur Riley d’un regard discret, tandis que les Errants partageaient leurs maigres connaissances des lieux. Chaque soir, autour du feu, les récits circulaient : souvenirs volés, mythes anciens, frag
La brume qui s'élevait lentement sur les berges du lac noirissait l'horizon d'une mélancolie sourde. Dans le silence matinal, les pas de Riley crissaient contre les gravillons humides. Elle s'était levée avant les autres, fuyant l’étroit cocon de l’abri de fortune qu’ils avaient dressé à la hâte. Depuis la fin du Codex et la chute de Clio, tout semblait se détacher peu à peu : les certitudes, les alliances, et même les liens du sang.Jack était resté silencieux depuis leur arrivée au camp improvisé. Les lignes de son visage s'étaient durcies, comme figées dans un éternel hiver. Riley n'avait pas osé lui adresser un mot. Elle savait que l'heure des choix approchait. Et que certains adieux ne se prononcent pas.Mira l'avait rejointe peu après, une couverture encore autour des épaules. Elle ne dit rien d'abord. Puis, en regardant l'eau sombre :— Il va falloir partir.Riley hocha la tête. Elle aussi le sentait. L'organisation des Refusés se fragmentait. Certains parlaient de rejoindre le
Le vent du plateau tibétain soufflait fort, comme pour repousser les intrus. La neige n’était plus celle de l’hiver, mais celle d’un secret trop longtemps gardé. En contrebas, enfoui sous des strates de roche et d’oubli, le Dôme Intérieur émergeait comme une cicatrice dans la montagne.Riley posa les yeux sur l’entrée effondrée. Il ne restait qu’un pan de béton creusé, un demi-symbole gravé : un œil fermé, barré d’une ligne. Le signe des Refusés. Ceux qu’on n’avait pas seulement testés, mais niés.— Tu es sûre ? demanda Asha.— J’ai reconnu l’endroit. Je l’ai vu en rêve, des années durant. Mais ce n’étaient pas des rêves. C’étaient des fragments.Elle s’agenouilla et glissa les doigts dans la poussière gelée. Soudain, une pulsation résonna sous la roche. Le sol vibra doucement, comme une respiration enfouie. Le Dôme n’était pas mort. Il attendait.Le groupe descendit lentement dans le boyau d’accès. L’air se faisait plus dense à mesure qu’ils avançaient, saturé de silence et de souven
L’aube s’était levée sur l’océan, embrassant la mer d’un rouge voilé. Le submersible avançait lentement vers une base improvisée sur une île oubliée, loin des réseaux satellites et des regards scrutateurs. Riley observait les reflets dans l’eau depuis la lucarne du poste de repos. Tout en elle vibrait encore du choc intérieur. Ils avaient détruit une forteresse de Clio, un sanctuaire des doubles, mais la paix ne venait pas.Il restait encore un verrou. Et il n’était ni technologique, ni militaire. Il était humain. Et profondément intime. Le retour à la base fut silencieux. Elian et Mei travaillaient déjà à croiser les données arrachées à la base chilienne : des noms de mécènes, des fragments codés dans des banques privées, des protocoles de survie de Clio. Mais surtout, une anomalie. Une signature.Un code génétique que Riley reconnut immédiatement : le sien. Et rattaché à ce code, un seul nom, un seul dossier verrouillé : Le Projet Lyra.— Pourquoi ce nom ? demanda Soren, les yeux fi