La photo tournait en boucle sur l’écran. Olivia, au tailleur crème, lunettes de soleil, démarche assurée. Elle franchissait les portes du bâtiment Harper, escortée par deux hommes en costume. Le tout envoyé depuis un numéro inconnu, avec un message froid comme une lame : « Elle t’a trahi. Elle est revenue là où elle appartient. »
Jack resta figé. Le téléphone tremblait entre ses doigts. Riley jouait dans la pièce voisine, insouciante, une poupée à la main. Et lui, cloué à sa chaise, n’arrivait plus à respirer. Il relut le message. Encore. Puis agrandit la photo. Aucune erreur possible. C’était bien Olivia. Pas une imposture. Pas un montage. Mais elle.
Et soudain, tout ce qu’il croyait comprendre s’effondra. Comme une maison bâtie sur du sable. Pendant des heures, Jack tourna en rond dans la maison. Il vérifia l’heure de l’envoi. 10 h 47. Exactement le moment où Olivia lui avait dit qu’elle allait « régler les choses ». Pas un mot sur une visite aux Harper. Pas une explication.
Il tenta de l’appeler. Trois fois. Boîte vocale. Des flashs lui revinrent. Les silences. Les regards évités ces derniers jours. Le sac qu’elle avait rangé en cachette. Le ton qu’elle avait pris ce matin-là, résigné, presque fataliste. Et cette phrase : « Si tu devais choisir entre ta fille et moi…»
Jack ferma les yeux. Elle savait. Elle préparait déjà son départ. Il n’y avait plus de doute possible. Elle l’avait abandonné. La colère le frappa comme une gifle.
Comment avait-il pu être aussi naïf ? Il l’avait laissée entrer dans sa vie, dans celle de sa fille, il lui avait ouvert son cœur. Il avait osé croire qu’un homme comme lui pouvait séduire une femme comme elle, douce, drôle, intelligente, mystérieuse, sans que ce soit trop beau pour être vrai.
Mais il aurait dû savoir. Les gens comme Olivia Harper ne fuient pas leur monde. Ils l’utilisent. Peut-être avait-elle vu en lui une distraction. Un abri temporaire. Un moyen de se faire oublier. Peut-être même avait-elle envisagé de rester… avant de se raviser.
Avant de se souvenir de ce qu’elle était. Et maintenant, elle retournait à sa place. Là où elle appartenait. Là où il n’avait jamais été le bienvenu. Le soir, Jack ne toucha pas à son dîner. Riley, elle, le regardait avec inquiétude.
« Papa, pourquoi t’es triste ? » Il força un sourire. « Je suis juste fatigué, ma chérie. » « Elle va revenir, Olivia ? » Jack ravala un frisson. Il détestait cette question. Détestait l’idée qu’un jour, sa fille se poserait les mêmes que lui : Pourquoi elle est partie ? Est-ce que c’était de ma faute ? Est-ce que je n’étais pas assez bien ? Il se força à rester calme.
« Je ne sais pas. » Riley baissa les yeux, et alla chercher la poupée qu’Olivia lui avait offerte.
« Elle a dit qu’elle m’aimait. » Jack sentit son cœur se fissurer un peu plus. Il se leva brusquement, sortit sur le perron et alluma une cigarette. Il n’avait pas fumé depuis trois ans. Mais là, c’était plus fort que lui.La nuit était tombée. Froide. Silencieuse. Et il sentit la solitude comme un poids dans sa poitrine. Vers minuit, son téléphone vibra. Un message. D’un autre numéro inconnu. « Tu n’as encore rien vu, Jack. Tu veux protéger ta fille ? Ouvre les yeux. »
Un lien, un fichier P*F joint. Jack hésita, puis ouvrit. C’était un document juridique. Une demande de reconnaissance de tutelle parentale alternative… au nom de la Fondation Harper. Avec mention d’une clause visant à assurer « la sécurité morale et éducative de l’enfant concernée ».
Le nom de Riley y figurait. Et en bas… une signature. Froide, officielle : Olivia Harper. Jack laissa tomber le téléphone. Cette fois, il n’y avait plus de place au doute. Elle ne l’avait pas seulement trahi. Elle avait donné sa fille à sa famille. Officiellement. Légalement. Une rage sourde s’alluma en lui. Mais derrière la rage… une douleur ancienne refaisait surface. Celle de l’homme abandonné. De l’amoureux trahi. Du père impuissant.
Il se leva. Sa décision était prise. S’il fallait se battre pour sa fille, il se battrait. Mais il ne ferait plus jamais confiance à Olivia. Plus jamais. Le bureau de Margot était resté identique à ce que ses souvenirs lui soufflaient : froid, géométrique, sans âme. Un temple du contrôle.
Olivia s’y tenait droite, le regard fixe, une tasse de café à la main qu’elle ne touchait pas. Charles Dunning entrait à peine dans la pièce que l’air semblait se contracter. Toujours impeccable dans son costume trois pièces, son attaché-case brillant d’un cuir trop bien nourri, il tendit une pile de dossiers à Margot sans la regarder. Margot, elle, souriait comme une reine face à sa conquête. « Tu fais des merveilles à la presse, ma chérie. La Une du New York Tribune… ‘Le Retour de l’Héritière’. »
Olivia ne répondit pas. Elle observait les papiers. Des coupures d’articles. Des photos de galas à venir. Un programme chargé de réapparitions publiques, de discours à lire, de mains à serrer. Elle y était déjà. Enfermée dans la cage dorée. Margot feignit un soupir attendri : « Tu as toujours été douée pour sourire quand il le faut. » « Je ne suis pas ici pour sourire. Je suis ici pour en finir. »
Margot haussa un sourcil : « C’est ce que tu crois, ma douce. Mais les choses ont un peu changé depuis que tu as apposé ta signature. » « Comment ça, changé ? » Charles s’éclaircit la gorge, feuilletant un document : « Nous avons pris quelques mesures préventives. La Fondation Harper a entamé une procédure pour intégrer légalement Riley à son arbre successoral. Dans un cadre strictement protecteur, bien entendu. »
Le monde s’arrêta. « Qu’est-ce que tu viens de dire ? » « Ta fille, Olivia. Elle est l’unique descendante vivante de la branche Harper. Techniquement, sa place est dans le giron familial. Dans notre système. Dans notre monde. » « Ce n’est pas votre monde ! Elle n’a rien à voir avec vous ! »
Olivia se leva brutalement. Margot resta assise, impassible, comme si elle attendait cette explosion depuis le début. « Tu savais que je signerais pour les protéger, Margot. Tu savais que je mettrais mes principes de côté pour eux. Et tu as profité de ça. Tu m’as piégée. » « Je t’ai rappelée à ta place. »
Le silence devint électrique. « Jack sait ? » demanda Olivia d’une voix blanche. Margot sourit « Il a reçu les documents, oui. Il sait que tu les as signés. » Olivia chancela : « Je n’ai jamais autorisé ça. Vous avez falsifié ma signature ? »
Charles haussa les épaules : « Tu nous as donné tous les droits nécessaires en signant le premier document. La clause secondaire 13-B, en annexe. » Olivia sentit un goût amer dans sa bouche. « Vous avez prévu ça depuis le début. Tout ce cirque, tout ce faux accord… C’était une embuscade. »
Margot se leva enfin, contourna le bureau, et s’approcha d’elle avec un calme clinique. « Ma fille. Tu as cru que tu pouvais nous fuir ? Te perdre dans la banlieue ? Élever une enfant Harper dans l’anonymat et la médiocrité ? Ce n’était qu’un rêve. Et tu le paies maintenant. »
Olivia sentit le vertige. Mais une autre sensation montait aussi en elle. Quelque chose qu’elle n’avait pas ressenti depuis longtemps. De la rage. Pas une rage incontrôlable, non. Une fureur froide. Une détermination glaciale. Elle recula d’un pas. « Si vous touchez à Riley, je vous détruis. »
Margot haussa les épaules. « Tu n’as plus de levier, Olivia. Tu es revenue dans notre jeu. Maintenant, tu joues avec nos règles. » Olivia se contenta de sourire. « Vous m’avez oubliée trop vite. Vous croyez que je suis celle qui obéit. Mais moi aussi, j’ai appris à jouer. Et je suis prête à perdre beaucoup… pour que vous perdiez tout. »
Elle claqua la porte derrière elle, sortit du bâtiment Harper sans un mot. Dans l’ascenseur, elle tremblait. Pas de peur. De haine. Elle savait qu’il était trop tard pour les compromis. Elle prit son téléphone. Pas pour appeler Jack. Elle savait que c’était inutile, pour l’instant.
Mais elle tapa un autre nom. Un contact oublié. Enterré dans ses années d’ombre. Une femme. Une journaliste qu’elle avait aidée, jadis, à faire tomber un magnat du pétrole pour corruption. Une femme qui devait encore lui devoir un gros service.
Elle laissa un message vocal bref : « C’est Olivia Harper. J’ai une histoire à vendre. Une vraie bombe. Et un empire à faire tomber. Tu es toujours intéressée par les monstres de ce monde ? » Puis elle raccrocha. Elle venait de déclarer la guerre.
La nuit tomba sur la Vallée du Sel comme un voile de cendres, mais dans le Berceau, une lueur persistait. Les parois, chargées d'histoires et d'empreintes, pulsaient lentement comme une respiration millénaire. Riley, debout au centre du sanctuaire, fixait les autres. Ils étaient sept autour d'elle : Mira, Amma, Eliah, Jack, les deux Errants, et une silhouette nouvelle, apparue à l'aube, vêtue de haillons et portant une flamme silencieuse dans les yeux.Il se présenta comme Ivar. Un rescapé d'un ancien sanctuaire, disparu depuis des cycles. Son savoir était fragmentaire, mais il parlait d'une prophétie : « Lorsque les cendres se lèveront, le vent jugera les cœurs et les intentions. Et seuls ceux qui n'ont rien réclamé pourront transmettre. »Amma fronça les sourcils, encore une prophétie ? Nous venons à peine de détruire un système fondé sur les dogmes.Mais Ivar secoua la tête, ce n'est pas une croyance. C'est un signal. Le vent parle. Et il vient.Dans le ciel, au-dessus de la vallée
Le ciel était strié de nuages denses, aux reflets cuivre, comme si la mémoire du monde elle-même avait entamé sa lente descente vers l’oubli. Mais sous terre, dans les galeries du Berceau, une autre dynamique était à l’œuvre : les fragments du passé, les voix longtemps dispersées, se rassemblaient.Jack arriva le premier, épuisé, amaigri, les yeux hantés par des mois de fuite et de sacrifices. Il se tenait à l’entrée du sanctuaire, hésitant. Lorsqu’il vit Riley, figée devant un mur de pierre vibrante, il sentit son souffle se suspendre. Non pas parce qu’elle était sa fille, mais parce qu’elle était devenue quelque chose de plus grand. Elle était le pont entre ce qui avait été détruit et ce qui pouvait être reconstruit.Il s’avanca, silencieusement. Riley se retourna, leurs regards se croisèrent. Pas de mots. Juste cette certitude qu’ils étaient encore en vie, encore humains, encore debout. Jack toucha la paroi, ressentant une onde parcourir ses veines, un souvenir qui n’était pas le s
Le sud s’ouvrait devant eux comme un livre aux pages blanches, vibrant d’un soleil pâle filtré par les cendres suspendues. Riley, Eliah, et les deux Errants progressaient lentement, laissant derrière eux les ruines d’un monde où chaque mot avait été pesé, chaque souvenir dicté. Devant eux, le silence.La vallée du Sel, que les cartes anciennes désignaient comme une terre morte, s'était transformée en un vaste sanctuaire désertique. Au loin, les formations rocheuses ressemblaient à des statues fondues, comme si des géants avaient péri là, figés par un souffle divin. Selon les rumeurs, les cavernes se trouvaient au fond d’un ravin invisible sur les cartes du Codex. Un lieu à lécart des anciens flux, protégé par l’oubli.Les jours s’enchaînèrent, éreintants. Eliah se montrait attentif, veillant sur Riley d’un regard discret, tandis que les Errants partageaient leurs maigres connaissances des lieux. Chaque soir, autour du feu, les récits circulaient : souvenirs volés, mythes anciens, frag
La brume qui s'élevait lentement sur les berges du lac noirissait l'horizon d'une mélancolie sourde. Dans le silence matinal, les pas de Riley crissaient contre les gravillons humides. Elle s'était levée avant les autres, fuyant l’étroit cocon de l’abri de fortune qu’ils avaient dressé à la hâte. Depuis la fin du Codex et la chute de Clio, tout semblait se détacher peu à peu : les certitudes, les alliances, et même les liens du sang.Jack était resté silencieux depuis leur arrivée au camp improvisé. Les lignes de son visage s'étaient durcies, comme figées dans un éternel hiver. Riley n'avait pas osé lui adresser un mot. Elle savait que l'heure des choix approchait. Et que certains adieux ne se prononcent pas.Mira l'avait rejointe peu après, une couverture encore autour des épaules. Elle ne dit rien d'abord. Puis, en regardant l'eau sombre :— Il va falloir partir.Riley hocha la tête. Elle aussi le sentait. L'organisation des Refusés se fragmentait. Certains parlaient de rejoindre le
Le vent du plateau tibétain soufflait fort, comme pour repousser les intrus. La neige n’était plus celle de l’hiver, mais celle d’un secret trop longtemps gardé. En contrebas, enfoui sous des strates de roche et d’oubli, le Dôme Intérieur émergeait comme une cicatrice dans la montagne.Riley posa les yeux sur l’entrée effondrée. Il ne restait qu’un pan de béton creusé, un demi-symbole gravé : un œil fermé, barré d’une ligne. Le signe des Refusés. Ceux qu’on n’avait pas seulement testés, mais niés.— Tu es sûre ? demanda Asha.— J’ai reconnu l’endroit. Je l’ai vu en rêve, des années durant. Mais ce n’étaient pas des rêves. C’étaient des fragments.Elle s’agenouilla et glissa les doigts dans la poussière gelée. Soudain, une pulsation résonna sous la roche. Le sol vibra doucement, comme une respiration enfouie. Le Dôme n’était pas mort. Il attendait.Le groupe descendit lentement dans le boyau d’accès. L’air se faisait plus dense à mesure qu’ils avançaient, saturé de silence et de souven
L’aube s’était levée sur l’océan, embrassant la mer d’un rouge voilé. Le submersible avançait lentement vers une base improvisée sur une île oubliée, loin des réseaux satellites et des regards scrutateurs. Riley observait les reflets dans l’eau depuis la lucarne du poste de repos. Tout en elle vibrait encore du choc intérieur. Ils avaient détruit une forteresse de Clio, un sanctuaire des doubles, mais la paix ne venait pas.Il restait encore un verrou. Et il n’était ni technologique, ni militaire. Il était humain. Et profondément intime. Le retour à la base fut silencieux. Elian et Mei travaillaient déjà à croiser les données arrachées à la base chilienne : des noms de mécènes, des fragments codés dans des banques privées, des protocoles de survie de Clio. Mais surtout, une anomalie. Une signature.Un code génétique que Riley reconnut immédiatement : le sien. Et rattaché à ce code, un seul nom, un seul dossier verrouillé : Le Projet Lyra.— Pourquoi ce nom ? demanda Soren, les yeux fi