Lié à la déesse de la nuit

Le village de Thalor s’étendait au creux d’une vallée oubliée du temps, lové au bord d’une forêt millénaire où le vent semblait murmurer des secrets anciens. Les maisons, bâties en pierre grise et en bois patiné, s’égrenaient le long d’un sentier étroit qui serpentait vers les collines sombres. La lumière des lanternes jetait des éclats vacillants sur les murs, et l’air était doux, chargé d’odeurs de sapin, de mousse humide et de terre fraîche.

C’était une nuit calme, presque irréelle, comme suspendue entre le crépuscule et l’aube. Les étoiles brillaient d’un éclat clair, perçant la voûte céleste d’un diamant pur. Pourtant, au cœur de cette tranquillité apparente, une agitation sourde grondait — imperceptible aux oreilles des villageois, mais bien réelle pour ceux qui savaient écouter.

Je dormais d’un sommeil agité dans ma petite chambre, sous le toit pentu de la maison familiale. La fenêtre était grande ouverte sur la nuit, et la fraîcheur nocturne caressait mon visage, éveillant mes sens sans me tirer pleinement de mon rêve.

J’avais vingt ans ce soir-là. Vingt ans révolus. Un âge symbolique dans le village, qui marquait le passage de l’enfance à l’âge adulte, la fin des jeux innocents et le début des responsabilités. Mais pour moi, cette nuit aurait dû être comme les autres, sans signe, sans éclat, sans mystère.

Pourtant, dans mon sommeil, quelque chose d’invisible et d’inconnu agitait mes veines. Une force douce et pourtant puissante, comme un souffle venu d’un autre monde.

Au creux de mon poignet gauche, une sensation étrange grandit. Un picotement chaud, presque brûlant, qui se transforma rapidement en une pression légère, comme si une plume s’y posait et y dessinait un signe. Je me retournai dans mon lit, grimaçant, sans comprendre ce qui se passait. Mon bras tressaillit, et une lumière noire, faible mais intense, se mit à pulser sous ma peau.

J’ouvris les yeux, me redressant d’un coup, surpris. Sous la lueur argentée de la lune, j’aperçus sur ma peau une marque que je n’avais jamais vue. Un symbole ancien, formé de courbes entrelacées et de pointes fines, semblait flotter légèrement au-dessus de ma chair, émettant une lueur ténue, mouvante.

Mon souffle s’accéléra, empli de panique. Je portai la main à mon poignet, tremblant, le cœur battant à tout rompre.

« Qu’est-ce que c’est… ? » murmurai-je, la voix étranglée par l’angoisse. J’avais l’impression que mon corps échappait à mon contrôle, comme si la marque s'était éveillée à une vie propre.

La maison était silencieuse, mais le poids de ce secret pesait lourdement sur moi. Chaque battement de mon cœur résonnait dans mes oreilles, et je sentis une vague de terreur me submerger. Quelle était cette marque ? Pourquoi moi ? Quelque chose venait de changer, quelque chose d’irréversible.

Je tentai de me lever, mais mes jambes fléchirent sous moi. Une force invisible me retenait, m’emprisonnait. Mes pensées s’embrouillaient dans un tourbillon de questions. Dans un coin de ma mémoire, un mot, un nom, résonnait faiblement : « Nyxia. »

La panique me saisit. Je secouai la tête, essayant de chasser cette idée. Mais le nom s’accrochait à moi, menaçant. 

Finalement, me redressant avec détermination, je me précipitai vers la porte de ma chambre. Je devais sortir, voir si tout cela n’était qu’un rêve. Poussant la porte, je me glissai dans le couloir, mes pieds nus silencieux sur le parquet. Chaque ombre semblait m’observer, chaque craquement de la maison résonnait comme un avertissement. 

J’atteignis l’entrée de la maison et ouvris la porte. L’air frais de la nuit m’enveloppa, et j’inspirai profondément, cherchant à calmer mon cœur affolé. La lune baignait le village d’une lumière argentée, transformant chaque détail en une silhouette de rêve. Je me dirigeai rapidement vers la maison de ma tante Maele, une bâtisse voisine, dont la lumière était encore allumée.

Je frappai à la porte, mon poing tremblant d’excitation et de peur. J’espérais que Maele, avec sa sagesse et ses connaissances des légendes, pourrait m’aider à comprendre ce qui m’arrivait. Lorsque la porte s'ouvrit, j'aperçus le visage inquiet de ma tante, ses yeux pleins de tendresse. 

« Elian, mon chéri, que se passe-t-il ? » demanda-t-elle, fronçant les sourcils, percevant l’urgence dans mon regard.

« Tante Maele, je… je ne comprends pas… » balbutiai-je, ma voix tremblante. « Il m’est arrivé quelque chose. Regarde ! » Je montrai mon poignet, où la marque pulsait doucement, émettant une lueur mystérieuse.

Les yeux de Maele s’agrandirent de surprise, puis d’inquiétude. « Qu’est-ce que c’est ? » murmura-t-elle, prenant ma main dans la sienne, comme pour mieux observer le symbole. « Comment as-tu eu cela ? »

Je, la voix à peine plus qu’un souffle, expliquai ce que j’avais ressenti, la chaleur, l’éveil de cette force en moi, et le nom de Nyxia qui résonnait dans mon esprit. « Je me sens… différent. Comme si quelque chose de grand allait se produire. Je ne sais pas quoi faire ! »

Maele me fixa intensément, une lueur d'inquiétude dans ses yeux. « Nous devons comprendre ce qui t’arrive. Cette marque… elle n’est pas anodine. Elle peut être le signe d’un héritage ancien, quelque chose qui remonte à nos ancêtres. Suis-moi, nous devons agir rapidement. » 

Je sentis un frisson me parcourir. La panique ne me quittait pas, mais avec ma tante à mes côtés, je savais que je n'étais pas seul dans cette épreuve. Ensemble, nous allions plonger dans les mystères qui nous attendaient.

Maele m’entraîna à travers le village, nos pas résonnant doucement sur les pavés. Je sentais la panique monter en moi à chaque pas. J’avais toujours eu une relation étroite avec mes parents, mais cette révélation, ce symbole, cela les effrayerait peut-être. Pourtant, je savais que je n’avais pas le choix.

Nous arrivâmes à la maison de mes parents, et Maele frappa doucement à la porte. Après quelques instants, Anya, ma mère, apparut, ses yeux encore embrumés de sommeil. 

« Que se passe-t-il ? » demanda-t-elle, inquiète en voyant l’expression grave sur le visage de sa sœur et de son fils.

« Maman, il faut que tu écoutes, » commença Elian, sa voix tremblante. « J’ai découvert quelque chose d’étrange sur mon poignet… »

Je levai la main pour montrer la marque lumineuse. Le visage de ma mère se décomposa alors qu’elle réalisait ce que je lui montrais. Toren, mon père, accourut à son tour, attiré par l’agitation. 

« Qu’est-ce qui se passe ? » demanda-t-il, le regard inquiet. 

Maele prit la parole, expliquant rapidement la situation, tandis que je me tenais là, anxieux. « C’est la marque de Nyxia, » ajouta-t-elle, et à cet instant, un silence lourd s’installa dans la pièce.

Le nom résonna comme une cloche, et l’atmosphère se chargea de tension. Les yeux de Toren s’agrandirent, et il échangea un regard alarmé avec Anya. 

« Nyxia… » murmura Toren, sa voix grave, « la déesse de la nuit. » 

Je blêmis, le poids de cette révélation pesant lourdement sur mes épaules. « Que signifie cela ? »

« Nyxia est un symbole de pouvoir et de mystère, » expliqua Toren, le regard perdu dans ses pensées. « Son nom est lié aux légendes de notre peuple, des histoires de gardiens et de luttes pour l’équilibre. Mais elle est aussi crainte, car elle incarne les forces de la nuit. »

Je blémis, le poids de cette révélation pesant lourdement sur mes épaules. « Que dois-je faire ? »

« Tu dois en parler au conseil du village demain matin, » répondit Toren, prenant une profonde inspiration. « Ils sauront quoi faire. C’est une situation grave, et il vaut mieux que nous agissions rapidement. »

Maele hocha la tête, son visage empreint de sérieux. « Il est important que tu restes calme, Elian. Ce que tu as ressenti et ce que tu portes sur toi ne sont pas à prendre à la légère. Mais nous devons agir avec sagesse. »

J’acquiesçai, le cœur battant. L’idée de me retrouver face au conseil, de devoir expliquer ce que je vivais, me terrifiait. Mais je savais que je n’avais pas le choix. La nuit était loin d’être finie, et le poids de la marque sur mon poignet semblait s’alourdir, comme un appel à l’action.

« Repose-toi maintenant, » dit Anya, posant une main douce sur mon épaule. « Nous affronterons cela ensemble. »

Je retournai dans ma chambre, le cœur lourd mais déterminé. Les étoiles brillaient encore par la fenêtre, comme autant de témoins silencieux de mon destin. Le serment oublié était sur le point de se réveiller, et je savais que ma vie ne serait plus jamais la même.