Le vent s’était levé sur Héméra, violent et chargé d’une moiteur étrange. Les pins gémissaient sous les rafales, et la brume tombée dès la fin de l’après-midi n’avait pas quitté le sol. Elle rampait autour des maisons, s’accrochait aux clôtures, s’infiltrait sous les portes. Même les chiens refusaient d’aboyer, comme s’ils percevaient quelque chose que les humains ne pouvaient voir.
Alma s’était enfermée dans sa chambre, les mains encore tremblantes depuis sa rencontre avec Karn. Ses vêtements portaient l’odeur de la forêt — une odeur d’écorce humide, de sueur, et de sang ancien. Elle n’avait pas osé parler. Ni à Liora. Ni à personne. Le secret était devenu un fardeau brûlant, et pourtant, une partie d’elle refusait de le lâcher. Elle sortit la boîte rouge du tiroir du bureau de sa grand-mère. Elle hésita un instant, le cœur battant. Puis elle souleva le couvercle. À l’intérieur, un carnet en cuir, relié de corde grossière, attendait. Une plume y était glissée, recourbée et noire comme une nuit sans lune. Sur la première page, une écriture nerveuse et hachée : « Si tu lis ces lignes, c’est que tu es prête à voir ce que ta famille a voulu enfouir. Mon nom est Daël. Et je suis ton père. » Les heures passèrent, suspendues. Chaque page était un fragment de vie volé. Des confessions déchirantes. Daël parlait de son enfance, élevé par une meute éclatée, de sa première transformation à l’âge de treize ans, de la douleur d’être rejeté par les siens lorsqu’il refusa de rejoindre Ezral. Puis vint la rencontre avec Iseult, cette femme forte, cette sorcière des bois que les autres appelaient « la Louve Blanche ». Leurs amours étaient interdites. Leurs serments, fragiles. Et la naissance d’Alma fut une déflagration. « Elle avait les yeux des deux mondes. Le calme de sa mère, mais la rage de mon sang. Elle grandira sans moi. C’est le choix qu’Iseult a fait. Pour la protéger. » Mais la suite changea tout. « J’ai tenté de fuir avec elles. Iseult hésitait. Ezral le savait. Il a envoyé Karn. Et c’est Iseult… c’est elle qui m’a planté la dague. Pour empêcher le lien. Pour sauver l’enfant. Je suis mort en l’aimant, mais trahi par l’amour. » Alma lâcha le carnet. Des larmes chaudes coulaient sur ses joues. Sa gorge était sèche. Elle suffoquait. La brume derrière sa fenêtre s’était épaissie, comme si elle montait du sol. Elle ouvrit légèrement la vitre, cherchant de l’air. C’est alors qu’elle les entendit. Des hurlements. Pas des cris humains. Des hurlements de bête. Multiples. Proches. Et le pire, c’est qu’elle comprenait. Ils ne hurlaient pas à la lune. Ils l’appelaient. Alma descendit les escaliers à toute vitesse, manquant de trébucher. Liora était dans la cuisine, les mains couvertes de farine, figée devant la radio allumée. Une voix paniquée crépitait à travers le haut-parleur : « … une scène macabre… le garde forestier Lucien Brel retrouvé mort à l’entrée du bois maudit… son cœur a été arraché… des empreintes… impossibles à identifier… nous appelons la population à rester confinée… » Liora se retourna, le regard foudroyant. — Alma… où étais-tu cette nuit ? Alma sentit sa gorge se nouer. — Je… j’ai eu besoin de marcher. D’être seule. Liora s’approcha, posant ses deux mains sur les épaules de la jeune fille. — Écoute-moi bien. Quelque chose se réveille dans ces bois. Ta grand-mère le savait. Elle a protégé la maison avec des symboles que tu ne dois jamais effacer. Et toi… tu dois me dire la vérité. Alma n’eut pas le courage de mentir. Elle raconta tout. Karn. Le cercle. La potion. Le carnet. Elle montra même le Cœur de Lune, maintenant tiède, comme s’il vivait. Le silence qui suivit fut long. Trop long. — Je t’ai menti, dit Liora enfin, la voix brisée. Je n’étais pas seulement la sœur d’Iseult. J’étais sa gardienne. Son ombre. Celle qui a aidé à enfermer la vérité… et qui doit aujourd’hui t’aider à l’affronter. Elle se dirigea vers le salon, souleva le vieux tapis, et traça un cercle avec une poudre argentée. Des symboles anciens jaillirent des lattes du plancher. — Ce soir, ils vont venir. Pas pour parler. Pas pour t’avertir. Ils vont vouloir te prendre. Tu portes leur sang, Alma. Mais tu n’es pas encore des leurs. Et tant que ce choix reste à faire… ils te chasseront. Un hurlement plus fort déchira alors la nuit. Cette fois, plus proche. Beaucoup plus proche. Liora prit Alma par le bras. — Suis-moi. Et ne te retourne pas. Pas tant que tu n’auras pas vu les yeux de la vérité. Elles sortirent dans la brume. Les arbres semblaient danser autour d’elles. Des ombres galopaient entre les troncs. Des râles. Des froissements. Des griffes sur l’écorce. Soudain, une silhouette surgit devant elles. Massive. Poilue. Les crocs luisants. Un loup gigantesque, aux yeux argentés. Ce n’était pas Karn. C’était Ezral. Et cette fois, il n’était pas venu seul.Chapitre 24 : Les griffes de la douleurLa clairière de la cascade de Palmarès était un chaos de hurlements, de flammes argentées et d’ombres mouvantes. L’autel, ranimé par les incantations de Lysa, pulsait d’une lueur rouge sang, son énergie alimentant les créatures d’ombre qui harcelaient la Meute de l’Ombre. Les chasseurs de l’Ordre de l’Aube d’Argent, armés de leurs lances d’argent noir et de flèches d’Argent Ardent, resserraient leur étau, leurs tactiques alchimiques semant la désolation. Lena, le médaillon brûlant contre sa poitrine, sentait le lien de la meute vaciller sous le poids des blessures et de la peur. Chaque hurlement de douleur, chaque cri de rage, résonnait en elle comme une blessure physique.Rune, à ses côtés, saignait d’une entaille au flanc, son pelage noir taché de rouge. Sigrid, une flèche d’Argent Ardent fichée dans l’épaule, grognait en maintenant sa position. Théo, le visage crispé par la douleur de sa jambe brûlée, protégeait Mara, dont les runes protectri
Chapitre 23 : Le feu de l’AubeLa clairière de la cascade de Palmarès, baignée par la lumière argentée de la pleine lune, était devenue un champ de bataille chaotique. Les créatures d’ombre, mi-loups, mi-spectres, surgies du sanctuaire éveillé, rôdaient aux abords, leurs yeux rougeoyants scintillant dans la brume. Lena, le médaillon pulsant contre sa poitrine, se tenait au centre de la Meute de l’Ombre, le lien vibrant comme un battement de cœur collectif. Rune, à ses côtés, grognait, ses griffes prêtes à frapper. Mais les chasseurs de l’Ordre de l’Aube d’Argent, loin de battre en retraite, se réorganisaient avec une discipline glaçante, leurs armes d’argent noir luisant d’une lueur mortelle. Lysa, près de l’autel brisé, psalmodiait à nouveau, son collier scintillant comme pour rallumer les runes éteintes. L’Ombre d’Argent, sa capuche relevée sur ses cicatrices pulsantes, brandissait une dague rituelle, ses murmures invoquant une énergie sinistre.« Ils préparent quelque chose », murm
Chapitre 22 : Les griffes de la meute La clairière autour de la cascade de Palmarès vibrait d’une énergie ancienne, comme si la forêt elle-même retenait son souffle. Les runes brisées de l’autel fumaient encore, leur lueur rougeâtre éteinte, mais un grondement sourd montait des profondeurs, écho de l’éveil du sanctuaire. Lena, le médaillon brûlant contre sa poitrine, se tenait au centre de la tempête, ses yeux verts scintillant d’une lueur lupine. Autour d’elle, la Meute de l’Ombre se regroupait, leurs silhouettes baignées par la lumière argentée de la pleine lune. Les chasseurs de l’Ordre de l’Aube d’Argent, momentanément désorientés par l’extinction des runes, reformaient leurs rangs, leurs armes d’argent noir luisant d’une menace mortelle. Lysa, adossée à l’autel, serrait son collier, son regard oscillant entre fureur et panique. À ses côtés, l’Ombre d’Argent, sa capuche retombée, révélait un visage marqué par des cicatrices argentées qui semblaient pulser comme des veines vivant
Chapitre 21 : Le choc des ombresLa forêt de Palmarès, dense et gorgée de brume, semblait retenir son souffle alors que la Meute de l’Ombre approchait de la cascade. Le rugissement de l’eau, tombant en cascade depuis les falaises moussues, masquait à peine les battements précipités du cœur de Lena. Le médaillon pulsait contre sa poitrine, comme s’il sentait l’imminence du danger. Rune avançait à ses côtés, ses griffes à demi sorties, son regard argenté scrutant les ombres mouvantes entre les arbres. Derrière eux, la meute se déployait en éventail : Sigrid, lances en main, ses cicatrices semblant briller d’une rage contenue ; Théo, sa présence rassurante à la droite de Lena ; Mara, murmurant des incantations pour renforcer les runes protectrices ; Finn, alerte, ses yeux scrutant les hauteurs ; et Kael, grondant doucement, prêt à bondir.Lena leva une main, arrêtant la meute à l’orée d’une clairière où la cascade déversait son éclat argenté dans un bassin scintillant. L’autel de pierre,
Chapitre 20 : Les ombres du passéL’aube peignait la clairière d’une lumière pâle, mais l’ombre de la pleine lune, imminente, semblait encore planer sur la Meute de l’Ombre. Lena se tenait près de l’arche de pierre, le médaillon brûlant contre sa poitrine, son esprit agité par la vision de l’autel des chasseurs et de la femme mystérieuse au collier, si semblable à celui de sa mère. La meute s’affairait autour d’elle, affûtant des lances, gravant des runes protectrices et appliquant les baumes de Mara contre l’Argent Noir. Rune, l’alpha, supervisait les préparatifs, son regard argenté scrutant l’horizon où les chasseurs se rassemblaient. Pourtant, malgré l’unité de la meute, Lena sentait un secret peser dans l’air, une vérité cachée dans les silences de Rune et les regards furtifs des autres.Théo, à ses côtés, vérifiait une pile de lances gravées, son visage marqué par la fatigue mais éclairé par une détermination farouche. « On est presque prêts, Lena », dit-il, sa voix basse. « Mais
Chapitre 19 : Sous l’éclat de la luneLa clairière, encore marquée par les traces de la dernière bataille, semblait vibrer d’une énergie nouvelle. La lune, à quelques heures de sa plénitude, baignait l’arche de pierre d’une lumière argentée, amplifiant la puissance des runes gravées dans la pierre. Lena se tenait au centre de la Meute de l’Ombre, le médaillon pulsant contre sa poitrine, son corps enfin libéré des dernières traces du poison de l’Argent Noir grâce aux herbes de Sigrid. La meute, Rune, Sigrid, Finn, Mara, Kael, Théo, et les autres loups-garous, l’entourait, leurs yeux luisant d’une détermination farouche. Les chasseurs, menés par Elias et l’Ombre d’Argent, frapperaient à la pleine lune, et Lena savait que cette bataille serait décisive. La Meute de l’Ombre devait être prête.Rune, l’alpha, s’avança, sa silhouette massive projetant une ombre imposante. « L’Ordre de l’Aube d’Argent veut ton sang, Lena, pour leur rituel. Ils viendront en force, avec des armes forgées dans l