LOGINLa pleine lune baignait la forêt d’Héméra d’un voile laiteux, presque irréel. Tout semblait figé dans une attente silencieuse. Le vent ne soufflait plus. Les feuilles ne frémissaient pas. Même les hiboux, d’ordinaire si bavards, gardaient le silence. Quelque chose approchait.
Alma avançait à pas lents, comme guidée par une force invisible. Elle n’avait rien dit à Liora. Elle n’avait emporté ni lampe ni téléphone. Seulement une dague ancienne retrouvée parmi les affaires de sa grand-mère, un bijou recourbé orné d’un croissant de lune en obsidienne. Sa main la serrait comme une ancre dans ce qu’elle ne comprenait pas encore. Le Cœur de la Lune reposait désormais dans une pochette de cuir contre sa poitrine, battant au rythme de son cœur. Depuis qu’elle l’avait touché, elle sentait ses rêves plus clairs, ses sens décuplés, et une voix intérieure — étrangère, mais étrangement familière — murmurer des mots oubliés. C’était cette voix qui l’avait conduite ici, dans les bois interdits, là où les anciens ne posaient plus pied depuis la disparition de la meute d’Iseult. Elle arriva dans une clairière que la lune baignait entièrement. Au centre, un cercle de pierres levées, noircies par le temps, se dressait comme les doigts d’une main antique tendue vers le ciel. Le sol était recouvert de mousse rougeâtre et de fougères épaisses. Un silence pesant régnait, mais Alma savait qu’elle n’était pas seule. Elle sentit un frisson parcourir son échine. — Tu es venue, dit une voix rauque, grave, tirée d’un gouffre ancien. Elle se retourna vivement. Il était là. Un homme — ou plutôt une ombre d’homme. Il mesurait près de deux mètres, son corps long et nerveux, vêtu d’une cape de cuir sombre. Sa peau était grisâtre, presque pierreuse, et ses yeux luisaient d’un argent surnaturel. — Qui êtes-vous ? demanda Alma, la dague tendue devant elle. Il ne bougea pas, mais un sourire étira ses lèvres. — Je suis celui qui a attendu ta naissance depuis deux décennies. Celui que ta grand-mère a défié. Le témoin de la promesse brisée. Tu portes en toi les deux sangs, Alma. Le feu et la glace. Le lien et la rupture. Alma fronça les sourcils. — Ezral ? — Non, pas encore. Ezral viendra en temps voulu. Moi je suis Karn, son messager. Son frère de meute. Et je suis ici pour t’observer… et t’offrir un choix. Karn s’approcha lentement. Alma sentait son souffle froid traverser l’espace entre eux, comme une brume glaciale. — Tu sais ce que tu es, n’est-ce pas ? demanda-t-il. — Je sais que je ne suis pas comme les autres, répondit Alma. Et je sais que ce que vous représentez est un danger. Karn éclata d’un rire bref. — Le danger, ma douce enfant, c’est le mensonge dans lequel on t’a élevée. Les Déchus ne sont pas les monstres de vos contes. Nous sommes les premiers. Les vrais. Ceux qui ont refusé d’être domestiqués par des rituels hypocrites. Nous avons embrassé la bête, et nous vivons libres. — Libres… en massacrant des innocents ? En répandant la terreur ? — Nous ne tuons que ceux qui veulent nous enfermer. Et bientôt, tu verras que la peur vient aussi de ceux qui se disent justes. Il sortit une petite flasque de son manteau et l’ouvrit. — Bois ceci, Alma. Ce n’est pas du poison. C’est la mémoire de ton père. Son essence, recueillie après sa dernière transformation. Tu verras par ses yeux. Et tu comprendras. Elle hésita. Mais au fond d’elle, une partie brûlait de savoir. De comprendre pourquoi la colère l’envahissait certaines nuits. Pourquoi ses rêves la menaient toujours dans des lieux qu’elle ne connaissait pas. Elle prit la flasque. L’ouvrit. Et but. Le monde vacilla. Elle ne se tenait plus dans la clairière, mais dans une grotte obscure, le corps nu et couvert de cicatrices. Elle courait, pieds nus sur la pierre, poursuivie par des torches. Elle haletait. Chaque respiration arrachait un cri. Puis elle tomba à genoux devant un miroir d’eau. Et dans le reflet, elle vit un homme aux yeux comme les siens, le regard brisé, la peau griffée. Il tendit la main vers elle. Je t’ai rêvée, ma fille. Je t’ai bénie. Et je t’ai damnée. Ne laisse pas la haine me reprendre. Alma rouvrit les yeux en hurlant. Karn était à genoux devant elle, la main sur son épaule. — Ce que tu as vu, c’était le dernier souvenir de ton père. Il t’a aimée. Il a tenté de quitter Ezral. Et c’est ta grand-mère qui l’a tué pour te protéger. Un silence s’écrasa entre eux. — Tu mens, murmura Alma. — Vois par toi-même. Dans le dernier tiroir du bureau, dans la boîte de bois rouge. Il y a un carnet. Il est à lui. Iseult l’a gardé. Parce qu’elle portait sa mémoire comme une malédiction. Karn recula alors d’un pas, ses yeux brillants de fièvre. — Nous te laisserons jusqu’à la prochaine pleine lune. Alors, tu viendras à nous, ou nous viendrons à toi. Mais choisis bien, Alma. Le cœur que tu portes ne battra pas pour deux mondes. Et dans un bruissement d’ombre, il disparut. Alma resta seule dans la clairière, le regard vide, l’âme tremblante. La forêt se remit à respirer. Mais la paix était une illusion. Car désormais, elle portait en elle non seulement le sang, mais la vérité d’un père que tout le monde avait voulu effacer.Chapitre 34 : Les cendres de la victoire La mer d’Irlande, agitée par les dernières bourrasques de la tempête, berçait le bateau volé où Qetsiyah, Léandre, et leurs alliés s’étaient réfugiés après l’assaut dévastateur contre le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs. La Louve du désert, comme on la surnommait, se tenait à la proue, le sel piquant ses blessures, son flanc entaillé et son bras empoisonné par l’argent, toujours douloureux sous son bandage. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient faiblement sur sa peau, épuisées par la bataille, et le cristal luminescent dans sa poche pulsait à peine, comme si la louve en elle, après s’être déchaînée, s’était retirée dans un silence prudent. Léandre, allongé à l’arrière, luttait contre le poison d’argent, sa respiration faible mais stable grâce au contre-sérum. Leur lien, forgé dans le sang, les sacrifices et une affection indéniable, était une flamme vacillante mais inextinguible. Les clans, Crocs de Fer, Hurleurs de la
Chapitre 33 : Le prix de la victoire La tempête s’était apaisée sur les falaises d’Irlande, laissant un silence lourd, ponctué par le grondement lointain des vagues et les gémissements des loups blessés. Le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs n’était plus qu’un amas de ruines fumantes, ses laboratoires détruits, ses Archontes vaincus, et l’Ombre d’Argent, l’oncle de Qetsiyah, enchaîné, à peine conscient. La Louve du désert, comme on la surnommait, se tenait au centre du chaos, son flanc saignant, la douleur de l’argent pulsant dans son bras. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient faiblement sur sa peau, épuisées par la transformation totale qu’elle avait libérée pour vaincre les chasseurs. Le cristal luminescent dans sa poche vibrait doucement, un écho de la louve désormais apaisée, mais son cœur battait à tout rompre, non pour elle, mais pour Léandre. Il gisait contre un rocher, son épaule transpercée par la dague empoisonnée d’un Archonte, son visage pâle sous l
Chapitre 32 : La Louve déchaînée Les falaises d’Irlande, battues par une tempête rugissante, vibraient sous l’écho des explosions qui avaient secoué le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs. La forteresse, partiellement en ruines, crachait des flammes et des fumées âcres, mais la bataille était loin d’être terminée. Qetsiyah, la Louve du désert, se tenait au bord de la falaise, son flanc saignant sous une entaille fraîche, la douleur de l’argent pulsant dans son bras et son corps. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient sur sa peau, comme des éclairs dans la tempête, et le cristal luminescent dans sa poche brûlait presque, luttant pour contenir la louve qui hurlait en elle, prête à se libérer totalement. Léandre, à ses côtés, soutenait l’Ombre d’Argent, son oncle, démasqué mais à peine conscient, affaibli par le contre-sérum. Leur lien, forgé dans le sang et une affection indéniable, était une ancre, mais l’Ordre, blessé mais pas vaincu, lançait une contre-attaque fér
Chapitre 31 : Le cœur de la tempête Les falaises d’Irlande rugissaient sous la fureur d’une tempête, les éclairs illuminant le Sanctuaire de l’Ordre des Veilleurs, une forteresse de pierre noire nichée comme une cicatrice dans la roche. La pleine lune, voilée par des nuages tumultueux, amplifiait la puissance de Qetsiyah, la Louve du désert, dont les marques argentées scintillaient sur sa peau comme des flammes. La douleur de sa blessure à l’argent pulsait, mais le cristal luminescent dans sa poche canalisait la louve qui rugissait en elle, prête à se déchaîner. Léandre, à ses côtés, serrait sa lame, son regard brûlant d’une détermination farouche. Leur lien, forgé dans le sang, la confiance et une affection profonde, était leur ancre dans cette bataille finale. Les clans, Crocs de Fer, Hurleurs de la Côte, et loups libérés, se tenaient prêts, une trentaine de guerriers unis contre l’Ordre et l’Ombre d’Argent, dont l’ombre planait comme une menace imminente. Le registre, désormais e
Chapitre 30 : L’aube de la tempête L’Atlantique grondait sous un ciel plombé, ses vagues s’écrasant contre la coque rouillée du cargo qui transportait Qetsiyah, Léandre, et leurs alliés vers l’Europe. La Louve du désert, comme on surnommait Qetsiyah, se tenait à la proue, le vent salé fouettant son visage, attisant la douleur de sa blessure à l’argent qui pulsait sous son bandage. Les marques argentées de la Lignée d’Argent scintillaient sur sa peau, vibrant en écho à l’approche de la pleine lune, et de la bataille finale contre l’Ordre des Veilleurs au Sanctuaire. Le cristal luminescent dans sa poche pulsait doucement, un rempart fragile contre la louve qui rugissait en elle, prête à se déchaîner. Le registre, serré dans le sac de Léandre, contenait la clé de leur mission : la localisation du Sanctuaire, les plans du « Protocole Argent », et les indices pointant vers l’Ombre d’Argent, peut-être son oncle. Léandre, à ses côtés, scrutait l’horizon, sa lame rangée mais ses muscles ten
Chapitre 29 : Les ombres intérieures Le vent glacé de l’Atlantique sifflait à travers les planches disjointes d’un hangar abandonné sur la côte de Long Island, où Qetsiyah, Léandre et leurs alliés s’étaient réfugiés après leur victoire contre les chasseurs dans la clairière. La pleine lune approchait, marquant le délai de l’embuscade planifiée par l’Ordre des Veilleurs, et leur voyage imminent vers le Sanctuaire en Europe pesait comme une lame suspendue. La Louve du désert, comme on surnommait Qetsiyah, sentait son sang vibrer d’une tension croissante, amplifiée par la douleur persistante de sa blessure à l’argent et les marques argentées de la Lignée d’Argent qui scintillaient sur sa peau. Le cristal luminescent dans sa poche pulsait doucement, un rempart fragile contre la louve qui grondait en elle, mais ce soir, une autre bataille se profilait, non contre l’Ordre, mais contre les peurs et les doutes qui menaçaient de fissurer leur détermination. Léandre, assis près d’une fenêtre







