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Chapitre 5 : Rencontre dans les bois.

last update Last Updated: 2025-05-25 15:30:43

La pleine lune baignait la forêt d’Héméra d’un voile laiteux, presque irréel. Tout semblait figé dans une attente silencieuse. Le vent ne soufflait plus. Les feuilles ne frémissaient pas. Même les hiboux, d’ordinaire si bavards, gardaient le silence. Quelque chose approchait.

Alma avançait à pas lents, comme guidée par une force invisible. Elle n’avait rien dit à Liora. Elle n’avait emporté ni lampe ni téléphone. Seulement une dague ancienne retrouvée parmi les affaires de sa grand-mère, un bijou recourbé orné d’un croissant de lune en obsidienne. Sa main la serrait comme une ancre dans ce qu’elle ne comprenait pas encore.

Le Cœur de la Lune reposait désormais dans une pochette de cuir contre sa poitrine, battant au rythme de son cœur. Depuis qu’elle l’avait touché, elle sentait ses rêves plus clairs, ses sens décuplés, et une voix intérieure — étrangère, mais étrangement familière — murmurer des mots oubliés.

C’était cette voix qui l’avait conduite ici, dans les bois interdits, là où les anciens ne posaient plus pied depuis la disparition de la meute d’Iseult.

Elle arriva dans une clairière que la lune baignait entièrement. Au centre, un cercle de pierres levées, noircies par le temps, se dressait comme les doigts d’une main antique tendue vers le ciel. Le sol était recouvert de mousse rougeâtre et de fougères épaisses. Un silence pesant régnait, mais Alma savait qu’elle n’était pas seule.

Elle sentit un frisson parcourir son échine.

— Tu es venue, dit une voix rauque, grave, tirée d’un gouffre ancien.

Elle se retourna vivement. Il était là.

Un homme — ou plutôt une ombre d’homme. Il mesurait près de deux mètres, son corps long et nerveux, vêtu d’une cape de cuir sombre. Sa peau était grisâtre, presque pierreuse, et ses yeux luisaient d’un argent surnaturel.

— Qui êtes-vous ? demanda Alma, la dague tendue devant elle.

Il ne bougea pas, mais un sourire étira ses lèvres.

— Je suis celui qui a attendu ta naissance depuis deux décennies. Celui que ta grand-mère a défié. Le témoin de la promesse brisée. Tu portes en toi les deux sangs, Alma. Le feu et la glace. Le lien et la rupture.

Alma fronça les sourcils.

— Ezral ?

— Non, pas encore. Ezral viendra en temps voulu. Moi je suis Karn, son messager. Son frère de meute. Et je suis ici pour t’observer… et t’offrir un choix.

Karn s’approcha lentement. Alma sentait son souffle froid traverser l’espace entre eux, comme une brume glaciale.

— Tu sais ce que tu es, n’est-ce pas ? demanda-t-il.

— Je sais que je ne suis pas comme les autres, répondit Alma. Et je sais que ce que vous représentez est un danger.

Karn éclata d’un rire bref.

— Le danger, ma douce enfant, c’est le mensonge dans lequel on t’a élevée. Les Déchus ne sont pas les monstres de vos contes. Nous sommes les premiers. Les vrais. Ceux qui ont refusé d’être domestiqués par des rituels hypocrites. Nous avons embrassé la bête, et nous vivons libres.

— Libres… en massacrant des innocents ? En répandant la terreur ?

— Nous ne tuons que ceux qui veulent nous enfermer. Et bientôt, tu verras que la peur vient aussi de ceux qui se disent justes.

Il sortit une petite flasque de son manteau et l’ouvrit.

— Bois ceci, Alma. Ce n’est pas du poison. C’est la mémoire de ton père. Son essence, recueillie après sa dernière transformation. Tu verras par ses yeux. Et tu comprendras.

Elle hésita. Mais au fond d’elle, une partie brûlait de savoir. De comprendre pourquoi la colère l’envahissait certaines nuits. Pourquoi ses rêves la menaient toujours dans des lieux qu’elle ne connaissait pas.

Elle prit la flasque. L’ouvrit. Et but. Le monde vacilla.

Elle ne se tenait plus dans la clairière, mais dans une grotte obscure, le corps nu et couvert de cicatrices. Elle courait, pieds nus sur la pierre, poursuivie par des torches. Elle haletait. Chaque respiration arrachait un cri. Puis elle tomba à genoux devant un miroir d’eau. Et dans le reflet, elle vit un homme aux yeux comme les siens, le regard brisé, la peau griffée. Il tendit la main vers elle.

Je t’ai rêvée, ma fille. Je t’ai bénie. Et je t’ai damnée. Ne laisse pas la haine me reprendre.

Alma rouvrit les yeux en hurlant. Karn était à genoux devant elle, la main sur son épaule.

— Ce que tu as vu, c’était le dernier souvenir de ton père. Il t’a aimée. Il a tenté de quitter Ezral. Et c’est ta grand-mère qui l’a tué pour te protéger.

Un silence s’écrasa entre eux.

— Tu mens, murmura Alma.

— Vois par toi-même. Dans le dernier tiroir du bureau, dans la boîte de bois rouge. Il y a un carnet. Il est à lui. Iseult l’a gardé. Parce qu’elle portait sa mémoire comme une malédiction.

Karn recula alors d’un pas, ses yeux brillants de fièvre.

— Nous te laisserons jusqu’à la prochaine pleine lune. Alors, tu viendras à nous, ou nous viendrons à toi. Mais choisis bien, Alma. Le cœur que tu portes ne battra pas pour deux mondes.

Et dans un bruissement d’ombre, il disparut.

Alma resta seule dans la clairière, le regard vide, l’âme tremblante.

La forêt se remit à respirer.

Mais la paix était une illusion. Car désormais, elle portait en elle non seulement le sang, mais la vérité d’un père que tout le monde avait voulu effacer.

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