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Chapitre 7: La Lune Mordue

last update Last Updated: 2025-06-18 15:37:23

Les yeux d’Ezral luisaient comme deux phares d’argent dans la brume. Son pelage noir semblait absorber toute lumière, toute chaleur. Il ne bougeait pas, mais son souffle puissant déformait l’air autour de lui, créant comme une onde invisible, un champ magnétique fait d’intimidation pure. Alma sentit son cœur battre si fort qu’elle crut qu’il allait exploser. À ses côtés, Liora s’était figée, les lèvres tendues, ses doigts serrant le pendentif en pierre de lune suspendu à son cou.

Mais ce n’était pas la peur qui paralysait Liora. C’était autre chose. Une rage ancienne. Une promesse de vengeance.

Ezral ne grogna pas. Il se redressa à demi sur ses pattes arrière, et dans un mouvement fluide, il reprit forme humaine. Nu, imposant, la peau zébrée de cicatrices et de tatouages anciens, il s’approcha lentement. Ses longs cheveux noirs encadraient un visage marqué par le temps, mais toujours d’une beauté sauvage. Ses yeux, eux, restèrent lupins.

— Alma, dit-il, sa voix grave brisant le silence comme un orage lointain.

— Tu n’étais qu’un murmure… une hypothèse. Mais te voir... te respirer… Voilà la confirmation que le sang est bien vivant. Le sang des deux lunes. Celui qui fera tomber les anciens pactes.

Alma recula d’un pas, mais Liora l’arrêta d’un bras tendu.

— Ne l’écoute pas. Il t’ensorcellera avec ses mots. Comme il a ensorcelé ta mère.

Ezral la dévisagea, un sourire moqueur aux lèvres.

— Liora… la sœur veule. L’ombre d’Iseult. Toujours à ramper dans le secret, à prêcher l’équilibre. Regarde ce qu’il en reste. Une forêt gangrenée. Des meutes perdues. Et une fille qui ne connaît même pas sa nature…

— Alma est humaine. Elle a été élevée dans la lumière. Elle n’est pas des vôtres.

— Humaine ? répéta Ezral en riant. Vraiment ? Alors pourquoi son odeur fait-elle frémir les miens ? Pourquoi la Lune saigne-t-elle dans le ciel depuis son retour ?

Alma sentit un frisson la traverser. Elle leva les yeux.

Et là, elle comprit.

La Lune n’était plus tout à fait ronde.

Une entaillure rouge en rongeait le flanc gauche, comme une morsure. Et autour d’elle, les étoiles semblaient plus pâles, comme si leur lumière reculait.

— Qu’est-ce que c’est ? murmura-t-elle. Qu’est-ce qui arrive à la Lune ?

Ezral s’approcha encore, plus près maintenant. Elle pouvait sentir son souffle, entendre le rythme profond de sa respiration.

— La Lune a toujours été notre mère. Notre boussole. Mais elle vous a observés, vous les humains. Vos armes. Vos villes. Vos trahisons. Elle saigne… parce que vous l’avez blessée.

Il tendit la main vers Alma.

— Rejoins-moi. Tu peux la guérir. Tu es l’Élue du croisement. Le sang d’Iseult et de Daël. Une sorcière et une louve. Tu n’as pas à choisir. Tu es le choix.

Liora se plaça entre eux, brandissant le pendentif.

— Si tu la touches, Ezral, je jure par les cendres d’Iseult que je t’envoie dans l’autre monde.

Un grognement profond monta de la gorge du loup déguisé en homme.

— Tu n’as pas cette puissance, sorcière brisée.

— Tu veux essayer ?

Un éclair jaillit du pendentif. Un halo d’argent, brûlant, s’élança vers Ezral qui recula en rugissant, la peau fendue là où la lumière l’avait frappé. La brume tourbillonna, et aussitôt, d’autres silhouettes surgirent entre les arbres. Une demi-douzaine de loups, tous massifs, le poil hérissé, les babines retroussées. Alma sentit son corps se raidir, chaque muscle tendu. Son sang appelait. Une part d’elle voulait hurler avec eux.

Mais la voix de Liora la ramena à la réalité.

— Cours, Alma. Cours jusqu’à la vieille chapelle. Là-bas, tu trouveras le cercle. Entre dans la crypte. Et surtout… ne regarde pas derrière toi.

Alma hocha la tête. Elle n’avait jamais couru si vite. Les branches lui fouettaient le visage, la brume l’enveloppait comme une cape glacée. Elle entendait les hurlements derrière elle, des bruits de lutte, des cris humains et bestiaux. Elle ne se retourna pas.

Le sol était boueux. Glissant. Elle trébucha deux fois, se releva, haletante. Ses poumons brûlaient, mais elle vit enfin la silhouette de la chapelle, noyée dans la brume, ses murs de pierre fissurés, ses vitraux brisés.

La porte était entrouverte. Elle la poussa.

Le silence à l’intérieur était total. Comme si le monde retenait son souffle.

Des chandelles allumées — comment, par qui ? — brillaient dans les coins. Des symboles runiques étaient gravés sur le sol. Et au centre, une trappe de pierre. Elle la souleva.

Un escalier descendait, taillé à même la roche.

Alma inspira. Puis elle descendit.

La crypte était circulaire. Une odeur d’herbes sèches, de cire fondue, et de sang ancien flottait dans l’air. Sur les murs, des fresques effacées montraient des femmes-louves, des arbres en feu, une lune double. Et au centre, un autel.

Sur cet autel, un miroir noir. Et devant le miroir, sa grand-mère. Iseult.

Ou plutôt… son reflet.

Alma s’approcha. Le miroir vibra.

Et la voix d’Iseult résonna dans la crypte.

— Alma, ma fille. Je t’ai caché tant de choses. Par peur. Par amour. Par devoir. Si tu es ici, c’est que les hurlements ont commencé. Alors écoute-moi une dernière fois.

Le miroir s’embrasa d’une lumière pâle. Des images se succédèrent — Iseult jeune, Daël, la naissance d’Alma. Et puis la trahison. Ezral, la meute, le cercle brisé.

— Le monde des humains et celui des loups ne peuvent plus coexister dans le secret. La Lune est mordue. Et toi, Alma, tu es la clé. Tu peux refermer la plaie. Ou l’ouvrir davantage.

Un silence.

Puis :

— Pour cela, il te faudra affronter la Bête en toi.

Un craquement derrière elle. Alma se retourna.

Karn.

Essoufflé. Blessé. Du sang sur le front.

— Ils arrivent. Ezral a vaincu ta tante. Il est sur tes traces.

Il s’approcha, doucement, comme on approche une biche apeurée.

— Mais il ne sait pas tout. Il ne sait pas que tu peux te changer sans Lune. Que tu contrôles la bête.

Il posa une main sur son cœur.

— Je te l’ai dit. Tu n’es pas seule.

Alma ferma les yeux.

Dans son esprit, un loup. Puis un feu. Puis une voix.

Hurle, lui dit-elle. Hurle avec moi.

Et Alma… hurla.

Le cri monta du plus profond d’elle. Un cri de naissance. De douleur. De renaissance. Sa peau brûla, ses os se tordirent. Elle hurla encore. Mais elle ne perdit pas conscience.

Quand elle rouvrit les yeux, elle n’était plus la même.

Ni tout à fait humaine.

Ni tout à fait louve.

Elle était entre deux mondes.

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