Léna
Tout ce que je sais, c’est qu’il m’a tendu un piège… et que j’ai sauté dedans avec un grand sourire.
Le dossier secret
Le lendemain matin, je me présente dans son bureau, prête à découvrir ce qu’il mijote.
Blackwood est assis derrière son immense bureau, une tasse de café fumante devant lui, un dossier en cuir noir posé à côté.
— Installez-vous.
J’obéis, le cœur battant.
— Je vais aller droit au but, Léna.
Oh. Il a lâché le "Mademoiselle Morel". Ça veut dire quoi, ça ?
— Vous allez m’accompagner en voyage d’affaires à Milan.
Je cligne des yeux.
— Milan ?
Il acquiesce.
— Une grosse négociation avec des investisseurs italiens. Il faut quelqu’un capable de lire entre les lignes, de flairer les mensonges. Quelqu’un qui sache jouer le jeu.
Je le fixe.
— Et vous pensez que je suis cette personne ?
Il esquisse un sourire.
— Vous êtes la meilleure menteuse que j’ai jamais rencontrée.
Oups.
Il attrape le dossier et me le tend.
— Voici tout ce que vous devez savoir. Étudiez-le. Nous partons demain matin.
Demain matin ?!
Attendez.
Il blague ou quoi ?
— C’est un test ? je demande, méfiante.
— Peut-être.
Il se lève, se dirige vers la porte et l’ouvre lentement.
— En attendant… vous êtes libre.
Ce connard me met dehors comme si j’étais une employée lambda.
Très bien, Blackwood.
Tu veux jouer ? On va jouer.
Opération sabotage
— Milan ?! hurle Zoé en avalant de travers son café.
Théo, lui, éclate de rire.
— Mec, c’est le début d’un film romantique. Le patron froid, la secrétaire menteuse, un voyage en Italie… On sait tous comment ça finit.
Je roule des yeux.
— Arrête, c’est du business. Il me teste.
Zoé me scrute.
— Et si c’était plus que ça ?
— Plus que ça comment ?
Elle sourit en coin.
— Genre, il veut voir comment tu réagis sous pression. Ou alors… il te veut pour autre chose.
Je lève les mains.
— STOP. Il ne me veut rien du tout.
Théo glousse.
— Ah bon ? Parce que moi, je trouve qu’il te regarde comme un mec qui veut…
— THÉO.
— …TE DÉVORER.
Je soupire.
Mais au fond, je sais qu’ils ne sont pas totalement à côté de la plaque.
Parce que moi aussi, je ressens cette tension étrange.
Et demain, à Milan…
Je vais devoir la gérer 24h/24.
L’Italie et ses dangers
Le lendemain matin, nous embarquons dans le jet privé de Blackwood.
Oui, un jet privé.
Je fais semblant d’être blasée, mais intérieurement, je suis impressionnée.
La cabine est immense, luxueuse, avec des sièges en cuir blanc et des plateaux garnis de champagne et de petits fours.
Mais le plus impressionnant, c’est Blackwood lui-même.
Toujours impeccable, costume taillé sur mesure, montre hors de prix, expression impénétrable.
Il me jette un regard alors que je m’installe en face de lui.
— Détendez-vous, Léna. Vous avez l’air… nerveuse.
Je ricane.
— Moi ? Pas du tout. Je suis parfaitement calme.
Il hausse un sourcil.
— Votre jambe tremble.
Merde.
Je croise les bras et fixe le hublot, vexée.
— Et si on travaillait ?
Il esquisse un sourire, amusé.
— Bonne idée.
Il ouvre son ordinateur, et moi, je plonge dans mon dossier.
Les investisseurs italiens avec qui nous avons rendez-vous sont apparemment des requins. Des négociateurs féroces.
Autrement dit… des menteurs professionnels.
Ça tombe bien. Moi aussi.
Jeux de pouvoir
L’hôtel où nous séjournons est un palace en plein cœur de Milan.
Marbre blanc, chandeliers en cristal, une suite immense pour chacun.
Mais le problème, c’est que Blackwood et moi sommes au même étage.
Nos chambres sont séparées par un simple couloir.
Et autant dire que je le ressens beaucoup trop.
Pendant toute la journée, nous enchaînons les réunions. Les Italiens sont coriaces, rusés, difficiles à cerner.
Mais Blackwood est encore pire.
Glacial, méthodique, impitoyable.
Et moi ?
Je fais ce que je fais de mieux : je bluffe.
Je souris, je charme, je feins l’assurance.
Je joue.
Et ça marche.
Quand nous sortons de la dernière réunion, Blackwood se tourne vers moi, l’ombre d’un sourire aux lèvres.
— Pas mal, Mademoiselle Morel.
Je lève un sourcil.
— Seulement "pas mal" ?
Il s’approche légèrement.
— J’avoue que je suis impressionné.
Merde.
Pourquoi cette phrase me fait-elle autant d’effet ?
Il s’éloigne, et je reste plantée là, troublée.
La soirée qui dérape
Le soir, Blackwood m’invite à dîner.
— C’est un dîner de travail, Léna.
Bien sûr.
Mais quand je le vois arriver en chemise légèrement déboutonnée, sans cravate…
Je sais que je suis en danger.
Le restaurant est chic, tamisé.
Et la conversation… trop fluide.
On parle affaires, mais aussi de voyages, de goûts musicaux, de livres.
Et puis, il y a ces regards.
Trop appuyés.
Trop longs.
Et cette tension…
Elle devient insoutenable.
Puis, au moment où nous quittons le restaurant…
Blackwood s’arrête sous un lampadaire, me fixe avec intensité.
— Léna.
Ma respiration se bloque.
— Oui ?
Il s’approche lentement, dangereusement.
Trop près.
— J’aime les défis.
Je déglutis.
— … Et alors ?
Son sourire est calculé, cruel.
— Vous en êtes un.
Puis il recule, me laisse là, totalement déboussolée.
Et une seule pensée me traverse l’esprit :
Je
vais me brûler les ailes.
Parce que je suis une menteuse pathologique et que les situations dangereuses me donnent une montée d’adrénaline ?
Ou parce que je veux voir jusqu’où Adrian Blackwood peut me pousser avant de craquer ?
Je n’en ai aucune idée.
LénaJe ne dors pas.Même après lui.Même après la chaleur, le silence, les soupirs mêlés et la certitude d’avoir franchi une frontière sans retour.Je ne dors pas.Parce que son souffle dans mon cou est trop calme.Parce que mon cœur, lui, bat encore à contre-temps.Parce que je sens, au fond de moi, que quelque chose approche.Quelque chose d’immense. D’inévitable. D’irréversible.Je fixe le plafond.La lumière grise du matin filtre à peine à travers les rideaux lourds.Le monde semble suspendu. Comme si l’univers retenait son souffle.Comme si lui aussi savait.Je pense à tout ce que j’ai perdu.À tout ce que je suis en train de devenir.Je pense à Adrian, à Alejandro, à moi, quelque part entre les deux, coupée en deux parts inconciliables.Je me lève. Pieds nus sur le marbre froid.Je m’habille lentement, comme si chaque geste pouvait me protéger de ce que je pressens.Je tire sur ma chemise. J’attache mes cheveux. J’efface les traces. Mais à quoi bon ?Ce qu’il a imprimé en moi n
LénaJe suis restée dans ses bras longtemps après.Le souffle en miettes.La peau marquée.L’âme secouée.Ses doigts s’étaient refermés autour de mes poignets avec une telle précision que même maintenant, en silence, je les ressens encore.Comme des chaînes de velours.Comme un serment.Alejandro ne parle pas.Mais je le sens.Je le connais trop, maintenant.Il n’a pas calmé la tempête.Il l’a contenue.Et elle gronde encore sous sa peau.Ses muscles sont tendus contre moi.Son torse se soulève lentement.Il respire comme un homme qui lutte contre lui-même.Et moi, je reste là.Nue.Brisée.Vivante.— Tu vas encore me punir demain ? je souffle, la voix rauque.Un murmure. Un défi. Une supplique.— Non.Pause.— Demain, je vais te rappeler pourquoi tu ne peux pas partir.Ses mots me frappent plus fort que ses gestes.Parce qu’il ne ment jamais quand il parle ainsi.Parce que je sais qu’il a raison.Parce que c’est là, entre nous.Cette chose féroce, dévorante, qu’on appelle l’amour qua
AlejandroJe n’ai rien dit.Je ne l’ai pas arrêtée.Je l’ai laissée redescendre les marches, le port altier, la nuque droite, comme si rien n’avait existé.Mais je l’ai vue.Son regard.Sa brûlure.Ce vertige au bord des lèvres quand elle parlait à cet homme qui ne mérite même pas de prononcer son nom.Je ne suis pas un imbécile.Ni un martyr.Je suis patient.Mais pas aveugle.Et ce soir, elle a franchi une limite.Silencieuse.Tranchante.Dévastatrice.Alors je l’attends.Dans notre chambre.Là où elle sait qu’elle devra faire face.Là où je la veux.Entière. Nue. Sans masque.Quand elle entre, je ne bouge pas.Je suis debout, face à la fenêtre.Le nœud de ma cravate défait.La mâchoire tendue.Je n’ai pas besoin de me retourner pour savoir que son souffle est court.Que son cœur bat plus vite.Elle sait.Elle sait que le silence, chez moi, est un prélude à la tempête.— Ferme la porte, dis-je.Elle hésite.Je sens le tremblement, à peine perceptible, dans sa respiration.Elle le fa
LénaLe bal suit son cours.Les violons pleurent des notes trop polies.Les sourires sont taillés dans le marbre.Et moi, je suffoque derrière mon masque.Je suis l’élégance. La retenue. La femme qu’on regarde avec admiration, sans jamais vraiment la voir.Les conversations s’enchaînent.On me complimente.On me jauge.On m’étiquette.Je souris comme on brandit une arme.Mon rire est une parure.Ma robe noire, une déclaration de guerre muette.Alejandro est là, toujours. À une distance parfaite, comme un souverain qui protège sa reine sans l’enfermer.Il ne m’enferme pas.Il m’élève.Et pourtant… je suis ailleurs.Il me connaît.Il sait que j’ai besoin d’espace pour respirer.Mais il ne sait pas ce que je cherche à fuir.Il ne devine pas les ombres dans ma cage thoracique.Je m’approche du balcon.Je laisse le vent fouiller mes cheveux, gifler mes joues.J’aurais voulu fumer. Hurler. Disparaître.Devenir autre chose qu’un fantôme élégant qui flotte entre les éclats de cristal et les f
AdrianJe l’ai vue bien avant qu’elle n’entre.Je l’ai sentie, plutôt.Comme une brûlure dans la gorge.Une lame dans le ventre.Une mémoire qu’on ne peut pas effacer.Léna.Elle traverse la salle comme un incendie contenu.Et Alejandro… Alejandro ne bouge pas.Il l’attend, bras tendu, regard fixe, comme s’il savait qu’elle viendrait. Comme s’il avait parié sa vie sur ce moment.Et elle est venue.Je serre les dents.Mon bras enlace la taille d’Amalia, douce, fragile, irréprochable.Ma femme.La petite sœur d’Alejandro.Un nom trop lourd. Un lien trop pur pour la saleté que je porte encore en moi.Elle sent mon corps se raidir.Elle penche la tête vers moi, voix douce :— Tu vas bien ?Je mens.— Oui.Mais mon cœur hurle.Car ce soir, Léna n’est plus un fantôme.Elle est là.Présente.Magnifique.Dangereuse.Et elle ne me regarde même pas.---LénaJe le sens dès que j’entre.Pas Alejandro.L’autre.Adrian.Je ne l’ai pas cherché du regard. Je m’y suis refusée.Mais il est là, accroch
AlejandroJe déteste les réceptions.Je déteste les verres qui s’entrechoquent, les sourires faux, les promesses murmurées entre deux coupes de champagne.Je déteste les jeux de pouvoir déguisés en civilité, les regards qui jaugent, les mains qui se tendent pour mieux poignarder.Je déteste les costumes trop bien taillés, les rires forcés, les cigares qui empestent l’arrogance.Je déteste les femmes peintes comme des trophées, les hommes qui parlent trop fort pour cacher leurs faiblesses.Je déteste cette mise en scène grotesque qu’on appelle diplomatie dans mon monde.Mais ce soir…Je les tolère.Parce qu’elle est là.Et que tout ce cirque n’a qu’un but : l’encercler sans la blesser.La montrer sans l’offrir.La hisser au sommet sans qu’on ose l’atteindre.Faire comprendre à tous qu’elle m’appartient — même si je ne la tiens plus.Même si je n’ai plus aucun contrôle.Même si un seul de ses regards pourrait me crucifier sur place.Je suis immobile au centre de la pièce.Statuaire. Gla
AlejandroLa pluie tambourine contre les vitres, régulière, presque apaisante.Elle dort. Enfin.Recroquevillée sur le canapé, ses cheveux en bataille, sa respiration irrégulière.Et moi, je reste là. Assis en face d’elle. Immobile.La boîte est toujours sur la table, posée comme une bombe. Fermée. Silencieuse.Je n’ai pas bougé depuis qu’elle s’est endormie.Je n’ose pas.Derrière moi, la maison vit. Ou plutôt, elle respire à travers les autres. Les hommes postés dans le couloir, armés, discrets mais bien présents. Je les ai fait venir après l'incident.Pas parce qu’elle est en danger.Mais parce qu’elle l’est.Pour elle-même. Pour moi.Je leur ai dit de ne pas la lâcher.Pas une seconde.Elle est libre, oui.Mais dans une cage que j’ai forgée de mes propres mains.Je l’ai enfermée dans mes bras, dans mes mots, dans ma peur de la perdre.Et je ne sais plus comment la libérer sans qu’elle s’échappe pour toujours.Je me lève doucement. Je vais jusqu’à la baie vitrée.Le domaine s’étend
LenaJe marche vite.Trop vite.Comme si fuir à pied pouvait effacer ce qu’il m’a dit.Ce qu’il m’a fait.Ce qu’il veut.Les couloirs de la demeure sont longs. Trop longs.Ils résonnent de mes pas précipités.J’ignore les regards des gardes.Ils ne me parlent pas.Mais ils me suivent.Toujours deux, à bonne distance.Pas pour me protéger.Pour m’empêcher de disparaître.Je traverse le hall.Je passe la grille de fer.Il ne fait même pas mine de m’arrêter.Il sait que je reviens. Il sait que je ne vais jamais bien loin.Il a mis les murs autour de moi. Et maintenant, c’est en moi qu’il s’est enfermé.La pluie me cueille dès la première seconde dehors.Froide. Cinglante.Mais je m’en fous.Je veux sortir de sa peau.De sa voix.De sa tête.De ce piège qu’il appelle amour.Le garde me rattrape.Un mot dans l’oreillette. Il ne me touche pas. Mais il est là.Toujours à quelques pas.Il ne dit rien. Il n’a pas besoin.Je presse le pas.Le trottoir est loin.Ici, tout est isolé.On ne vit pa
AlejandroElle marche dans l’appartement comme un souffle contrarié.Ses gestes sont vifs, presque brusques.Sa nuque est tendue, ses épaules figées.Elle évite mon regard comme on évite le feu.Mais je la connais.Et je sais ce qu’elle pense.Ce qu’elle redoute.Elle a dormi contre moi.Elle s’est réveillée nue, la peau encore collée à la mienne.Et maintenant, elle se rhabille à la hâte comme si mon corps lui collait à l’âme.Elle cherche son sac.Ses doigts tremblent à peine, mais je le vois.Elle remet son jean sans le fermer. Enfile un pull trop large.Et ses cheveux tombent devant son visage comme un rempart.Je me lève, lentement.Nu, sans honte, sans gêne.Elle m’aperçoit du coin de l’œil et fait un pas en arrière, presque imperceptible.Comme si ma peau était toxique. Comme si mes yeux la brûlaient.— Je t’emmène.Ma voix est calme. Trop calme.— Non. Je peux y aller seule.Elle répond vite. Trop vite.Elle croit que je vais l’enfermer. Que je vais l’empêcher.Elle a peur.Je