Se connecterCela fait un mois déjà que je suis dans cette entreprise, comme le temps passe si vite, je pensais être un peu plus rodée. Erreur.
Noah a une mémoire d’acier et une précision chirurgicale pour utiliser mes erreurs comme des aiguilles. Il m’appelle à son bureau à dix heures. J’ai passé la moitié de la matinée à préparer un rapport qu’il m’a demandé la veille. J’ai dormi à trois heures, mais je suis là, prête, stylo serré, la tête pleine de calculs. Je veux prouver que je mérite d’être là. Pas pour lui, pour moi. Il lit le document deux fois, lentement, sans lever les yeux. Puis il pose la feuille, comme s’il rejetait quelque chose de sale. — C’est une version brouillonne, dit-il. On dirait que vous avez fait ça à la va-vite. — J’ai corrigé tous les points que vous aviez indiqués, réponds-je. J’ai vérifié les chiffres. — Les chiffres sont justes. Le style est mauvais. Le fond est confus. Vous manquez de méthode. Sa voix est froide, sans appel. Je sens la chaleur me monter au visage. J’aligne des phrases dans ma tête, prêtes à défendre mon travail, mais il me coupe d’un geste sec. — Vous êtes visible quand vous vous énervez, Mademoiselle Mballa. Ici, la visibilité se paye. Apprenez à disparaître quand il le faut. Son mot claque comme une punition. "Disparaître?". Mais comment disparaître quand c’est justement pour exister que je me bats ? Je sors du bureau la gorge sèche. Dans le couloir, Sandra me regarde avec une pitié mal dissimulée. — Il est dur le premier mois, chuchote-t-elle. C’est normal. Normal. Comme si m’humilier devant tout le monde faisait partie d’un rite d’initiation. Je me répète que je survivrai. J’ai survécu à pire. Mais sa phrase “Vous manquez de méthode” tourne encore dans mon esprit. La journée continue, mais la tension ne me quitte pas. À la pause, on me confie une tâche annexe : organiser les dossiers pour la réunion régionale. Détails ennuyants, classer, trier. Je m’y plonge, mécanique, parce que l’inaction me fait peur. À dix-sept heures, un collaborateur vient me voir, l’air gêné. — Votre dossier pour la réunion… il manque des documents importants, me dit-il. On a besoin de tout ça pour la présentation de demain. Je relis les e-mails, vérifie mes notes. J’ai bien tout demandé, j’ai bien tout noté. Je me rends compte que l’un des fichiers ne m’a jamais été transmis par l’assistant. Je cours pour le récupérer. Quand je reviens, essoufflée, la salle de réunion est remplie. Plusieurs cadres sont déjà installés. Noah est là, impeccable. Il me regarde comme on regarde un animal qui revient après avoir été châtié. — Vous êtes prête ? demande-t-il, parfaitement posé. — Oui, monsieur. Je m’installe, et dès que la réunion commence, il me pousse à intervenir. Chaque question qu’il me pose est une chance ou une mine. J’en réponds tant bien que mal. À un moment, un silence. Je vois des sourires polis autour. L’assistant qui m’avait laissé sans fichier a fait son rapport : “ça n’était pas prêt”. Noah reprend. Sa voix est douce. Trop douce. — Nadège, je vous ai mise dans une position d’apprendre. Mais vous devez aussi apprendre à prévoir. Le monde d’affaires ne pardonne pas. Vous comprenez ? Oui, je comprends. Comprendre que la moindre faiblesse devient un couteau qu’on tourne. La réunion se termine par une validation formelle de notre plan, mais j’ai ce goût amer au fond de la gorge. Sentiment d’avoir joué le rôle d’un bouc émissaire. Le soir, je reste tard pour rattraper ce qui manquait. La lumière du bureau est crue, les couloirs vides, la clim qui ronronne. Je suis seule avec mes feuilles et ma fatigue. Mes doigts tremblent sur la souris, pourtant je continue. Je ne veux pas qu’on me dise que j’ai échoué à cause d’un oubli. Il arrive sans bruit. Il avait l’air de sortir d’une autre dimension : costume impeccable, manteau sur l’épaule, regard possédé. Il ferme la porte derrière lui, comme s’il me cerclait. — Vous travaillez tard, dit-il. — J’essaie de corriger mon travail. Je ne veux pas laisser une mauvaise impression. — Le manquement n’est pas toujours de votre faute, dit-il, et pour la première fois, sa voix se fait plus basse. Parfois, c'est un test d'aptitude. Je le regarde. l'air évasif sans vraiment assimiler ce qu'il vient de me dire, je réagi promptement. — Pourquoi me testez-vous ? dis-je, sans mesurer la témérité de la question. Il sourit, un sourire qui ne touche pas ses yeux. — Parce que vous m’intéressez. Parce que vous m’agacez. Parce que je veux voir jusqu’où ira votre ténacité. Et parfois, pour voler, il faut brûler se brûler les ailes sous le soleil. Je serre les poings, mais je sens une chaleur différente maintenant : une curiosité coupable, une excitation qui vient d’un endroit que je croyais hermétique. — Vous ne me traiterez pas toujours comme une erreur, murmurai-je. Il s’incline légèrement, comme si j’avais formulé une révélation. — Peut-être. Ou peut-être que vous apprendrez à aimer la douleur. Ou à la craindre. Tout dépendra de vous. Il pose sa main près de la mienne, mais ne la touche pas. Simple proximité. Un frôlement volontairement retenu. Le contact manque et devient pire que le contact. — Demain soir, dit-il en se levant, il y a un dîner avec des investisseurs. Vous y assisterez, vous y participerez de façon à être visible. Ne vous trompez pas c’est une mise en lumière, encore moins une faveur. Il sort, me laissant-là, le cœur battant comme si on venait de me faire une promesse et une condamnation à la fois. Je range mes feuilles, je ferme l’ordinateur. La nuit est tombée sur Yaoundé. Les lumières de la ville scintillent, indifférentes. Demain soir, je serai exposée. Est-ce une opportunité… ou un piège ? Je n’en sais rien. Mais je sais qu’il a cette capacité à me pousser jusqu’à la limite et à me laisser en équilibre sur le bord. Je ne sais plus à quoi tout ceci rime. Où est ce que ça nous mènera ? Et je n’aime pas ça.Le couloir paraît soudain plus étroit en quittant le bureau du PDG. L’air semble se comprimer autour de moi, comme si ce qu’il vient de se passer ne voulait pas me laisser filer. Je marche vite, presque trop. Si quelqu’un me croise en cet instant, il verrait une fille qui tient debout uniquement parce que ses jambes ont décidé d’avancer toutes seules. Mon cœur, lui, s’est décroché depuis longtemps. “Beau travail. Continuez comme ça.” Sa voix trotte encore dans ma tête. Personne ne m’a jamais dit ça avec ce poids-là. Avec cette chaleur froide capable de caresser et de couper en même temps. Je regagne mon petit bureau, ce cube de verre coincé entre les services qu’on oublie toujours. Dès que je m’assois, mes mains tremblent légèrement. Pas de peur. Juste… l’effet Noah Ewane. Et je déteste ça. Car je sais que ce genre d’effet n’a rien à faire dans l’histoire que j’essaie de me construire. La matinée défile sans respiration. Mails, dossiers, tableaux, corrections, rapports
On dit souvent que la réussite laisse un goût sucré dans la bouche. Moi, je ne ressens qu’un mélange étrange de vertige et de fatigue. Je n’ai dormi que trois heures de temps. Le réveil sonne, mais je suis déjà éveillée. Le reflet dans le miroir me renvoie l’image d’une fille encore maquillée de la veille, les cils collés et le rouge à lèvres à moitié effacé. J'étais très fatiguée à mon retour pour me démaquiller. La robe que j’ai portée hier soir pend sur la chaise, témoin muet de ce que je viens de vivre : ma première soirée d’investisseurs. Et contre toute attente, je n’ai pas échoué. J’ai parlé devant eux. J’ai soutenu mon projet avec assurance. Et j’ai vu leurs regards changer. Même celui de Noah Ewane. L’espace d’un instant, juste avant qu’il détourne le regard, j’ai cru lire de la fierté dans ses yeux. Puis, bien sûr, son masque est revenu. Ce visage impassible, maîtrisé, presque inhumain. — Tu ne pars pas aujourd’hui ? La voix de ma mère me tire de mes
La robe qu’on m’a imposée me colle à la peau. Trop moulante, trop chère, trop… étrangère à moi. Je jette un dernier regard à mon reflet dans la vitre fumée de la voiture. Mes mains tremblent légèrement. C’est ridicule, j’ai répété ma présentation toute la semaine, je connais mes chiffres par cœur, mais mon cœur bat à tout rompre. À ma droite, Noah est assis, silencieux mais très confiant. Son profil est coupé au couteau, froid, parfait, presque irritant. Je déteste ce silence. — Vous allez continuer à trembler comme ça toute la soirée ? demande-t-il sans me regarder. Je sursaute. — Je… non, monsieur. Il soupire. — Alors respirez, Mademoiselle Mballa. Vous êtes ici pour convaincre des investisseurs, pas pour vous évanouir. Je serre les dents. Il n’a pas idée à quel point sa présence seule me déstabilise. Quand nous arrivons devant l’hôtel, les flashs des journalistes illuminent la façade. Des voitures de luxe se succèdent, les invités s’échangent des sourires polis. J’ai l’i
Je n’aurais jamais imaginé qu’une simple invitation puisse me nouer autant l’estomac. Une soirée d’investisseurs, voilà comment Monsieur Ewane avait formulé ça. Et au ton qu’il avait employé, je savais que “refuser” n’était pas une option. — Vous représenterez la société, Mademoiselle Mballa. Sa voix, grave et coupante, ne laissait aucune place à la discussion. — Assurez-vous d’être… présentable. Présentable. Le mot m’avait giflée. Je n’avais rien à me mettre de “présentable” pour une réception de ce niveau. J’étais une stagiaire, pas une mannequin de gala. J’ai tenté de faire comme si de rien n’était, mais mes mains tremblaient sur le clavier. Il faillait que je rentre afin de me reposer et mettre tous les troubles de mon esprit au calme. Je me retourne dans mon lit à la recherche d'un sommeil paisible. Mais rien n'y fait je demeure tourmentée. Qu’allais-je bien pouvoir porter ? Et surtout… pourquoi moi ? Noah Ewane,Trente-cinq ans, PDG d’Ewane Group, une e
Cela fait un mois déjà que je suis dans cette entreprise, comme le temps passe si vite, je pensais être un peu plus rodée. Erreur. Noah a une mémoire d’acier et une précision chirurgicale pour utiliser mes erreurs comme des aiguilles. Il m’appelle à son bureau à dix heures. J’ai passé la moitié de la matinée à préparer un rapport qu’il m’a demandé la veille. J’ai dormi à trois heures, mais je suis là, prête, stylo serré, la tête pleine de calculs. Je veux prouver que je mérite d’être là. Pas pour lui, pour moi. Il lit le document deux fois, lentement, sans lever les yeux. Puis il pose la feuille, comme s’il rejetait quelque chose de sale. — C’est une version brouillonne, dit-il. On dirait que vous avez fait ça à la va-vite. — J’ai corrigé tous les points que vous aviez indiqués, réponds-je. J’ai vérifié les chiffres. — Les chiffres sont justes. Le style est mauvais. Le fond est confus. Vous manquez de méthode. Sa voix est froide, sans appel. Je sens la chaleur me monter
— Vous êtes franche. C’est rare. Je devrais vous sanctionner pour votre comportement de ce matin. — Et vous allez le faire ? — Je ne sais pas encore. Son ton est indéchiffrable, oscillant entre menace et amusement. — Vous commencez lundi, dit-il enfin. Je veux voir jusqu’où va votre “franchise”, mademoiselle Mballa. Je reste figée, incapable de savoir s’il me provoque ou s’il me teste. Quand je me lève pour partir, il ajoute d’une voix plus basse : — Et la prochaine fois que vous traversez sans regarder… ne comptez pas sur moi pour freiner. Je me retourne, le cœur battant, incapable de répondre. Son regard accroche le mien, intense, brûlant. Pendant une fraction de seconde, le temps s’arrête. Je quitte son bureau, les jambes tremblantes, mais un sourire au coin des lèvres. Je ne sais pas ce qui vient de se passer, mais une chose est sûre je venais d'apprendre la leçon de ma vie. Le week-end etant passé à une vitesse éclair laissant place enfin à ce lundi, celu







