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CHAPITRE 14

 

Washington, bâtiment du bureau exécutif Eisenhower, huit heures locales du matin…

 

Le comité Majestic était en réunion plénière au sein de la Situation Room. Chacun des membres présents arborait une mine grave, car il était clair pour ces éminents personnages que le quatrième message de Ö aurait des conséquences bien plus dramatiques que les précédents. Cela avait d’ailleurs déjà commencé. David Deckard fut le premier à prendre la parole.

– Madame, messieurs, cette nuit, à zéro heure, temps de Greenwich, des messages électroniques signés Ö ont commencé à être diffusés dans le monde entier suivant le même protocole que les précédents. À la différence notable, que, cette fois, une pièce jointe de trente pages y était attachée.

Deckard enfonça une touche sur son ordinateur portable et la première page de la pièce jointe s’afficha sur l’écran mural. On pouvait y lire une liste de cent noms – tous des personnalités appartenant au monde de la politique occidentale et des finances internationales – auxquels étaient attachées les fonctions de chaque personne citée. Les pages suivantes détaillaient les exactions de chacun, ainsi que les preuves afférentes.

D’éminents personnages, tel le directeur de la réserve fédérale, autrement dit le grand argentier en chef des États-Unis, étaient mis en cause avec un luxe de preuves confondantes. Frank Urban lui-même était accusé d’avoir violé plusieurs amendements de la constitution, ce qui pourrait se révéler fatal pour sa carrière d’homme politique, sans compter la révélation de son implication dans un délit d’initié au sein d’une affaire d’importance ayant défrayé la chronique peu de temps auparavant. Mais le plus grave était sans conteste les accusations portées contre le vice-président américain lui-même.

– C’est une attaque en règle contre le système politique et financier occidental, lança avec hargne Veronica Lake, la secrétaire à la sécurité intérieure.

– Nous devons absolument trouver l’origine de ces calomnies et les faire taire immédiatement, renchérit Bill North, le directeur des services de renseignements.

Calomnies, tu parles ! railla mentalement Deckard. La NSA avait - dans un souci de véracité car ce domaine ne lui appartenait pas - commencé des vérifications, qui s’étaient toutes révélées positives jusqu’à présent.

Le conseiller à la sécurité nationale Richard Bradley fixa Deckard droit dans les yeux.

– Monsieur Deckard, dit-il d’une voix pénétrante comme une lame de rasoir, j’avoue que jusqu’à présent, je n’ai pas pris très au sérieux ces messages, ni leur provenance supposée, qui, soit dit en passant, reste toujours un mystère malgré vos moyens très élaborés de détection mis en œuvre. Mais cette fois-ci, les répercutions de ce message entrent directement dans mon domaine d’attributions, car il se pourrait bien que la sécurité nationale soit menacée. Je vous pose donc la question une nouvelle fois, mais avec beaucoup plus d’intérêt : d’où proviennent ces messages ?

En guise de réponse, Deckard se contenta d’appuyer sur une touche de son clavier. Le message, sur l’écran mural, disparut au profit d’une vue animée. Il s’agissait d’une webcam filmant dans la pénombre un gamin en train de taper sur le clavier de son ordinateur avec une grande célérité. Malgré la qualité médiocre du film, il n’échappa à personne dans la salle qu’il y avait quelque chose de très étrange dans ces images, un décalage flagrant entre l’incroyable mobilité des mains et le visage sans expression de l’enfant.

– Ce film a été piraté depuis l’ordinateur de Joshua Selden, un garçon de douze ans vivant à Los Angeles, alors qu’il rédigeait le message en question. À noter, qu’il a reçu hier après-midi la visite d’une journaliste liée à l’affaire, Angela de la Vega, dont je vous ai précédemment parlé.

– Celle qui a été contactée en premier ? fit Lake.

– Précisément.

– Qu’est-ce qu’elle a été foutre là-bas ? gronda-t-elle en fronçant le nez.

– Elle cherche à comprendre.

– Elle est connue ? s’informa North.

– Elle non, mais le type avec qui elle vient de s’associer pour son enquête, oui. Vous le connaissez tous, il s’agit de William Hartigan.

– Ce fouille-merde ! éructa Lake.

– Ça, c’est une sacrée tuile ! Cet individu est un vrai pitbull, il ne lâche jamais son sujet d’enquête ! renchérit North.

– Nous y viendrons plus tard, coupa le président du comité Majestic. Monsieur Deckard, veuillez poursuivre s’il vous plaît.

Deckard centra l’image sur le visage du garçon et zooma. La définition était moyenne, l’ambiance lumineuse plutôt faible car seulement éclairée par la luminescence de l’écran supportant la webcam, Le garçon avait une expression bizarre, le regard fixe et inexpressif, comme s’il était en transe ou en pleine crise de somnambulisme.

– Madame, messieurs permettez-moi d’attirer votre attention sur les yeux du sujet. J’ai fait analyser ce film par plusieurs spécialistes ; tous sont unanimes : ces pupilles fixes semblent indiquer que le sujet est en transe hypnotique.

Un silence glacial accueillit ses paroles. Loin de se laisser déstabiliser, Deckard poursuivit son exposé. Il fit venir un autre film à l’écran, celui d’un garçon un peu plus âgé que le précédent, mais présentant les mêmes caractéristiques faciales et oculaires.

– Nous avons pour le moment réussi à pénétrer dans un peu plus de six cents ordinateurs équipés de webcam et à les activer.

Deckart fit une courte pause et regarda chacun de ses interlocuteurs dans les yeux afin d’appuyer ses paroles.

– À chaque fois, c’est-à-dire dans cent pour cent des cas, nous avons découvert la même chose. Tous tapent le message avec une incroyable dextérité dans cet état hypnotique avant de l’envoyer à leurs trois mille destinataires.

– C’est invraisemblable ! rugit North.

– Si nous extrapolons ces résultats au total, cela nous donne un million d’enfants hypnotisés relayant les messages de Ö à trois milliards d’internautes.

Un concert d’exclamations suivit les dernières paroles de David Deckart. Bradley dut intervenir fermement pour ramener le calme.

– Monsieur Deckart, déclara-t-il d’une voix où transparaissait un certain trouble, quelles sont vos conclusions, je vous prie ?

Le chef du RAW inspira profondément.

– Madame, messieurs, nous sommes devant un phénomène inconnu d’une ampleur considérable qui touche environ trois milliards d’êtres humains sur cette planète, dont un million est activement impliqué. Mon équipe et moi-même avons envisagé tous les scénarios possibles et imaginables. Aucun ne tient face aux impossibilités technologiques d’une telle entreprise.

– Est-ce que les Russes ne pourraient pas y être mêlés ? Ils sont très en avance dans le domaine de l’hypnose et du paranormal, avança North.

– Nous avons envisagé cette option monsieur. Même en admettant qu’ils soient bien plus avancés que notre projet Stargate, ce qui me semble difficile, ça ne tient pas non plus.

– Et les Chinois, lâcha Veronica Lake. Ils ont tout intérêt à déstabiliser notre système politique.

– Il ne s’agit pas de motivation, madame, mais de technologie. Je le répète encore une fois, la NSA possède les meilleurs informaticiens et les plus puissantes ressources informatiques du monde. Dans l’état actuel de nos connaissances, ce phénomène est une impossibilité technologique.

– Pourtant, il existe bien, souffla Maximilian Zahn.

C’était la première fois depuis le début de la réunion que le vieil homme ouvrait la bouche. Il regardait devant lui, les yeux dans le vide, ne semblant s’adresser à personne en particulier.

Le conseiller théologique de la Maison-Blanche était un étrange personnage, ancien pasteur converti au bouddhisme, philosophe et auteur renommé de livres sur la spiritualité. Certains murmuraient que si le président l’avait nommé à ce poste, c’était à cause de sa célébrité littéraire. Mais Deckart n’en croyait rien. Le vieil homme possédait une pensée éclectique loin de tout dogmatisme. Il n’était affilié à aucun courant religieux en particulier, ce qui lui assurait une liberté de pensée et de foi plutôt rare en ce monde. Il supposait que c’était ce qui avait séduit le président. En tout cas, ça le séduisait, lui.

Le vieil homme tourna son visage vers lui. L’iris presque transparent de ses yeux clairs sembla le transpercer. Pourtant, aucune agressivité n’en émanait, bien au contraire.

– Et si vous nous disiez à quelles conclusions le technicien de haut niveau que vous êtes, appuyé par l’équipe probablement la mieux qualifiée au monde dans ce domaine, êtes parvenus, monsieur Deckart ? fit-il d’une voix très douce.

David Deckart se racla la gorge. Il sentait tous les regards braqués sur lui et, à part celui du conseiller théologique, aucun n’était amical.

– Pour répondre précisément à votre question monsieur le conseiller, je dirais que… nous sommes en présence d’une entité possédant des pouvoirs supra-humains.

– Foutaises ! tonna North.

– Vous voulez parler de quoi ? D’un extraterrestre ? De Dieu ? railla Lake.

– Dieu est un extraterrestre ma chère, répondit tranquillement Maximilian Zane en fixant droit dans les yeux la secrétaire à la sécurité intérieure.

Cette remarque fut le point de départ d’un débat aussi stérile que frustrant pour toute personne ayant un minimum de foi, la secrétaire à la sécurité intérieure et le directeur des services secrets faisant part d’une opinion agnostique aussi convaincue que vindicative. Cela dépassait très largement le cadre technique que s’était fixé Deckart au sein de ce comité. Heureusement pour lui, le conseiller théologique prit la discussion en main, affrontant avec brio les deux matérialistes acharnés, permettant ainsi au chef du RAW de se mettre en retrait.

À l’autre bout de la table, un second personnage se tint également à l’écart, quoique pour des raisons bien différentes de celles de Deckart. De tous les membres de cette assemblée, lui seul saisissait totalement l’implication des accusations portées par ce quatrième message de Ö. Le sénateur Frank Urban était le seul – pour le moment - à savoir que les cent personnalités mises en cause par le message appartenaient toutes, sans aucune exception aucune, à un cercle très restreint se cachant au sein de la Confrérie des Skull and Bones. Et cette information devait absolument rester secrète. À n’importe quel prix, même celui du sang.

Il était urgent d’agir.

En premier lieu, bien que la Confrérie soit utilisée par lui et ses condisciples comme pare-feu, il faudrait couper tout lien pouvant y mener. D’après ses nombreuses sources au sein de la presse, Urban savait qu’on ne pourrait éviter le scandale. Cependant, il pourrait être savamment jugulé par des médias complaisants, et cela même grâce au caractère mystérieux de sa source.

Carl Bersntein et Bob Woodward, les deux journalistes du Post qui firent tomber Nixon en 1974, étaient des hommes bien réels. Ö ne l’était pas – Urban en était maintenant persuadé, aucun humain au monde n’ayant le pouvoir d’éventer les exactions de ses condisciples. Cela faisait autant sa force que sa faiblesse et le sénateur se faisait fort d’exploiter au mieux ce dernier point. Le problème viendrait d’ailleurs, de fouille-merdes tels ce Hartigan et sa complice, cette Angela de la Vega. Tous deux étaient d’ores et déjà impliqués jusqu’au cou dans cette histoire, il le savait.

Leur groupe était parfaitement implanté au sein de toutes les agences gouvernementales américaines et même dans certaines agences européennes. Leurs sources à la NSA leur avaient fourni les résultats d’écoutes téléphoniques et d’intrusions informatiques. Il était clair que les deux journalistes s’y intéressaient de près.

De plus, la femme était en contact direct avec Ö. Ils devenaient gênants. Il allait falloir s’en occuper sans plus tarder.

 

La discussion finissant par tourner en rond, la réunion prit fin rapidement. Chacun quitta la Situation Room l’esprit fort occupé, à des degrés divers et pour des raisons différentes. Celles qui animaient le sénateur Urban étaient bien sombres. Il s’engouffra dans sa limousine sans même un regard pour son chauffeur. Dès que la voiture démarra, il actionna la commande de la vitre de séparation et s’empara du téléphone crypté du véhicule. Une réunion d’urgence s’imposait, mais avant cela, il y avait plus pressant. Le sénateur retira ses gants de cuir fin et tapa un SMS. Le destinataire était l’homme le plus efficace qu’il connaissait pour le genre de tâche délicate dont il avait besoin. Il était à la tête d’une petite équipe bien rodée, dont lui et ses condisciples utilisaient parfois les services lorsque l’élimination physique était devenue le seul recours. Habituellement, lorsqu’il devenait nécessaire, pour le bien de leur groupe, de recourir à une telle extrémité, la décision devait être prise collégialement. Mais Frank Urban possédait un passe-droit. Ses hautes fonctions au sein de l’Ordre lui conféraient une certaine latitude qu’il ne se privait pas d’utiliser. D’aucuns auraient trouvé cela extravagant, pour ne pas dire effarant, mais Urban était tellement imprégné de pouvoir que décider seul de la mort d’autrui ne lui posait absolument aucun problème moral.

 

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