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CHAPITRE 5

 

QG de la N.S.A, à Fort Meade, État américain du Maryland…

 

Au sein de l’un des deux immenses cubes d’acier et de verre teinté abritant les vingt mille employés de la plus grande agence de collecte de renseignements au monde, se trouve une petite salle très spéciale. Située à l’extrémité ouest de la grande salle d’analyse numéro trois, dédiée à la surveillance du continent sud-américain, elle abrite le RAW, ou Réseau Advent Watcher.

Si le Christ revenait parmi les hommes, quel moyen utiliserait-il pour faire connaître son message ?

Le web, assurément.

Le RAW est né de cette imparable constatation.

Placé directement sous mandat présidentiel, son but était de permettre aux instances dirigeantes du pays, d’anticiper le Second Avènement, cause supposée de bouleversements peu favorables à la gouvernance et aux affaires.

Vingt-quatre heures sur vingt-quatre, une équipe d’une dizaine de théologiens guettait et analysait tout message à connotation religieuse ou ésotérique.

L’ambiance au sein de la salle était d’ordinaire très calme. Sauf cette nuit.

 

À cinq heures du matin, David Deckard se gara sur l’immense parking jouxtant le bâtiment principal. Il se hâta vers l’entrée, montra son badge aux préposés, passa le portique de sécurité et s’engouffra dans le grand hall d’entrée en direction des ascenseurs. Quelques instants plus tard, il émergea quatre niveaux plus bas dans un long couloir menant à un sas de sécurité commandé par empreinte palmaire. Il posa sa main sur le panneau ; la porte coulissa et il entra dans la salle d’analyse numéro trois. Même en plein milieu de la nuit, il y régnait une activité fébrile de ruche. La centaine d’analystes qui officiaient devant leurs écrans animés par deux unités centrales Cray Titan 2 d’une puissance de calcul de 25 PFLOPS chacune, émettait le niveau sonore d’une grande bibliothèque, c’est-à-dire peu de décibels, le travail en ces lieux nécessitant une certaine concentration.

Deckard s’engagea dans l’allée latérale sud et parcourut d’un pas rapide les trente mètres de la salle, dépassant les rangées où s’affairaient les analystes assis derrière leurs consoles d’ordinateurs. Le dispatcher lui fit un petit signe amical de la main depuis sa cage vitrée lorsqu’il passa auprès de lui. Deckard arriva devant le sas de la salle du RAW et posa sa main sur un nouveau scanner palmaire. La porte s’ouvrit dans un imperceptible chuintement et il pénétra dans l’univers feutré des théologiens, une salle de cent mètres-carrés équipée de dix postes de recherche informatique dont la moitié était occupés en permanence.

– Monsieur, on a quelque chose d’énorme ! lança Bob Driscoll dès qu’il arriva.

Driscoll était le responsable de nuit du RAW cette semaine. C’était un trentenaire prématurément vieilli, au teint gris et aux cheveux rares, mais d’une acuité intellectuelle très vive doublé d’une capacité hors normes pour appréhender un indice probant au milieu d’une foule de données disparates. Et c’était probablement la meilleure des qualités pour officier à la NSA et plus spécialement au RAW. Driscoll, qui était d’un ordinaire plutôt calme, semblait très excité. Il entraîna Deckard vers la console la plus proche. Le chef du RAW nota que les quatre autres chercheurs n’étaient pas à leurs postes respectifs, mais commentaient ensemble avec animation ce qui s’affichait sur l’écran de l’un d’entre eux.

– On a reçu ça sur nos boîtes mail à 00 h 00.

Sur l’écran s’affichait un court texte :

Au Commencement était le Silence.

Au sein du Silence est née la Vibration.

La Vibration a créé la Vie.

La Vie a enfanté les fils de l’Homme.

Les fils de l’Homme ont engendré le Tumulte.

Le Tumulte recouvre la Vérité.

La Vérité n’est perçue que dans le Silence.

Guettez l’Appel de Ö.

 

– Peu courant comme message…

– Ouais… d’ordinaire, les illuminés qui pondent ce genre de trucs ne peuvent s’empêcher de faire des références bibliques à tout bout de champ. Mais…

– Mais ?

– Ce n’est pas tant le contenu que la façon dont il a été envoyé qui est… intéressant.

Driscoll passa une main dans ses cheveux clairsemés avant de fixer son chef d’un regard profond.

– Chacun d’entre nous ici l’a reçu dans nos boîtes mail pro. Comme vous le savez, nos adresses sont confidentielles. Nous l’avons aussi reçu dans nos boîtes perso. Pour ma part, j’en ai trois. Il était dans chacune d’entre elles.

– Où voulez-vous en venir ? demanda Deckard avec une drôle de voix.

– On a recoupé avec tous nos collègues de la salle d’à côté, soit une centaine de personnes en tout : même chose. Tout le monde a reçu ce message dans toutes ses boîtes mail.

– Merde ! lâcha Deckard.

– Ça nous a mis la puce à l’oreille et on a commencé à creuser.

Driscoll entraîna son chef quelques mètres plus loin vers ses collègues tout en continuant à parler.

– On a mis notre SuperDome sur le coup et on a dérivé trente pour cent des Cray de la salle d’à côté pour avoir plus de puissance de calcul.

Mattew Foster, le plus âgé des analystes présents dans la pièce, était assis à son poste tandis que ses collègues commentaient dans son dos ce qui s’affichait sur son écran. Il ne s’aperçut même pas de la présence de son chef tant ce qu’il voyait le perturbait.

– Où en est-on Mattew ? interrogea Driscoll.

– On a passé la barre des cinq cents millions ! fit-il sans même se retourner.

– Cinq cents millions de quoi ?

– D’internautes qui ont reçu ce message dans leur boîte mail.

– Mais c’est impossible ! lança Deckard.

– C’est en train de se produire sous nos yeux mêmes, monsieur.

Deckard se pencha sur l’épaule de Foster. L’écran affichait un graphique avec le nombre d’internautes répertoriés dans le monde entier - soit un peu plus de trois milliards - sur l’échelle des ordonnées, avec le temps en abscisse. La courbe avait atteint près d’un huitième de l’échelle des ordonnées en un peu plus d’une heure.

– Le message a commencé à être diffusé à 00 H 00 GMT aujourd’hui. Il y a donc une heure et quatre minutes.

– Et nous en sommes à cinq cents millions ?

Deckard ne pouvait admettre ce chiffre. C’était tout simplement impossible.

– Vous avez déterminé la source ?

– Les sources plutôt. La recherche n’est pas finie, mais nous progressons très vite dans nos investigations car il n’y a étrangement aucun cryptage.

Driscoll se pencha sur un autre écran qui affichait une colonne de chiffres en perpétuel défilement.

– Pour le moment, nous approchons la barre du million.

– Quoi ? - Vous êtes en train de me dire que…

– Près d’un million d’internautes envoient le même message à toutes les boîtes mail du monde entier, soit plus de trois milliards de contacts ! Et, au rythme où ça se produit, tout sera fait dans moins de huit heures.

– Vous avez fait une recherche d’antériorité sur ce message ?

– Bien sûr. Il n’apparaît nulle part. Aucun site, pas un seul blog, ni le moindre e-mail. Les écoutes téléphoniques aléatoires ne donnent rien non plus, on a vérifié.

– Peut-être ont-ils organisé tout ça sans passer par Internet ou le téléphone…

– Par courrier papier ? Ça me paraît tiré par les cheveux.

– Je pense tout haut Bob, j’envisage toutes les solutions.

– Monsieur, si nous avons affaire à une blague, c’est le plus grand canular de tous les temps. Mais honnêtement, je n’y crois pas. Il est impossible d’organiser quelque chose sur cette échelle sans qu’il n’y ait la moindre fuite.

– Et vous en concluez ?

– Il se pourrait bien que ce soit ce pour quoi nous veillons depuis des années. Faut-il prévenir le Comité Majestic monsieur ?

Deckard prit une profonde inspiration avant de répondre. Il regarda son subordonné droit dans les yeux.

– Pas encore, attendons un peu.

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