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CHAPITRE 9

 

 

Cuzco, Pérou…

 

Le Boeing de British Airways se posa à seize heures locales. Dès sa descente d’avion, Noa s’aperçut de l’atmosphère inhabituelle qui régnait dans le terminal. L’aérogare était bondée et une sorte de fébrilité générale semblait avoir saisi la plupart des voyageurs. Noa s’inséra dans la file pour les services d’immigration. L’attente fut longue en raison de l’afflux de gens et du manque de personnel. Il récupéra enfin ses bagages, passa la douane et se dirigea vers la sortie. Il monta dans le premier taxi venu et indiqua l’hôtel Ambassador. Le chauffeur était un homme plutôt jeune, d’un abord convivial. En même temps qu’il insérait son véhicule dans le flot de la circulation avec un art consommé de la conduite en zone urbaine dense, il entama la conversation.

– Vous êtes ici pour l’apparition, Señor ?

– C’est à cause de ça, tous ces gens ?

– Si, beaucoup de pèlerins viennent ici depuis deux jours. J’ai un cousin qui travaille à Macchu Pichu. Il l’a vu ; il m’a tout raconté !

– Vraiment ?

– Si señor, je vous assure. C’est bien vrai, beaucoup de gens l’ont vu ! Même la télévision est venue enquêter !

L’enthousiasme du chauffeur perçait dans sa voix ; Noa croisa son regard dans le rétroviseur et y lut une ferveur sincère. Il se demanda soudain si la propension de l’homme à croire au merveilleux était un état inhérent de l’être humain ou bien s’il était proportionnel à son état de souffrance ?

Noa regarda par la fenêtre ; dans les rues de la capitale Inca défilait une foule multicolore nonchalante et paisible. Durant un instant, Noa envia leur attitude face à une vie pourtant peu facile, du moins à l’aune des critères européens.

Tout est une question de point de vue, finalement. Même la perception de Dieu. Et de ses saints.

– Il s’agit bien d’un ange, n’est-ce pas ?

– Si señor, un ange de lumière. Tout le monde l’a très bien vu là-haut ! C’est plutôt bon signe pour les hommes, vous ne croyez pas ? demanda-t-il avec autant de foi que d’espoir.

Noa ne répondit pas. Il n’était pas bien sûr de ce qu’il croyait, de ce qu’il avait lui-même vu en Afrique. Un être de lumière ? Une force surnaturelle ?

La foi, l’espoir… Dans ce monde de souffrance, l’humanité ne se fabriquait-elle pas finalement ses propres chimères, ses propres hallucinations ?

Noa ferma les yeux et se laissa aller contre le dossier de son siège. Le manque d’oxygène commençait à le gagner et une migraine qu’il estima salvatrice mit fin à ses pensées.

 

L’hôtel Ambassador offrait le charme suranné des vieux établissements hôteliers de luxe. Sonné par le décalage horaire autant que par son mal de tête, Noa dîna rapidement dans la salle de restaurant avant de monter s’étendre dans sa chambre. Le sommeil le submergea en un instant.

Il se réveilla en sursaut à deux heures du matin, le souffle court, le cœur battant violemment dans sa poitrine. Un instant paniqué, il chercha à reprendre sa respiration avant de se rappeler que Cuzco était située à plus de trois mille mètres d’altitude. Il inspira profondément par le ventre avant de laisser l’air envahir ses poumons. Quelques années de yoga lui avaient appris pratiquer la respiration ventrale, source d’oxygénation mais également de détente qu’il adoptait lorsqu’il sentait le stress le submerger. Il sentit son diaphragme se débloquer et la tension retomba rapidement. Il resta là ainsi à respirer aussi lentement que profondément. Son cerveau avait besoin d’oxygène, il le sentait au travers de la migraine qui ne l’avait pas quitté depuis la veille.

Lorsqu’il fut calmé, il se leva et s’assit à la table servant de bureau. Il alluma son MacBook Pro et se connecta à son serveur. Il releva quelques mails sans importance avant de lire celui de la coordinatrice logistique du Gardian, une blonde avenante prénommée Pamela. Il avait une place réservée dans le train de six heures pour Machu Picchu et une chambre dans l’unique hôtel sur place. Il fit ensuite une recherche sur les apparitions. Les deux premières, celles de Bénarès et de Riyad, étaient largement commentées. Il tomba sur le papier qu’il avait pondu en urgence avant son départ, mais ne le relut pas. Sur l’apparition péruvienne, en revanche, peu d’infos transparaissaient, si ce n’est l’habituel babillage qu’employaient les journalistes pour remplir des pages lorsqu’ils avaient peu d’informations. Le site étant loin de la civilisation, peu aisé d’accès et le délai encore trop court pour que les grands quotidiens aient pu réagir, toutes les infos émanaient de quelques correspondants locaux. Il y avait aussi une interview d’un membre éminent du Vatican, mais Noa ne la lut pas. Seul le nom le frappa : de Torquemada. Un nom maudit évoquant les heures les plus sombres de l’Église catholique, songea-t-il.

Noa éteignit son ordinateur portable et se recoucha. Dans un peu moins de huit heures, il serait à pied d’œuvre et pourrait débuter son enquête. En attendant un sommeil qui ne venait pas, les yeux rivés au plafond, il laissa son esprit vagabonder. Celui-ce le ramena en Afrique, dans le camp de Ryad. Ce qui s’était déroulé là-bas était très subjectif, il en convenait, mais avait laissé une empreinte indélébile au sein de son être. Il ne pouvait oublier la puissante ferveur qui avait étreint les enfants, allumant la flamme de l'espérance au sein de leur cœur, alors même qu’ils souffraient et mouraient. Comment cela était-il possible ? Ce n’était pas un cas d’hystérie collective, comme d’aucuns en avaient émis l’hypothèse. Il y était, il avait vu. Quoi exactement ? Rien de tangible, mais il avait ressenti l’atmosphère ; elle était douce, paisible, lumineuse, fervente, porteuse d’espoir, tout le contraire d’une quelconque psychose.

L’espoir… C’est un sentiment que Noa n’avait plus éprouvé depuis fort longtemps. La déchéance physique de Rachel lui en avait ôté jusqu’au souvenir. Mais il sentait quelque chose remuer au fond de lui. Pour la première fois depuis fort longtemps, Noa se prit à souhaiter que… quoi exactement ? Qu’il ne soit pas impossible qu’il y ait un sens caché à ce vaste gâchis qu’était l’humanité ? Sa migraine augmenta soudain d’intensité, l’arrachant à ses pensées pour l’entraîner dans un océan de douleur où même le souvenir de sa femme tant aimée ne pouvait l’atteindre.

 

La gare de San Pedro respirait les épices venues du marché central situé à proximité, mais aussi la pollution due à l’intense circulation automobile. Paradoxal mélange olfactif alliant culture ancestrale à modernité dégradante, pensa Noa, avant d’aviser un contrôleur, qui lui indiqua son wagon. Son billet lui donnait droit – délicate attention de Pamela – au train Vista Dome, dont les voitures à l’élégant ton outremer étaient toutes équipées de fenêtres panoramiques. Il régnait une agitation certaine sur le quai ; une petite foule composée essentiellement d’Occidentaux - avec une forte proportion de femmes - s’engouffrait dans les wagons sous l’œil nonchalant des contrôleurs. Noa embarqua, déposa son sac à dos sur l’aire à bagages et s’installa en milieu de rame dans l’un des confortables fauteuils, près de la fenêtre. Un groupe de chrétiens évangélistes américains lui succéda en s’interpellant joyeusement. En quelques instants, le wagon se remplit entièrement. Une mamie aux pimpantes frisettes blanches s’affala dans un soupir sur le siège devant lui, bientôt suivie par son mari, un homme rougeaud qui peinait à retrouver sa respiration. Une jeune femme blonde d’une trentaine d’années en tenue de randonneuse s’installa à ses côtés. Elle cala son sac à dos entre ses jambes, avant de lui faire un sourire engageant, auquel Noa répondit par politesse. Un coup de sifflet retentit sur le quai ; Noa vit un contrôleur faire un grand signe du bras – probablement au machiniste – et le train bleu s’ébranla, quittant la gare dans le grondement de sa locomotive diesel.

Noa observa les faubourgs encombrés de l’ancienne capitale des Incas défiler devant ses yeux fatigués. Puis le train s’élança vers les contreforts andins qu’il escalada bientôt sous un angle important, dévoilant les toits en tuiles rouges de la ville.

Pendant la première demi-heure, le train zigzagua sur le flanc de la montagne Picchu dominant Cuzco. La pente escarpée ne permettant aucune boucle, le train grimpait en marche avant jusqu’à un point d’arrêt, avant de repartir en arrière pour le tronçon suivant. Puis il franchit un col et s’engagea dans une longue descente vers le hameau de Poroy.

Noa se plongea dans la contemplation des paysages, laissant leur beauté sauvage agir sur son esprit, tel un mandala salvateur. Les montagnes recouvertes d’une végétation rase très verte se découpaient sur l’indigo du ciel et le moutonnement blanc des nombreux nuages. Ce contraste des formes et des couleurs était pour lui une vision reposante après l’aridité du désert africain qu’il avait côtoyé trop longtemps.

Au bout d’un moment, sa voisine tenta d’engager la conversation. Mais parler était au-dessus de ses forces. Noa ne voulait pas sortir de ses pensées. Il lui fit quelques réponses laconiques et la jeune femme n’insista pas. Elle se mit à discuter avec le couple de personnes âgées assis devant eux. Ils parlèrent de l’apparition. Noa comprit qu’ils se rendaient à Machu Picchu dans l’espoir de se confronter au divin. Comme probablement la majorité des gens présents dans ce train et cela le toucha profondément.

Après Poroy, le train bifurqua vers le nord, dans une vallée étroite qui le mena au hameau d’Ollantaytambo, point d’entrée de la vallée sacrée au fond de laquelle s’écoulait tumultueusement le rio Urubamba.

Lorsque le train arriva en gare d’Agua Calientes, son terminus, il s’était écoulé un peu plus de trois heures trente. Noa laissa sa voisine s’extirper de son siège avant de se lever. Il récupéra son sac et suivit le flot des passagers vers la sortie de la gare.

Plusieurs bus blancs attendaient sur une petite place, sous le soleil. Les bagages furent placés dans les soutes ; les voyageurs embarquèrent dans une ambiance bon enfant. Noa se retrouva assis à côté d’un prêtre. L’homme le fixa un instant d’un air étrange, puis se tourna sans un mot vers la vitre. Les cars s’ébranlèrent et s’engagèrent en convoi vers la montagne par une route caillouteuse autant qu’escarpée. Les dix kilomètres de trajet jusqu’au Machu Picchu furent rapidement avalés et les bus stoppèrent sur une aire plane à proximité du seul hôtel construit sur le site. Noa récupéra son sac et se dirigea vers la réception. Il dut contourner un camion garé juste devant l’entrée, duquel on déchargeait du matériel vidéo et audio, avant d’entrer.

Il y avait foule devant le comptoir. L’hôtel était littéralement pris d’assaut par des équipes de télévision et des journalistes. Du matériel était empilé partout, dans un désordre indescriptible. Noa fut heureux que Pamela ait réservé au plus tôt. Il lui fallut un petit moment pour récupérer sa clé et prendre possession de sa chambre. Il déposa ses affaires et ressortit. Il était encore tôt et Noa voulait inspecter l’endroit avant d’aller déjeuner. Il se dirigea vers le poste de contrôle du sanctuaire. Acheter un billet lui prit plusieurs minutes, car il y avait déjà foule. Il repéra plusieurs journalistes de la presse écrite, ainsi que deux équipes de télévision qui déballaient tout leur matériel sous l’œil intrigué des pèlerins. Enfin muni de son sésame, il s’engagea sur le chemin de la citadelle, un sentier très bien entretenu dont la largeur avoisinait par endroits les quatre mètres, ce qui était bien pratique pour dépasser les groupes de visiteurs qui y déambulaient lentement. Noa arriva au sommet de la zone agricole. Là, une série de terrasses terminées par des murs de pierre supportaient des constructions basses servant de greniers, appelées Colcas. La forte pente avait obligé les agriculteurs de l’époque à tailler de grandes plates-formes dans le flanc de la montagne. Le résultat ressemblait à un escalier géant dédié à la culture. Mais le plus impressionnant résidait au-delà. Le sanctuaire était environné de sommets abrupts, couverts d’une végétation dense, par endroits noyés dans les nuages. Cela conférait au paysage un côté assez étrange, presque mystique.

Noa poursuivit son périple vers le cœur du sanctuaire. Il s’arrêta quelques instants sur un point de vue englobant la totalité du site. Devant lui, en contrebas, s’étendait un plateau recouvert de constructions basses, tout en pierres taillées et ajustées avec la précision unique des Incas, appelé zone urbaine. Au-delà, dominant la citadelle de son imposante majesté, se dressait le Huayna Picchu, un pic pointu aux flancs presque verticaux. C’est au sommet de celui-ci qu’avait eu lieu l’apparition, trois jours plus tôt. Un sentier de pierre escarpé menait à son sommet ; Noa avait l’intention de s’y rendre, mais pas tout de suite. Il voulait d’abord se faire une idée générale de l’endroit, en prendre la température, respirer l’atmosphère avant d’aller à l’essentiel. C’est ainsi qu’il procédait toujours, laissant venir à lui lentement les sensations, s’imprégnant de l’énergie du lieu. Sa créativité s’en trouvait stimulée et c’est ainsi qu’il écrivait ses meilleurs papiers, qu’il prenait les plus belles photographies, celles qui captaient l’essence même du sujet et pour lesquelles son rédacteur en chef l’encensait.

Au centre de la zone urbaine s’élevait un grand tertre en escalier dont le sommet tronqué formait une longue surface plane. Une petite foule y était amassée. Noa consulta son plan et lut qu’il s’agissait de la plate-forme supérieure de la pyramide de l’Intihuatana, jadis lieu de culte et d’observation stellaire.

Noa reprit sa progression. Il ne lui fallut que quelques minutes pour rejoindre le sommet de la pyramide. En son centre trônait une grande pierre grise taillée de façon particulière, considérée comme le symbole du Machu Picchu, mais l’affluence ne lui permit pas de s’en approcher vraiment. Les gens semblaient s’être agglutinés autour du monument sacré. Etait-ce l’énergie singulière qu’il était censé dégager - d’après ce qu’il en avait lu – qui attirait les visiteurs ? Noa n’insista pas, préférant s’éloigner, prendre un peu de champ par rapport à la foule, bien que celle-ci fût étrangement silencieuse, comme si chacun ici ressentait l’atmosphère particulière régnant au sein de ce sanctuaire de pierre, cherchant à se mettre au diapason de cette énergie un peu magique qui semblait vouloir emplir les âmes et les esprits. Noa reconnut sa voisine du train ; leurs regards se croisèrent et ils échangèrent un sourire. Puis il fit quelques pas supplémentaires pour s’éloigner et s’accouda à une sorte de bastingage en corde qui dominait la pente abrupte de la pyramide. En contrebas, du côté du temple majeur, Noa remarqua deux prêtres qui s’étaient isolés du reste des visiteurs. Leur attitude, un rien étrange, dénotait avec le comportement ambiant des autres personnes. Noa reconnut son voisin du bus, un homme grand et mince, portant élégamment sa quarantaine ; il était en grande discussion avec un personnage plus petit et râblé, d’une allure nettement moins distinguée. Ils semblaient parler avec une certaine ferveur de quelque chose de grave. À un moment, ils se tournèrent de concert dans sa direction, et, malgré la distance, Noa fut certain qu’ils le fixaient, lui. Cela le mit mal à l’aise et l’intrigua, mais ils reprirent bien vite leur conversation animée. Ils ne semblaient pas d’accord sur un sujet important et le plus petit des deux tourna brutalement le dos à son compagnon et s’éloigna d’un pas vif. Le prêtre élégant observa un moment son coreligionnaire, avant de se tourner à nouveau vers Noa. Malgré la distance les séparant, le journaliste fut certain qu’il le regardait. Puis il fit demi-tour et s’éloigna.

Quelques instants plus tard, un grondement sourd roula entre les montagnes. Noa observa l’horizon, au sud, où des nuages sombres s’amoncelaient en une masse compacte au-dessus des sommets. Un orage arrivait. Il était temps de rentrer à l’hôtel se mettre à l’abri, mais aussi d’aller déjeuner, comme le lui criait son estomac.

 

La grande salle de restaurant était bondée. La pluie avait rabattu toutes les équipes de télévision et la plupart des journalistes à l’abri, sans compter les rares touristes qui avaient pu trouver une place libre. Noa se demanda si parmi eux se trouvaient certaines de ses connaissances. Il y avait peu de chance, car il n’enquêtait pas dans son milieu habituel. Il scruta les visages, mais aucun grand reporter de guerre ne s’était glissé ici. Pas de ceux qu’il connaissait en tout cas. Et il les connaissait presque tous. Il en fut grandement soulagé, car il n’avait absolument pas envie de s’expliquer sur sa présence ici, sur ses choix, sa nouvelle orientation.

Un serveur s’approcha de Noa et lui demanda de le suivre. Il le conduisit vers le fond de la salle, à une table de deux personnes occupée par un seul homme, placée près d’une large baie vitrée donnant sur le site. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu’il reconnut le prêtre élégant. Noa s’assit et posa les yeux sur lui. Nullement gêné, l’homme d’Église sembla au contraire apprécier la situation. Il lui tendit une main ferme par-dessus la table.

– Bonjour, je suis le Père Rodriguez, du diocèse de Cuzco.

Noa saisit la main tendue. Elle était ferme et franche. Comme le regard du prêtre.

– Noa Stevenson, du Guardian.

– Cela fait deux fois que nous nous rencontrons monsieur Stevenson.

– Trois, si l’on considère l’échange de regards sur le site, tout à l’heure. Car c’est bien moi que vous regardiez, n’est-ce pas ?

Le Père Rodriguez sourit d’un air amusé.

– En effet. Croyez-vous aux signes, monsieur Stevenson ?

– Des signes ? De quel genre ?

– De ceux que nous offre la vie au quotidien.

Noa ne répondit pas immédiatement ; le Père Rodriguez enchaîna.

– L’un de vos grands théoriciens de la pensée, Carl Gustav Jung, y croyait fortement. Savez-vous par quel terme il désignait ce concept ? La synchronicité.

– J’en ai entendu parler en effet.

– Mais l’avez-vous expérimentée ?

– J’ai bien peur que non.

– Et pourtant, nous sommes en plein dedans !

Noa resta coi.

– J’ai lu votre article sur l’apparition du dispensaire de Riyad hier, avec beaucoup d’intérêt je dois dire. Or, aujourd’hui, le hasard me place deux fois en face de vous, qui en êtes l’auteur. Et il se trouve que j’ai une information à transmettre à un journaliste de confiance.

Le Père Rodriguez avait du sang indien dans les veines, comme l’attestaient le teint mat légèrement cuivré de sa peau, l’épaisseur de ses cheveux d’un noir de jais et le dessin légèrement allongé de ses yeux. Mais ce qui dénotait le plus dans sa physionomie était l’intensité de son regard.

– Ce matin, en me levant, je ne savais pas à qui la confier. Maintenant, je sais avec une certitude aussi profonde que ma foi en Jésus-Christ notre Sauveur que c’est à vous que je dois l’offrir, monsieur Stevenson.

Son regard débordait de conviction.

– Voilà ce que j’appelle tomber à pic. D’aucuns y verraient un pur hasard. Pas moi. Les signes existent bel et bien, et ils sont un don de Dieu pour qui sait les interpréter.

– Quelle information voulez-vous me transmettre, mon Père ?

Le Père Rodriguez sourit doucement avant de diriger son attention vers la baie vitrée et le paysage au-delà. En temps normal, la vue devait être à couper le souffle, mais en cet instant, la pluie noyait tout sous un épais rideau opaque.

– Un ange est bien venu ici monsieur Stevenson. Plusieurs centaines de personnes l’ont vu. Ou plus exactement, ont vu une intense lumière surgir du ciel et briller comme un soleil au sommet du Huayna Picchu durant quelques minutes, avant de disparaître. Ce que peu de gens savent, en revanche, c’est qu’il a laissé un message.

Noa se redressa imperceptiblement sur son siège, sa curiosité soudain piquée.

– Un message ?

– Oui. Un message que je pense adressé à vous.

Le regard du prêtre se vrilla dans celui du journaliste et la force de conviction qu’il y lut le désarçonna.

– Mais… c’est impossible, articula-t-il péniblement.

    – Impossible est un mot inconnu dans le domaine du divin, monsieur Stevenson.

  Le Père Rodriguez posa sa serviette sur un coin de la table et se leva.

– Soyez à quatre heures demain matin devant l’hôtel. Le Père Jacinto viendra vous prendre.

– Le Père Jacinto ?

– Vous l’avez déjà vu. C’est avec lui que je discutais tout à l’heure, près du temple Majeur.

– Vous n’aviez pas l’air très en accord tous les deux !

– Nous vivons des temps incertains qui éprouvent les âmes, monsieur Stevenson. La conduite à tenir en pareil cas n’est pas évidente et les avis divergent. C’est aussi ce qui fait notre force d’êtres humains, d’êtres de foi. Mais soyez sans crainte, Jacinto accomplira sa tâche avec sa dévotion coutumière.

Le prêtre remit sa chaise en place devant la table.

– Prévoyez une tenue pour la montagne et la jungle, car la marche sera longue.

Sur ces dernières paroles, il s’éloigna sans un regard en arrière, laissant Noa aussi dérouté que perplexe.

 

 

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