Graziella
Le son de la porte qui se ferme derrière moi résonne comme un dernier écho, une marque indélébile dans mon esprit. L’air de la pièce semble plus lourd, plus chargé d’une énergie électrique. Je n’avais pas imaginé que revenir ici me donnerait une telle sensation. Je pensais que le choix serait simple, que j’aurais la force de m’y rendre et de suivre la promesse d’Élias, mais la réalité est bien plus complexe que je ne l'avais imaginé.
Il est là, dans l'ombre, m’attendant. Ses yeux brillent d'une lueur que je connais bien, celle qui me rappelle que, désormais, tout est sous contrôle. Pas le mien, mais le sien. Et cela me trouble plus que je ne voudrais l’admettre. Je lève les yeux vers lui, et il ne fait rien, ne dit rien. Il se contente de me fixer, comme une statue immobile, une figure de pouvoir. Un maître, un prédateur.
— Vous êtes là, dit-il simplement, sa voix basse, sans fioritures. L’instant que vous avez choisi. La ligne entre le passé et l’avenir vient de s’effacer.
Je fais un pas en avant, presque malgré moi. Mes jambes sont comme guidées par une force invisible, une attraction qui me pousse sans que je puisse y résister. Je veux dire quelque chose, mais mes mots me manquent. Je veux le confronter, lui demander pourquoi, pourquoi maintenant, pourquoi moi, mais aucune question ne trouve sa place. À la place, il y a un silence entre nous, lourd, épais, presque tangible. Le silence qui précède tout.
Il s’avance lentement, mes yeux ne le quittant pas une seconde. Il n’a pas besoin de gestes brusques pour imposer sa présence. Il a ce pouvoir du silence, du regard, de l’attente. Je sens mon cœur battre plus fort à chaque pas qu’il fait vers moi, chaque mouvement calculé. Il s’arrête juste devant moi, à une distance parfaite. Ni trop proche, ni trop loin. Et pendant un instant, il ne dit rien, il se contente de m’observer.
Je le ressens au plus profond de moi : il sait. Il sait que je suis prête à tout pour ce rêve, qu’il est l’ultime passage, l’inévitable carrefour entre la vie que je connais et celle qu’il me promet. Mais qu’en est-il de moi, de ce que je ressens ? Est-ce vraiment un rêve, ou est-ce un piège que je m'apprête à m’enfermer moi-même ?
Enfin, il parle. Sa voix, encore plus basse qu’auparavant, pénètre dans mes pensées.
— Vous avez fait le bon choix, Graziella. Vous comprendrez bientôt que tout cela est nécessaire. Ce que vous ressentiez avant, ce poids, cette insatisfaction... C’est fini. À partir de maintenant, vous appartenez à autre chose.
Je frissonne, pas de peur, mais de cette sensation étrange d’être à la croisée des chemins. Tout en moi m’avertit que l’engagement qu’il me propose n’est pas seulement une question de réussite, mais un changement radical de ma vie. Et je sais, au fond, que c’est ce changement, cette transformation, qui me fascine autant que cela m’effraie. Je n’ai jamais été une personne docile. J’ai toujours voulu m’imposer, défier le destin. Mais aujourd’hui, je comprends que ce contrôle, cette force que je croyais posséder, n’a jamais été qu’une illusion.
Je ferme les yeux un instant, juste une fraction de seconde, pour laisser mes pensées se poser, pour essayer de comprendre ce qui se cache derrière ces mots. Mais quand je les rouvre, il est plus près, encore plus proche. Je peux sentir la chaleur de sa présence me submerger, cette chaleur qui me fait sentir à la fois faible et forte, vivante et morte. J’essaie de me concentrer, de ne pas céder à cette attirance irrésistible, mais c’est impossible. Chaque fibre de mon être semble réagir à son influence.
— Vous êtes prête à tout laisser derrière vous, à vous abandonner à ce monde que je vous offre ? À effacer tous vos doutes, toutes vos hésitations ?
Ses mots sont comme un poison doux, mais je ne peux pas m’arrêter de les absorber. Mon cœur bat plus fort. L’envie me prend de lui dire oui, de le suivre sans plus de résistance. Mais je m’arrête avant de parler. Un dernier souffle d’humanité me traverse. Je suis encore capable de me poser la question.
— Et si je changeais d’avis ? Si je décidais de partir maintenant, de tout quitter ?
Il sourit. Pas un sourire de moquerie, mais un sourire de compréhension, presque de complicité.
— Vous n’avez plus d’autre choix, Graziella. Vous avez franchi la porte. Vous ne pouvez plus revenir. Vous m’appartenez désormais.
Ses mots résonnent en moi comme une vérité que je n’avais pas entièrement saisie jusque-là. Je croyais avoir du temps, je croyais avoir le pouvoir de revenir en arrière, mais je vois maintenant que tout cela était un mirage. Une fois que j’ai franchi ce seuil, il n’y a plus de retour en arrière. Le jeu est lancé.
J’inspire profondément, essayant de garder un semblant de contrôle. Mes mains sont encore tremblantes, mais je les serre fermement. Il me regarde, ses yeux noirs emplis d’une connaissance insondable, comme s’il savait déjà ce que je suis sur le point de faire. Il sait tout.
Je prends une décision. Peut-être la pire de ma vie, mais une décision, tout de même.
— D’accord, dis-je enfin, ma voix à peine un souffle. Je vous suivrai.
Il hoche la tête lentement, comme si c’était ce qu’il attendait, ce qu’il savait déjà. Il ne semble pas surpris, juste satisfait, comme un artiste voyant son œuvre prendre forme. Mais moi, je ne suis plus celle que j’étais. Et je sens que, à partir de cet instant, rien ne sera jamais plus pareil.
Il tend la main vers moi, une invitation silencieuse. Je la prends, hésitante d’abord, puis avec une conviction qui se fait peu à peu plus forte. Je sens son emprise se renforcer, mais quelque part, au fond de moi, une partie de moi a l’impression de se perdre à tout jamais. Pourtant, je ne recule pas.
Je fais un pas dans l’inconnu, avec lui à mes côtés. Et, alors que nous avançons ensemble,
je sais qu’il n’y a plus de retour possible.
GraziellaJe m'assois à la table, le contrat posé devant moi comme un test de ma propre volonté. La lumière froide de la pièce semble se concentrer sur ce document, le rendant encore plus imposant, presque menaçant. Je prends une respiration profonde, mes mains effleurent le papier sans le toucher. Je sais ce que ce contrat représente, mais je ne peux m'empêcher de l'examiner encore un peu, comme si je pouvais en lire les intentions cachées, les clauses non écrites. Mais je ne trouve rien d'autre que des mots, des phrases, une promesse. Une promesse enivrante, un piège bien ficelé.Élias reste debout, immobile, à une distance qui me permet de sentir sa présence sans qu'il envahisse mon espace personnel. Il n’a pas bougé, mais je sais qu’il observe chacun de mes gestes. Chaque hésitation. Chaque seconde de doute. Ce contrat, c'est plus qu'un simple morceau de papier ; c'est le point de non-retour. C’est ce que je suis sur le point d’accepter, ce que je suis prête à accepter, malgré mes
ÉliasJe reste là, debout, observant Graziella, les yeux rivés sur elle. Le contrat est désormais signé, et l’instant qui suit est suspendu, comme un souffle retenu dans l’air. Elle semble figée, le stylo encore dans la main, comme si la décision qu’elle vient de prendre ne parvenait pas tout à fait à se manifester dans son esprit. Je pourrais me satisfaire de ce moment. Le poids de son choix repose entièrement sur elle, mais j’ai besoin de plus. J’ai besoin de savoir si elle mesure vraiment ce qu’elle a fait.Je n’ai jamais été du genre à m’attarder sur les faiblesses des autres, mais Graziella… elle m’intrigue. J’ai observé sa lutte intérieure, la façon dont elle s’accrochait encore à une illusion de liberté, comme si un choix plus noble s’offrait à elle. Elle savait, comme moi, que c’était une illusion. Tout ceci ne faisait que retarder l’inévitable. Le pouvoir que je détiens sur elle ne vient pas d’un simple contrat. Non, ce pouvoir réside dans l’emprise que j’ai sur son âme, sur
ÉliasIl y a des moments, dans une vie, où tout change. Des instants suspendus où l’on sent que la direction d’un chemin bascule, et qu’il n’y a plus de retour possible. Graziella vient de me le montrer. Sa décision, cette signature, n’a pas seulement marqué un point de non-retour pour elle. Elle a aussi laissé une empreinte indélébile sur moi. Car, même si j’ai orchestré chaque mouvement, chaque mot, chaque regard pour la conduire ici, je me rends compte qu’une partie de moi n’était pas prête pour ce qu’il vient de se passer.Je la regarde maintenant, de l’autre côté de la pièce, son visage fermé, mais ses yeux trahissent quelque chose. Un tourment. Une peur. Et, au fond, une acceptation silencieuse. Elle a signé. Mais elle n’a pas signé par facilité. Non, elle a signé parce qu’elle a été poussée dans une situation où son choix était le seul qui pouvait exister. Elle savait que je la guiderais. Elle savait que je ne lui laisserais aucune autre option.Mais ce qu’elle ignore, ce qu’el
GraziellaLe poids du contrat reste lourd sur mes épaules, même après que je l’ai signé. Chaque mouvement semble me faire plonger un peu plus profondément dans une fosse sans fin. J’ai l’impression de n’avoir plus aucune prise sur ce monde, ni sur mes propres choix. Et pourtant, quelque chose me retient encore. Une lueur d’espoir, quelque chose en moi qui refuse de s’éteindre, même dans l’obscurité totale que je sens m’envelopper.Je l’entends derrière moi, et sans le voir, je sais qu’il m’observe. Je sais que chaque seconde de mon silence, chaque hésitation, chaque souffle que je prends est une réponse à ses attentes. Il sait que je le sens. Il sait qu’il a gagné, mais il n’ose pas encore en être certain. J’ai signé, mais il n’a pas encore vu jusqu’où j’irai pour me libérer.Je me tourne lentement, cherchant une forme de courage, même si tout semble m’échapper. Mais il est là, droit et imposant, avec ce regard qui perce les murs que j’essaie de construire autour de moi. Son calme, so
ÉliasL’atmosphère dans la pièce a changé. Elle est plus dense, comme si le poids de nos paroles résonnait dans chaque recoin. Je l’observe, Graziella, à la fois captivée et en fuite, partagée entre la soumission qu’elle a choisie et la résistance qu’elle ne peut cacher. Elle essaie de comprendre, mais il y a une distance qu’elle ne peut combler. Pas encore. Elle croit qu’elle peut encore garder son indépendance, croire qu’elle peut contrôler sa situation. Mais je sais mieux.Je m’approche d’elle, pas d’un pas autoritaire, mais avec une lenteur maîtrisée. J’ai compris que la pression ne fait pas plier l’acier, mais la chaleur. Et elle est fragile, encore plus que je ne l’aurais imaginé. Elle croit que le contrat n’est qu’un bout de papier, une formalité. Mais chaque mot, chaque signature, c’est un lien invisible qu’on tisse, un fil serré qui la retient à moi, qui la lie plus profondément à cet univers que je suis le seul à maîtriser.Elle me fixe, et ses yeux, si remplis de cette lumi
GraziellaLes portes du bureau se ferment derrière moi, et je me trouve à nouveau dans le tumulte de la rue. La chaleur de l’extérieur me frappe, mais elle n’arrive pas à dissiper le froid qui s’est installé en moi. La ville est bruyante, vivante, mais tout semble si lointain. J’ai l’impression d’être une ombre parmi tant d’autres, me fondant dans la masse sans laisser de trace. Le taxi m’emmène à travers les rues, le trajet qui me ramène chez moi, mais ma tête est ailleurs, occupée à essayer de rassembler les morceaux d’une vie que je ne reconnais plus.Quand je franchis la porte de mon appartement, un soupir m’échappe. Le calme qui y règne contraste avec le tumulte de la ville, mais il ne m’apporte pas la paix que j’attendais. Je me sens déconnectée, désemparée. Je suis encore dans cet entre-deux, entre l’ancienne Graziella et celle que je suis en train de devenir, et je n’arrive pas à trouver ma place.Ma mère est assise dans le salon, comme à son habitude, dans son fauteuil préfér
GraziellaJe suis seule avec mes pensées, avec cette douleur intérieure qui refuse de partir. Je n’ai pas de réponses à mes questions, mais au fond de moi, je sais qu’il me reste un chemin à parcourir. Et je dois le faire seule.Le silence dans l’appartement est lourd, mais il est aussi réconfortant, comme un voile qui m’enveloppe doucement. Peut-être que le changement viendra avec le temps. Peut-être qu’un jour, je retrouverai ce que j’ai perdu. Mais pour l’instant, il n’y a rien d’autre à faire que de vivre dans ce silence et d’accepter ce qui vient.Le lendemain, la journée passe en une succession de moments flous. Chaque minute, chaque tâche semble m’éloigner un peu plus de moi-même, et en même temps, me rapprocher de ce que je dois faire. Ce que j'ai promis. Ce que j’ai signé. La pensée du contrat me hante, comme une ombre prête à se matérialiser à tout instant. Je ne peux plus fuir. Ce soir, je dois le faire. Je dois respecter ma parole.Les heures s’égrènent lentement, et pourt
Graziella Je suis là, dans ses bras, le contrat devenu réalité. Et même si une partie de moi se débat encore, je sais que je ne peux plus revenir en arrière.La pièce est sombre, faiblement éclairée par des lumières tamisées qui dansent sur les murs, créant une atmosphère à la fois intime et troublante. Mon cœur résonne dans ma poitrine, comme une horloge compte à rebours les secondes qui me séparent de ce moment. Je m’avance, presque à mon insu, attirée par une force invisible qui m’invite à céder à l'inéluctable.Élias s'approche, son regard ne me quitte pas. Une tension palpable emplit l’air entre nous, mélange de désir et de peur, un écho de la lutte intérieure qui se joue dans mon esprit. Je me rappelle de mes promesses, de ce que j'ai accepté avec appréhension. Comment ai-je pu en arriver là ? Ma tête bourdonne de pensées contradictoires, mais le désir de lui plaire l’emporte, irrésistible, tel un torrent qui emporte tout sur son passage. Il m’attrape doucement par le bras, so
ÉliasElle croit que fuir suffira. Elle croit qu’un simple geste, un mouvement rapide vers la sortie, effacera tout ce qui s’est passé entre nous. Mais je sais mieux. Elle n’échappe pas à ce que je suis devenu pour elle, pas après tout ça. Non, elle n’a pas le choix.Quand elle fait un pas en arrière, je la rattrape d’un mouvement fluide, un pas décidé, un bras fermement tendu pour saisir son poignet avant qu’elle ne puisse fuir. Son corps se tend immédiatement sous la pression de ma prise, mais je ne lâche rien. Ses yeux, pleins de colère et de frustration, se posent sur moi, mais je n’y réponds pas. Pas de douceur. Pas de compassion. Juste de la détermination.Je n’ai pas de temps à perdre. Je n’ai pas le luxe de lui donner la chance de réfléchir à ses actions. Elle est à moi, maintenant, et cela ne changera pas.« Tu ne vas pas partir, » dis-je d’une voix ferme, presque impitoyable. « Pas cette fois. »Elle tente de se dégager, de faire un mouvement, mais je la serre un peu plus, l
ÉliasJe la surveille, dissimulé dans l’ombre d’un coin du café, son image gravée dans chaque fibre de mon être. C’est devenu une obsession, un besoin viscéral que je ne peux plus ignorer. Elle ne me quitte jamais, même quand elle ne se trouve pas dans mon champ de vision. J’ai toujours cru être maître de mes désirs, que rien ni personne n’aurait de prise sur moi. Mais ça, c’était avant elle. Avant que Graziella ne s’invite dans ma vie avec la force tranquille d’une tornade.Elle se trouve là, à quelques mètres, entourée de regards curieux, répondant aux journalistes sans fléchir. Elle ne montre aucune faiblesse, mais je la connais. Derrière son masque de froideur, je devine tout. La tension dans ses gestes, l’hésitation dans ses regards. Ce qu’elle croit maîtriser, je le vois. Et je suis le seul à voir ces brèches dans son armure. Elle ne le sait pas, mais c’est moi qui ai déclenché cette vulnérabilité.Quand je l’ai fait suivre, c’était par nécessité. Pas pour la protéger. Pour la p
GraziellaLa journée d’hier m’a laissé une trace indélébile. Ce n’est pas la performance qui m’a marquée, mais cette exposition, ce dévoilement brutal sous les regards du monde entier. Le poids de la vérité n’a jamais été aussi lourd. Lorsque les portes du théâtre se sont fermées derrière nous, je pensais que l’air serait plus léger, que le temps s’étirerait dans une sorte de répit, mais ce n’était que l’illusion d’un instant. La réalité m’a rattrapée, avec toute la violence d’un impact.Les journalistes sont encore dans ma tête, comme des spectres persistants. Leurs questions résonnent dans mes pensées, leurs regards curieux, intrusifs, se dessinent encore sur mes rétines. C’est comme si tout le monde avait maintenant une part de moi, comme si, à chaque flash, à chaque mot qu’ils ont prononcé, une partie de mon âme avait été exposée. La scène était censée être le sommet, la récompense d’années de travail, mais aujourd’hui, je comprends que c’était juste une autre scène, un autre déco
GraziellaJe sens la lourdeur de l’air autour de moi. L’instant suivant, la porte de ma loge s'ouvre à la volée. Le bruit des flashs m’assaille. Des éclats lumineux frappent mes yeux, comme une pluie aveuglante. Je suis figée, une image vivante prise dans une multitude de regards. Des caméras, des micros, des journalistes, tous convergent vers nous, vers lui. Élias reste près de moi, implacable. Je suis là, exposée au monde, et chaque question qui se profile à l’horizon semble un coup porté à ma poitrine.Les premiers mots fusent, brutaux dans leur simplicité.« Graziella, Élias, peut-on savoir ce qui se passe entre vous ? »Je n’ai pas le temps de réagir. Un autre journaliste, un peu plus audacieux, ose ajouter :« Est-ce que cette relation est liée à votre ascension dans la troupe, Graziella ? Certains murmures disent que vous avez tout sacrifié pour arriver là. »Je serre les poings dans mes poches, ma respiration devient plus lente, plus profonde. Il y a une froideur dans leur voi
GraziellaJe suis dans ma loge, seule, comme à chaque fois après la représentation. La sueur perle sur mon front, mon cœur bat encore fort, comme une bête qui ne veut pas se calmer. Pourtant, malgré l’effort, je ne me sens pas vivante. Juste vide. Une coquille vide, prête à se briser sous la pression. La porte s’ouvre brusquement, et je n'ai même pas le temps de réagir. C'est Élias. Il entre sans un mot, ferme la porte derrière lui. Ses yeux sont sombres, fixant l’espace avec une intensité qui me coupe le souffle.« Tu n’as pas été parfaite ce soir. »Il ne sourit pas, il ne semble pas en colère. Il évalue. Comme toujours. J’ai l’impression de n’être rien d’autre qu’une œuvre d’art qu’il scrute sous un microscope. Son regard glisse sur moi, comme s’il cherchait une faille. Un détail qui cloche. Je reste silencieuse, le regardant, le souffle suspendu. Je sais ce qui va venir, même si je n’ai pas envie de l’entendre. Mais je sais que ce moment, il est inévitable. Il est là.« Élias, je…
GraziellaLe lendemain matin, je me réveille dans la même chambre vide. La lumière pénètre à travers les rideaux tirés, baignant l’espace d’un éclat terne, comme un souvenir effacé. Je suis debout en un instant, mes mouvements presque mécaniques. Mon corps est fatigué, brisé même, mais ce n’est pas la douleur physique qui me hante. C’est le poids de ce que je ressens, de ce que j’ai fait. Ce que j’ai accepté. Et cette sensation d’illusoire liberté qui me fuit à chaque respiration.Je me dirige vers la fenêtre, mes mains appuyées contre le verre froid. La ville est déjà en mouvement, bruyante, énergique, mais pour moi, chaque bruit me semble étouffé, lointain. Je suis sur un autre plan, un autre monde, où chaque geste semble dériver dans une mer d’incertitudes. Il y a des choix que j’ai faits, et d’autres qui m’ont été imposés, et maintenant, je n’arrive plus à distinguer où finit l’un et où commence l’autre.Hier soir, sur scène, tout était clair. J’ai dansé. J’ai donné le meilleur de
GraziellaL’odeur de la scène, le parfum du bois, de la poussière, et de l’alcool qui se mélange à l’odeur des costumes, m’envahit alors que je descends des coulisses. La lumière crue me frappe, me tirant de la transe dans laquelle je me suis laissée engloutir. Le public est encore là, mais tout me semble lointain, irréel. Les applaudissements résonnent, mais ils ne me parviennent plus comme des sons chaleureux. Ils sont froids, distants, comme une mer gelée qui me sépare de tout ce que j’ai cru vouloir.Je n’ai pas le temps de savourer ce que certains appelleraient la victoire. Mes pieds me portent sans que je le décide, m’éloignant de la scène comme un automate. Le bruit des applaudissements se transforme en un bourdonnement incessant dans ma tête. Je n’arrive pas à me débarrasser de cette sensation de vide qui me ronge de l’intérieur.Je m’enfonce dans les coulisses, me dirigeant vers ma loge. Mes mains tremblent légèrement en retirant le maquillage, en défaisant mes cheveux. Chaqu
GraziellaLe jour du spectacle arrive plus vite que je ne l’avais imaginé. Le matin, je me réveille épuisée, mes muscles endoloris par des heures de répétitions acharnées. Le miroir me renvoie une image familière, mais aujourd’hui, quelque chose a changé. Il y a cette lueur dans mes yeux, une inquiétude à peine perceptible mais bien présente. J’ai l’impression que tout ce que j’ai fait jusqu’ici, chaque pas, chaque mouvement, chaque nuit d’insomnie, m’a menée à ce moment précis. La scène. Le rôle principal. Le destin. L’écho de ma propre voix intérieure me rappelle que c’est plus qu’une performance. C’est la validation de tout ce que j’ai sacrifié.Je me lève lentement, mes jambes faibles sous la pression. Le silence de l’appartement semble me peser davantage que d’habitude. Il n’y a personne pour me dire que tout ira bien, que je suis prête. Juste un vide lourd, rempli de l’écho de mes propres doutes. Ma mère n’est toujours pas là, absorbée par son travail, comme toujours. La solitud
GraziellaLes jours qui suivent se transforment en une longue série de répétitions. Les matinées commencent tôt, souvent avant que la lumière du jour ne se lève, et mes jambes, habituellement si souples, sont marquées par l’usure du travail. Chaque mouvement est un effort, mais aussi une danse solitaire dans un monde où la perfection est une exigence constante. La pression est insidieuse, s’immisçant dans chaque respiration, chaque geste. Le rôle principal, celui que Clara aurait dû avoir, pèse sur moi comme une montagne, me rappelant à chaque instant que je n'ai pas eu le temps de m’y préparer, que tout m’est tombé dessus comme un choc brutal.Il y a cette tension invisible, mais palpable, qui flotte dans les coulisses du théâtre. Mes collègues, mes amis d’antan, me regardent autrement. Je les sens m’observer, évaluer, juger, et il y a cette distance qui se creuse peu à peu. Certains m’adressent des sourires crispés, d’autres évitent délibérément mon regard, comme si je devenais quel