Mia
Je marche à ses côtés, la main dans la sienne, pourtant chaque pas semble m’éloigner un peu plus de la vie que je pensais connaître. Autour de nous, la ville s’éveille à peine, les lumières s’éteignent, les ombres s’allongent. L’air est frais, chargé d’une promesse d’orage ou peut-être juste du silence qui précède l’aube. Je sens son regard sur moi, lourd de questions qu’il n’ose pas poser, mais je sais qu’il les porte, que rien ne lui échappe. Ce silence entre nous est une pièce où s’entassent des secrets que je ne sais pas comment ouvrir.
Je n’ai pas encore la force de lui parler de ce que je suis, ni de ce que ce lien pourrait déclencher. Ce feu en moi, cette colère sourde, ce passé que je garde jalousement enfermé, comme une blessure dont le bandage pourrait sauter à tout moment. Ce poids sur ma poitrine ne me laisse respirer que par bribes.
— Dorian, pourquoi toi ? Pourquoi maintenant ? Je sens qu’il y a plus que ce que tu veux bien dire.
Dorian
Il hésite, cherche ses mots, mais finit par baisser les yeux, comme si le poids de ses secrets était trop lourd pour être partagé d’un seul coup. Son silence m’écrase presque. Je prends une profonde inspiration, tentant de ne pas trahir l’ampleur de ce que je tais. Ce que je cache pourrait la briser, ou pire, l’effrayer au point qu’elle se ferme définitivement à moi.
— Tu es mon âme sœur , Mia. Parce que ce feu que tu as en toi... il ne s’éteindra jamais, pas sans moi.
Je laisse mes mots flotter entre nous, lourds et pleins de sous-entendus. Je voudrais lui dire que ce feu ne brûle pas seulement son âme, mais aussi la mienne. Que depuis longtemps, je porte la même flamme, la même douleur sourde qui ne demande qu’à exploser. Mais je me tais, craignant que la vérité ne soit trop brutale.
Mia
Son silence me pèse, comme un mur invisible entre nous. Je veux lui faire confiance, je le sens sincère, mais mon passé me crie de fuir encore une fois. Ces nuits passées seule, ces blessures invisibles, ces pensées brûlantes que je tais à tout le monde. Ce feu que je maîtrise à peine, qui menace de tout dévorer sur son passage.
— Comment peux-tu savoir ça ? Comment peux-tu être sûr que je ne vais pas tout brûler autour de moi ?
Dorian
Il me regarde, un éclat de douleur dans ses yeux, et je comprends qu’il a vécu cette même peur. Cette peur d’être trop, d’être dangereuse, d’être rejetée. Il se bat lui aussi contre ses démons, même s’il ne les montre jamais.
— Parce que je suis comme toi. Parce que ce que nous sommes, c’est plus qu’un simple lien. C’est une fracture, une blessure profonde qui nous définit. Mais aussi une force. Une force que nous devons apprendre à maîtriser ensemble.
Je voudrais lui en dire plus, lui révéler les parts sombres de mon passé, le poids des responsabilités que je porte, les ombres qui m’assaillent chaque jour. Mais les mots restent coincés, l’ombre de la vérité me fait peur autant qu’elle me guide.
Mia
Je serre sa main, cherchant à puiser un peu de cette force qu’il promet. Pourtant, mon cœur reste en alerte, prêt à fuir au moindre signe de danger. Cette force, est-ce un salut ou une condamnation ?
— Et si cette force nous détruit au lieu de nous sauver ?
Un silence lourd s’installe entre nous, un poids qui nous écrase tous les deux.
Dorian
Je l’entraîne doucement vers un restaurant encore fermé, mais dont la porte est entrebâillée, laissant échapper les derniers parfums de la nuit et les premiers éclats de lumière. L’odeur du café fraîchement moulu, la chaleur feutrée d’un lieu presque désert, tout cela contraste avec le tumulte qui gronde en moi.
— Est-ce que tu as mangé ? Je demande doucement, en glissant ma main dans la sienne avec plus de tendresse.
Elle secoue la tête, fatiguée.
— Non, pas vraiment. Je n’en ai pas eu le courage.
Je pousse la porte, la fait entrer dans ce refuge calme, presque désert à cette heure. Je sais qu’elle n’a pas seulement faim de nourriture, mais aussi de répit, d’un moment de paix dans cette tempête qu’elle porte en elle.
— Alors reste avec moi un moment. Tu n’es pas seule, Mia. Pas cette fois. Je serai là, même dans les ténèbres.
Ses yeux cherchent les miens, et je vois dans son regard une étincelle, un doute mêlé d’espoir. Un frisson d’humanité fragile, un moment suspendu hors du temps.
Mia
Je me laisse tomber sur une chaise, fatiguée mais consciente que quelque chose vient de basculer. La lumière pâle du matin commence à filtrer à travers les rideaux, dessinant sur nos visages des ombres douces et inquiétantes. Je sens la présence de Dorian près de moi, une ancre fragile dans ce chaos intérieur.
Je ne sais pas où tout cela va nous mener, ni ce que Dorian cache dans son silence. Mais pour la première fois, je ressens que fuir ne suffit plus. Que peut-être, ensemble, on pourra affronter ce feu, cette blessure, ces fractures qui nous rongent.
Le jour se lève, et avec lui, la promesse d’un combat à venir.
Mais pour l’instant, dans ce silence fragile, il y a un début de paix.
Le mystère demeure entre nous, lourd et profond.
Je ne lui ai pas dit mon nom.
Pas encore.
Parce que certains secrets ne se dévoilent qu’au moment où l’on est prêt à en payer le prix.
Et ce prix, je le sens, sera élevé.
ÉLÉNAJe la regarde comme on observe quelqu’un qu’on aime déjà un peu trop, la flamme d’une bougie joue dans ses yeux et révèle des choses tendres qui n’attendaient qu’une main pour s’animer, elle respire en dents de scie, parfois court, parfois long, et ce rythme devient notre conversation muette, je passe la paume près de sa clavicule, je sens la chaleur de sa peau et tout à coup l’acte le plus ancien parait presque banal, comme si le monde n’était qu’une pièce où nous venons improviser .La maison écoute sans jugement, la pierre a cette patience des vieux qui savent tout et ne parlent jamais, la voûte nous enveloppe et on se surprend à chuchoter, à rire même, parce qu’il y a moins de solennité que je ne l’avais prévu, on n’est pas en examen ici mais en partage, je veux qu’elle devienne une inhabituelle compagne de nuit, pas parce que je la force, mais parce qu’elle veut entrer, tracer ses propres pas dans l’obscurité, alors je baisse la garde et je laisse le geste venir plus doux,
DORIANJe sais qu’elle est vivante parce que je meurs avec elleJe marche depuis des heures, peut-être des jours, le ciel s’efface, la terre respire à peine sous mes pas, et à chaque souffle je sens sa peur me traverser comme un courant glacé, un vertige d’absence qui creuse dans ma poitrine un vide impossible à combler. Mia n’est plus là, mais elle est partout, dans ma peau, dans mes nerfs, dans ce goût de fer qui m’emplit la bouche chaque fois que je prononce son nomJe ferme les yeux, je l’entends, pas sa voix, pas encore, mais le rythme de son cœur, irrégulier, lointain, battant à travers les murs d’un autre monde. Quelque chose la retient, quelque chose qui n’a pas de visage, et plus j’avance, plus la douleur grandit, comme si la distance entre nous se tordait, se resserrait, se nourrissait de ma rageLa nuit est vivante autour de moi, l’air vibre, les ombres bougent. Il y a ce parfum d’humidité et de pierre, un écho dans le vent, un murmure trop bas pour être un mot, mais qui pr
MIAJe ne sais pas combien de temps dure le trajet, chaque seconde se replie sur la suivante comme un animal blessé, le coffre me secoue et chaque cahot devient un battement de mon cœur, je compte les respirations pour ne pas sombrer, je murmure des mots sans sons, des noms qui n’ont plus de visage, je pense à Léa, à Dorian, à la vie d’avant comme à une photo froissée qu’on aurait oubliée dans un livre. L’air sent le caoutchouc et le métal, mais à travers les fentes je perçois une odeur qui n’a rien à voir avec une voiture, un parfum de mousse humide et de pierres froides, comme si nous roulions sous terrePuis la voiture s’arrête, brutalement, le silence est plus lourd que le bruit, il colle à ma peau comme une sueur glacée. La portière s’ouvre, je sens un souffle d’air, pas celui du matin mais celui des caves, et la main d’Éléna vient me chercher sans violence apparente mais avec cette fermeté d’acier qui transforme mon corps en marionnette. Elle me hisse hors du coffre, me guide co
Mia Je pense à Léa qui dort peut-être encore, à sa main posée sur la mienne, à la précarité de nos promesses, et ma gorge se serre parce que je sais que même si je crie, même si ma voix se brise, il y a des murs qui filtrent le son, et des vies qui peuvent ignorer ce qui ne les touche pas, mais dans ce tumulte il y a aussi la brûlure qui m’a été imposée, la marque qui me colle à Dorian, et je sens au fond de moi une rage plus profonde que la peur, une rage qui refuse d’être possédée sans combat, je m’accroche à elle comme on s’accroche à une corde dans le vide .La voiture s’arrête enfin, des voix éloignées, des pas qui crissent sur le gravier, la portière s’ouvre, l’air est plus froid, plus pierreux, et l’on me tire dehors, mes pieds touchent la pierre humide, on me pousse vers une ouverture, un portail de service peut-être, et une main me soulève et me guide puis m’enferme dans un lieu de pierre, un lieu qui sent la poussière et les siècles, et là, dans l’ombre compacte, je sens la
MiaJe sens d’abord le froid, un froid qui n’est pas celui de l’air du matin mais un froid d’outre-tombe qui se glisse sous la porte, et quand je redresse la tête la couverture colle encore à mes doigts comme une peau connue, et dans ce froid il y a un pas qui n’est pas le pas de Léa, un pas qui effleure le plancher avec une précision chirurgicale, je pense à Dorian sans le vouloir parce que son nom est devenu une balise au milieu de tout ce qui me traverse, et la porte s’ouvre sans bruit, comme si la chambre avait toujours attendu cette intrusion, et je perçois la silhouette avant de la voir, une ombre qui se découpe dans la clarté grise, des cheveux sombres comme de l’encre, mais ce n’est pas seulement son allure qui me frappe, c’est l’absence de chaleur autour d’elle, une sorte d’hiver concentré, l’air qui se contracte quand elle passe, et mon cœur rate un battement parce que je reconnais cette odeur , pas tout à fait humaine, un relent de fer, de vie saigneuse et d’herbes ancienne
MiaJe laisse échapper un rire bref, amer et humide, parce que ces promesses me brûlent et parce que je sais qu’elle ment pour se rassurer, qu’elle parle pour conjurer sa terreur, mais cette violence douce dans sa voix me donne aussi une force soudaine, perversement consolanteJe m’assois sur le bord du lit, nos genoux se touchent, et j’essaie de décrire ce que Dorian m’a dit, mot par mot, comme si l’énumération pouvait diminuer la peur, comme si la répétition pouvait contenir l’ampleur de la menace— Il a dit que je suis marquée, que quelqu’un m’a choisie sans que je le sache, qu’il y a des signes sur la peau, des choses qu’on ne voit pas tout de suite, mais qui se lisent si on sait regarder, il a dit que certains liens se nouent sans que l’on ait consenti, et que le seul moyen de couper ces liens c’est de partir, d’accepter ce qu’ils proposent, trois jours, il a répété trois jours, comme si c’était peu, comme si trois jours pouvaient changer tout ce qui est en moiLéa ferme les yeux