Serena
Le réveil me frappe comme un coup de massue. Chaque fibre de mon corps hurle, tendue, douloureuse. Mais c’est dans ma poitrine que la douleur est la plus violente un mélange amer de peur profonde, d’incompréhension brute, et d’un désir obscur qui gronde sourdement, refusant de s’éteindre.
Je reste allongée longtemps, le regard perdu dans les fissures du plafond. La pièce est silencieuse, pourtant je sens son souffle, là, juste au bord de ma conscience.
Je tente de chasser cette pensée, de me convaincre que ce n’était qu’un rêve. Une hallucination née d’un cerveau fatigué, stressé. Mais la brûlure au creux de ma gorge, cette chaleur indécente qui pulse sous ma peau, ce poids invisible qui serre ma poitrine… Tout me hurle qu’il est là. Qu’il ne me lâchera pas.
Je me redresse enfin, lentement, comme si chaque mouvement était une lutte contre moi-même. Mon corps semble étranger, lourd, comme si une force étrangère l’habitait déjà. Je me traîne jusqu’à la fenêtre et jette un regard sur la forêt dense, enveloppée d’une brume légère. Le vide en moi se creuse, profond, insondable.
Pourquoi cette faim insatiable qui me déchire ?
Pourquoi ce besoin que je ne comprends pas, qui m’appelle malgré moi ?
Pour éviter de sombrer, je décide de m’occuper. Chaque geste devient une distraction bienvenue. Je balaie la grande pièce principale, chasse la poussière qui s’est accumulée, déplace les meubles avec lenteur. Le grincement des planchers sous mes pas me rappelle que je suis bien seule ici, avec ce poids qui m’écrase.
Mais parfois, dans ce silence trop lourd, j’entends des murmures. Des chuchotements doux-amers qui semblent vouloir me parler une langue ancienne, oubliée. Je m’arrête, le cœur battant à tout rompre. Quand je tends l’oreille, ils s’évanouissent comme une brume légère.
Je secoue la tête, me répétant que c’est mon esprit qui me joue des tours, que la peur transforme le moindre bruit en voix menaçante. Mais je sais que ce n’est pas seulement ça. L’air, la maison, la forêt tout vibre d’une tension étrange, une présence invisible qui m’observe.
Je continue de nettoyer, chaque geste automatique, mais mon esprit est en alerte. Parfois, un courant d’air glacial me traverse, me faisant frissonner. Parfois, je sens une caresse sur ma peau nue, aussi douce que le velours, aussi brûlante qu’un feu intérieur.
Je ferme les yeux, essayant d’ignorer cette sensation. Mais elle s’intensifie, envahit mon corps, mes pensées, jusqu’à devenir insupportable.
Le soleil décline, laissant place aux ombres mouvantes qui rampent dans chaque recoin de la maison. Le jour s’éteint, et avec lui, ma résistance.
Je m’assois un instant dans un fauteuil ancien, la respiration lourde, le cœur battant à la chamade. Cette maison me possède déjà. Elle m’a déjà marquée. Et lui, Ashar, ce démon de feu et d’ombre, est en moi, invisible et irréfutable.
Je tente de me convaincre que je vais pouvoir tenir, que je vais survivre à cette nuit qui s’annonce.
Mais je sais, au plus profond de moi, que la nuit me prendra. Que la nuit me réclame.
Et quand les ténèbres s’abattent, je sens son souffle tout près, sa présence immense et brûlante, cette promesse d’extase et de damnation.
Je ne suis plus seule.
Je ne serai plus jamais seule.
Le jour s’efface à peine que l’air autour de moi change, devient lourd, presque palpable. C’est comme si la maison retenait son souffle, attendant quelque chose que moi seule peux sentir. Une présence. Une force obscure qui s’immisce partout, jusqu’au creux de mes os.
Je reste immobile, le corps figé, le souffle court, les yeux fixés dans la pénombre de ma chambre. Le silence est écrasant, presque assourdissant dans sa densité. Puis, soudain, il s’impose.
— Serena…
Un murmure. Une voix rauque, profonde, glissant comme une caresse froide sur ma peau nue. Elle me serre le cœur, serre ma gorge, fait danser mes entrailles entre peur et fascination.
Je sens ses doigts invisibles effleurer ma nuque, descendre lentement sur mon épaule. Ce contact, à la fois doux et étrange, me fait trembler, comme si mon corps tout entier frissonnait.
Je lutte contre ce vertige, contre cette sensation inconnue qui coule sous ma peau. Mais l’angoisse se mêle à une étrange attraction, la peur à la curiosité.
Je me redresse d’un coup, les poings serrés, la colère grondant en moi.
— Non ! Je refuse. Je ne suis pas à toi.
Mes mots claquent dans le silence, une tentative désespérée de reprendre le contrôle.
Mais sa voix s’insinue dans mon esprit, douce et insaisissable, un murmure qui semble à la fois proche et lointain.
— Tu es liée à moi, Serena. Ton corps, ton âme, chaque souffle que tu prends… Je suis cette flamme qui brûle en toi, ce mystère que tu ne peux ignorer.
Je ferme les yeux, le cœur battant à tout rompre, cherchant à repousser cette emprise insaisissable.
Mes mains cherchent à éloigner ce qui n’a pas de forme, à briser ce lien invisible, ce fil fragile qui m’attache à lui, même si je ne sais pas encore ce qu’il est vraiment.
Mais c’est lui qui gagne, à chaque fois.
Son souffle chaud effleure mes lèvres, promettant des choses que je ne comprends pas encore, des sensations interdites et troublantes.
Un frisson déchire ma colonne vertébrale, m’attirant irrésistiblement vers cet abîme que je refuse pourtant d’embrasser.
Je vacille, perd pied, tombe sans force dans ses bras invisibles, entre ombre et lumière, entre chaos et volupté.
Je suis prisonnière.
Et dans cette étreinte silencieuse, je goûte à la douce torture du désir.
Mais l’esprit en feu, je lutte encore.
Je hurle dans ma tête, je cherche la raison, le moindre souffle de liberté.
Pourquoi moi ? Pourquoi cette présence me hante-t-elle ainsi ? Pourquoi ce feu brûle-t-il en moi, alors que je voudrais l’éteindre ?
Je suis déchirée, fracturée entre deux mondes.
Mon corps se consume sous ces caresses invisibles, mais mon esprit refuse de céder.
Chaque instant devient une lutte, une bataille sourde entre ce que je veux et ce que je crains.
Je ne sais plus où finit la peur et où commence la fascination.
Je ne sais plus si je me bats pour échapper à ce lien ou pour m’y abandonner.
Le manoir tout entier semble vibrer à l’unisson de ce chaos intérieur, ses murs résonnant des murmures d’un passé enfoui.
Et moi, au cœur de cette tempête, je ne suis plus qu’une ombre, un fragment d’elle-même perdu dans le mystère de ce pacte invisible.
Le souffle d’Ashar est là, partout, dans chaque recoin, dans chaque battement de mon cœur.
Je suis à sa merci.
La nuit, il vient à moi en rêve.
Toujours sous cette forme insaisissable, faite d’ombres mouvantes et de flammes indomptées.
Je le vois, je le sens, mais il ne parle pas vraiment, ses mots se perdent dans le souffle du vent nocturne.
Alors, dans ces songes brûlants, je l’interroge.
« Qui es-tu ? »
Ma voix tremble, fragile dans ce silence brûlant.
Il ne répond pas, ses yeux noirs me dévorent sans ciller, immuables comme un abîme insondable.
Je tends la main, comme pour saisir une vérité qui m’échappe.
« Que veux-tu de moi ? »
Un sourire énigmatique glisse sur ses lèvres, comme une promesse voilée, un secret trop lourd à porter.
Puis il s’efface, se fond dans la nuit, me laissant seule, haletante, déchirée.
Je me réveille, le corps en sueur, le cœur battant la chamade.
Son nom, je ne le connais toujours pas.
Et pourtant, déjà, il fait partie de moi, s’insinue dans chaque pensée, chaque souffle.
Je sens que cette quête est loin d’être terminée.
Et que ce souffle interdit me mènera au bord du précipice.
Je ne sais pas encore si je tomberai ou si je volerai.
SERENAJe me réveille dans une flaque tiède, poisseuse, comme si mon propre corps avait fondu pendant la nuit, comme si la chaleur d’un rêve fiévreux avait liquéfié mes os, mon ventre, ma peau, comme si je n’étais plus qu’un reste de désir fondu dans les draps, une empreinte moite laissée par un corps que je ne reconnais plus, mes cuisses collées, ma gorge sèche, ma peau brûlante, le souffle court, erratique, comme si même l’air avait changé de densité, plus lourd, plus lent, plus intime.Je cligne des yeux, plusieurs fois, mais la lumière du matin m’écorche, elle est floue et tranchante à la fois, étrangère, crue, étouffée par une présence que je ne vois pas mais que je sens, une pression, une chaleur résiduelle qui ne devrait pas être là, pas dans cette chambre, pas à cette heure, pas après un simple rêve, et pourtant elle est là, palpable, diffuse, comme une respiration suspendue qui ne m’appartient pas, comme un regard encore posé sur moi.Les draps sont en désordre, trempés, froi
SERENAJe ne dors plus.Je dérive.Je flotte dans une matière sans forme, sans lumière, sans issue. Il n’y a ni haut, ni bas, ni début, ni fin. Juste cette sensation d’être suspendue dans un souffle trop chaud, trop dense, trop vivant. Chaque battement de mon cœur me lie à quelque chose d’autre, quelque chose qui n’est plus moi, mais qui pulse en moi, contre moi, à travers moi. Une présence. Un souffle. Un feu.Le rêve m’a avalée tout entière.Et cette fois, je ne cherche même plus à me réveiller.Mon corps est là, ou ailleurs, ou peut-être qu’il n’a plus aucune importance. Il est étendu dans un lit sans contour, drapé de noir, ou peut-être posé à même la nuit, entre des cendres brûlantes et des ombres rouges. Ma peau est nue, offerte, exposée à un ciel sans étoile, d’un noir profond, zébré par moments de lueurs fauves, comme si des éclairs de lave fendaient le firmament.Je suis seule.Et pourtant… je ne l’ai jamais été autant.Ashar est là. Il est dans tout. Dans l’air qui me pénètr
SERENAIl est partout.Dans les murs, dans l’air, dans ma poitrine qui cogne à s’en rompre. Le manoir ne respire plus : c’est lui qui respire pour moi, avec moi, en moi. Chaque fibre de la maison, chaque parcelle de silence semble lui appartenir.Une chaleur démente s’empare de ma peau, mais ce n’est pas la chaleur du feu visible. C’est un souffle brûlant qui rampe, me lèche comme une caresse invisible, comme une langue de braise.— Ashar…Son nom se glisse entre mes lèvres comme une confession, un interdit murmuré au cœur de la nuit.Et la pièce réagit. Les flammes de la cheminée s’élancent d’un coup, avides, comme si elles venaient d’entendre leur maître. L’air se plombe, dense, presque solide. Une ombre rougeoyante se dessine sur le mur, se tord et s’étire, sans jamais devenir une forme humaine. Pourtant, je sens qu’il me regarde. Qu’il attend.Tu m’appelles.Sa voix ne résonne pas dans mes oreilles. Elle est en moi. Elle vibre dans mes os, dans mon ventre, jusque dans ma gorge. Gr
SERENA— Promets-moi juste que tu gardes l’esprit ouvert. Pas de sarcasme ni de ricanements.Léa ne me quitte pas des yeux. Son visage est tendu, ses sourcils froncés. Mais elle hoche la tête, et je vois dans ses pupilles qu’elle a déjà peur, même si elle ne le dira jamais à voix haute.La nuit est tombée comme une chape. Lourde. Lourde d’intentions et de silence. Le manoir, en contrebas, semble exhaler une brume qui n’appartient à aucun nuage. Une brume vivante, rampante. Comme un souffle venu des entrailles d’autre chose.— Tu veux que je garde l’esprit ouvert… dans un manoir qui a l’air tout droit sorti d’un film d’horreur. Très bien, je suis toute ouïe, dit-elle en essayant de sourire.Mais ce sourire est une façade. Elle serre plus fort sa parka autour de ses bras, comme si elle pouvait empêcher l’air de la toucher.Nous passons le portail. Il gémit longuement, comme un râle arraché à un corps endormi. Chaque pas sur les graviers résonne d’un écho creux, comme si la maison attend
Serena— Je crois que je suis en train de perdre pied, Léa.Ma voix tremble, presque couverte par le crépitement discret de la pluie contre les vitres. Le salon de Léa sent le bois chaud, le sucre vanillé et le linge propre. C’est une bulle de douceur, loin du manoir, loin de cette ombre qui me serre le cœur à chaque pas dans ses couloirs.Léa me regarde comme on scrute un tableau qui dérange. Elle n’ose pas encore parler. Je sais qu’elle attend. Elle a toujours su faire ça : laisser le silence s’étirer jusqu’à ce que je sois prête à tout dire.— Depuis que j’ai emménagé dans ce manoir… il se passe des choses. Je me sens… observée. Envahie. Il y a une présence, Léa. Ce n’est pas dans ma tête. Je le sens. Il est là.Je marque une pause. Mon regard dérive vers la fenêtre embuée. Je vois mon reflet flou, creusé, comme rongé de l’intérieur. Je poursuis :— Il entre dans mes rêves. Ou peut-être que ce ne sont pas des rêves. Il me touche sans me toucher. Il chuchote mon prénom dans l’obscur
SerenaLe manoir pèse sur mes épaules comme un secret trop lourd à porter. Il m’appartient, dit-on, mais je n’y trouve ni paix ni refuge. C’est une forteresse de silence et d’ombres, un lieu suspendu hors du temps, où chaque pierre semble retenir un souffle ancien, un murmure qu’on n’ose entendre.J’ai hérité de ce domaine dans des circonstances que je ne peux pas encore démêler complètement. Une lettre, scellée d’un cachet ancien, découverte au fond d’un coffre poussiéreux, parmi les affaires de ma mère après sa disparition. Elle, qui a fui ce passé, ce manoir, et tout ce qu’il représentait.Ma mère était une femme frêle, douce, mais brisée par des secrets que je ne connais que trop peu. Elle ne m’a jamais parlé du manoir, de cette terre sauvage où nos ancêtres ont vécu, ni de ce qu’elle avait fui. Tout ce que je savais, c’était que je devais prendre possession de cet héritage, même si mon cœur refusait.Mes yeux étaient pleins de rêves et d’espoirs, quand j’ai franchi pour la premiè