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Le seuil

Author: Les élites
last update Huling Na-update: 2025-07-05 19:31:30

Chapitre 6— Le seuil

MARGO

21h00.

Je suis là. Devant la porte de son bureau. À l’heure exacte. Pas une minute de plus.

Mon cœur cogne si fort qu’il m’assourdit. Mes paumes sont moites, ma gorge nouée, et mes jambes n’ont plus rien de solides. J’ai hésité à venir. Jusqu’à la dernière seconde. J’ai enfilé ma robe noire la plus sobre, la plus neutre possible — mais même là, je me sens exposée, vulnérable.

Et pire que tout : je me sens… prête.

Je toque.

Un seul coup.

Sa voix fuse à travers la porte, sèche, glaciale :

— Entrez.

Je pousse la porte.

Il est là.

Assis. Immobile. Tellement calme que ça en devient violent.

Il ne dit rien. Il ne me regarde même pas. Il reste les yeux sur un dossier. Feuillette. Signe. Prend son temps. Comme si je n’étais qu’un silence de plus dans sa journée trop longue.

Je m’approche, très lentement. Chaque pas est un effort. J’ai l’impression que le sol va se dérober sous moi.

Il lève enfin les yeux.

Son regard me heurte.

Je me fige.

Il ferme le dossier avec une lenteur délibérée. Puis se lève.

Son corps prend toute la pièce.

— Tu es venue.

Il dit cela comme une constatation. Ni surprise, ni satisfaction. Juste une lame froide déposée entre nous.

Je hoche la tête.

— Tu as hésité.

Je baisse les yeux, honteuse de cette vérité qu’il lit sans même que je la dise.

Il s’approche.

Très lentement.

Il contourne le bureau. Ne me quitte pas des yeux. Et je sens, à mesure qu’il s’approche, que quelque chose en moi se défait.

Il s’arrête à quelques centimètres.

— Tu penses que tu es prête ?

Je déglutis. Je tente de parler. Mais ma voix me trahit.

— Je…

Il m’interrompt, sans violence, mais sans ménagement.

— Non. Tu n’es pas prête.

Il s’approche encore. Son souffle touche ma peau. Mais ses mains restent dans ses poches.

— Tu n’as aucune idée de ce que tu déclenches. Aucune idée de ce que j’ai dû tuer en moi pour tenir jusqu’à ce soir.

Je le regarde, incertaine.

— Alors pourquoi m’avoir fait venir ?

Il sourit. Froid. Presque cruel.

— Pour voir jusqu’où tu es prête à aller.

Il s’éloigne. Tourne autour de moi. Je sens sa présence dans mon dos comme un fouet invisible.

— Tu me veux. Mais tu ne sais pas pourquoi. Tu crois que c’est du désir. Ce n’est pas du désir, Margo. C’est du vertige. De l’abandon.

Je frémis.

— Et toi ? soufflé-je. Tu veux quoi, toi ?

Il s’immobilise. Puis, d’une voix basse, presque rauque :

— Te posséder.

Le mot me frappe au ventre.

— Pas te caresser. Pas te séduire. Te posséder. Briser ta voix. Te forcer à ne plus penser. Te faire perdre ton nom. T’effacer jusqu’à ce que tu sois à moi, totalement.

Il se retourne vers moi.

Ses yeux ne brillent plus. Ils brûlent.

— Est-ce que c’est ça que tu veux ?

Je reste sans voix. Mon souffle s’accélère. Mon ventre se noue.

Je réponds malgré moi :

— Oui.

Il ne bouge pas.

— Tu mens.

Je secoue la tête, faiblement.

Il s’approche d’un pas. Sa voix se fait plus dure.

— Tu n’es pas prête à te soumettre. Tu veux encore tout contrôler. Tu crois pouvoir jouer avec les règles, avec moi. Mais ici, tu n’as aucun pouvoir.

Je reste muette. Et dans mon silence, il s’approche encore, jusqu’à n’être qu’un souffle contre moi.

Il penche la tête. Me murmure à l’oreille :

— Alors montre-le-moi.

Je tremble.

— Mets-toi à genoux.

Le sol semble vaciller sous mes pieds.

Je ferme les yeux. Une peur sourde me traverse. Pas parce qu’il est cruel. Mais parce qu’il me connaît déjà trop.

Je reste debout.

— Je… je peux pas.

Un long silence. Il recule.

Et là, je le vois. Dans ses yeux.

Il sourit.

Mais c’est un sourire sans chaleur. Un sourire de prédateur qui vient de confirmer une hypothèse.

— Tu vois ? Tu crois vouloir. Mais tu ne veux que l’illusion du risque. Pas le saut. Pas la chute.

Il retourne vers son bureau. S’assoit.

— Tu peux partir.

Ma gorge se serre.

— C’est tout ?

Il me regarde. Froid. Distant.

— Oui. Ce soir, c’est tout.

Un vide terrible s’ouvre en moi.

Je me sens nue. Rejetée. Humiliée.

Mais au fond, je sais qu’il a raison.

Je ne suis pas encore prête à perdre le contrôle.

Pas comme il le demande.

Alors je me retourne. Mes jambes flanchent presque. J’avance, lentement, jusqu’à la porte.

Sa voix me rattrape, douce et dure à la fois :

— Reviens quand tu seras prête à tomber.

Je ne réponds pas.

Je ferme la porte derrière moi.

Et dans le couloir désert, le cœur en vrac, les yeux brillants, je me jure que je reviendrai.

Et cette fois, je tomberai.

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