Chapitre 5— Fracture
MARGO
Je dors mal.
Très mal.
Je me retourne dans mon lit, encore et encore, jusqu’à ce que les draps m’enserrent comme une camisole. L’aube finit toujours par me surprendre, les yeux écarquillés, le souffle court, et le cœur vidé par des rêves trop vifs. Ce n’est même plus de l’insomnie c’est de l’obsession.
Depuis cette journée dans son bureau. Depuis cette phrase qu’il a lancée comme un couperet.
« Reprenez vos dossiers. Et partez. Avant que je ne regrette de vous avoir engagée. »
Mais je sais lire à travers les silences.
Il mentait.
Je l’ai vu dans ses yeux. Dans ce pli minuscule au coin de sa bouche. Dans cette tension sous-jacente à chacun de ses gestes. Il voulait me chasser… mais pour me garder plus près. Comme si, s’il me laissait rester trop longtemps, quelque chose d’irréversible finirait par se produire.
Et moi… je reste. Encore et encore.
Peut-être parce que je le veux.
Peut-être parce que je me perds déjà.
Aujourd’hui, il me frôle trois fois. Trois fois ses pas s’approchent des miens. Trois fois nos regards se croisent sans que personne ne dise un mot.
Mais ses yeux…
Il ne regarde pas comme les autres. Il scanne. Il dissèque. Il détruit.
Et je sens tout mon corps réagir à cette menace délicieuse.
Je suis tendue à m’en faire mal. Comme si chaque nerf de mon corps était une corde sur le point de rompre.
Alors à la pause, comme guidée par une voix que je ne reconnais pas, je monte sur le toit.
J’ai entendu qu’il y allait parfois. Quand l’air manque trop, là en bas.
Moi, je manque d’air depuis qu’il est entré dans ma vie.
Il est déjà là.
Dos à moi. Immobile. Sa silhouette haute et raide, les épaules légèrement tendues. Le vent agite ses cheveux noirs avec une indifférence cruelle.
Je m’arrête.
J’hésite.
J’ai envie de faire demi-tour. Mon ventre se noue. Ma gorge est serrée. Je me sens ridicule dans mon chemisier trop ajusté, dans mes talons trop hauts.
Mais il parle. Sans se retourner.
— Vous me suivez ?
Sa voix est grave. Un murmure coupant. Et pourtant, il n’y a aucune colère dedans. Juste… cette chose que je n’arrive pas à nommer.
Je tente de répondre, mais ma voix se coince dans ma gorge.
Alors je murmure :
— Je vous devance.
Il se retourne.
Et je regrette immédiatement mes mots.
Son regard me heurte. Un choc glacé, brutal, et pourtant étrangement intime.
Il s’avance vers moi. Lentement. Comme un fauve.
Je recule sans m’en rendre compte, jusqu’à sentir le béton du mur me heurter les omoplates.
Il ne s’arrête pas. Il s’approche jusqu’à ce que je puisse sentir son parfum : bois sec, cuir, orage.
Je baisse les yeux. Il m’intimide. Trop.
Mais il ne me laisse pas fuir.
Ses mains viennent se poser de chaque côté de ma tête, sur le mur. Pas un contact sur moi, non. Mais sa chaleur m’englobe. Il me piège.
— Tu cherches la limite, Margo ?
Il m’a tutoyée. C’est la première fois.
Et mon prénom… sort de sa bouche comme une menace.
Je sens mes jambes trembler. Ma bouche s’ouvre à peine.
Je secoue la tête. Mais même ça, c’est timide.
— Tu veux que je perde le contrôle ? Tu veux voir ce que je suis quand je cède ?
Je ne sais pas quoi répondre. Tout ce que je ressens, c’est une chaleur qui monte, une panique douce. Je n’ai pas les mots.
Mais il lit dans mes silences. Il les interprète comme personne.
— Tu crois que tu peux jouer avec moi ?
— Je… je ne joue pas, je murmure.
Il me fixe. Son regard s’enfonce en moi comme une lame.
— Non. Tu provoques. Tu attises. Et tu attends.
Je tremble. Mes mains sont moites. Je veux fuir. Mais mon dos est collé au mur. Et mon corps ne veut pas partir.
Je sens mes joues en feu. J’ai envie de baisser les yeux, mais je ne peux pas.
Il s’approche encore. Son visage tout près du mien. Son souffle caresse ma peau.
— Tu veux la vérité, Margo ?
Je hoche la tête. Presque imperceptiblement.
Et là… il pose ses doigts sur ma gorge.
Pas fort. Juste… là.
Comme pour sentir si je suis encore vivante.
Mon cœur explose sous sa paume.
— C’est ça que tu veux ? Ce contrôle ? Ce risque ? Ce feu ?
Je ferme les yeux. Une seconde.
— Ouvre-les.
Je le fais.
Et ce que je vois me glace.
Il n’a plus ce regard vide. Il est en feu. Et moi, je suis déjà en train de brûler avec lui.
— Je suis fait de fer et de feu. Si je te prends, je te prends entière. Je te brise ou je t’absorbe. Il n’y a pas d’entre-deux avec moi.
Je déglutis. J’aimerais fuir. Mais une autre voix, plus obscure, parle à ma place.
— Alors… prends-moi.
Un silence abyssal.
Il claque sa main contre le mur. Juste à côté de ma tête.
Je sursaute. Un bruit sec, violent. Mon souffle s’arrête.
— Tu n’as aucune idée de ce que tu demandes.
Il recule brusquement. Comme s’il s’était brûlé. Comme s’il avait franchi une frontière interdite.
Il me regarde. Longtemps.
Et il tourne les talons.
Je crois qu’il va partir.
Mais avant de franchir la porte, il se fige.
Sa voix résonne, ferme. Autoritaire.
— Ce soir. Mon bureau. Vingt-et-une heures. Pas une minute de plus.
Et il disparaît.
Je reste seule.
Contre le mur.
Le cœur au bord de l’explosion.
Et la main posée sur ma gorge, là où il m’a touchée.
Ce soir.
Tout va vraiment changer.
Chapitre 13 — Le piège du pouvoir MARGO (fin de matinée)Depuis l’échange avec Hugo, je vis dans l’attente.En attente de l’appel. En attente du regard. De l’invitation. Ou de la menace.Chaque mail que j’envoie à Espoir est un pari. Chaque dossier que je dépose est un message : Je suis là. Malgré tout.Et lui, depuis plusieurs jours, ne dit rien. Pas un mot, pas une allusion.Mais il est partout. Dans mes gestes. Dans ma nuque tendue. Dans chaque battement de cœur trop rapide au détour d’un couloir.Ce matin, je n’ai pas été surprise de recevoir le message de son assistante.« Monsieur Espoir souhaiterait revoir avec vous les éléments du dossier Simmons. Veuillez monter à 11h. »Ni la ponctuation, ni la formulation ne laissaient place à l’interprétation. Ce n’était pas une demande. C’était un rendez-vous fixé par quelqu’un qui pense encore avoir le contrôle.Je suis restée debout devant l’ascenseur, le dossier en main, les pensées en feu.Il pense que je suis venue pour obéir.Il ne
Chapitre 12 — Entre l’ombre et la lumière MARGO (fin d’après-midi)Le lendemain de ma confrontation avec Espoir, j’ai fermé la porte de son bureau sur un monde que je ne reconnaîtrai plus jamais.J’ai quitté l’open space sans bruit. Ni rage, ni fierté. Juste cette sensation d’avoir été jetée hors d’un rêve, d’un piège, d’un vertige… je ne sais plus.J’ai marché. Longtemps. Dans les rues froides, droites, trop normales. Je ne voulais pas rentrer. Pas encore. J’ai cherché un endroit neutre. Un endroit où il n’existait pas.J’ai fini par m’asseoir à la terrasse d’un petit café presque vide. Le serveur m’a regardée comme on regarde quelqu’un qui s’est perdue poliment, sans poser de question.J’ai commandé un café noir. Serré. Sans sucre. J’avais besoin d’amertume pour recouvrir la brûlure.Autour de moi, la vie suivait son rythme : rires étouffés, cliquetis de cuillères, notifications de téléphone. Moi, je n’étais que silence. Mon cœur battait encore, mais j’avais l’impression d’avoir la
Chapitre 11 — Après l’éclipse MARGO (le lendemain matin)Je suis arrivée au bureau à l’heure.En apparence : rien d’inhabituel. Mes cheveux tirés. Ma robe sobre. Un pas assuré, peut-être un peu trop.En réalité, j’ai tourné trois fois autour du bâtiment avant d’oser franchir la porte.J’ai attendu dans ma voiture, sous la pluie fine, à fixer le vide, à espérer que le monde s’effondre avant que je n’aie à recroiser ses yeux. Les gouttes glissaient lentement sur le pare-brise, et moi, je glissais avec elles. Je pensais : Il ne s’est rien passé. Il n’a rien pris. Je n’ai rien donné.Mensonges.Je suis entrée. Le hall brillait sous les néons blancs. Trop propres. Trop clairs.Chaque pas que je faisais résonnait comme un rappel.Je n’étais plus la même.L’ascenseur m’a renvoyé mon reflet. J’ai soutenu mon propre regard une seconde de trop. Mes yeux sont cernés. Mon rouge à lèvres trop parfait. Je ressemble à une femme en contrôle. Mais je ne suis qu’une illusion.INT. SALLE DE TRAVAIL — M
Chapitre 10 — L’éclipseMARGOSon souffle est brûlant contre ma peau.Ses doigts effleurent ma nuque, glissent lentement, comme s’il apprenait mon corps par cœur sans avoir besoin de le déshabiller.Je suis là, debout, offerte.Et lui… il ne me prend pas.Pas tout de suite.Il regarde. Il pèse. Il attend.Il ne parle pas. Il me lit.Et ce regard me dénude plus sûrement qu’aucune main.Autour de nous, le monde s’est effacé.Il n’y a plus de murs, plus de règles, plus de logique.Il n’y a que lui.Et moi.Et ce besoin, immense, presque douloureux, de me fondre en lui.Il approche ses lèvres. Lentement.Comme s’il savait que j’allais suffoquer à force d’attendre.Comme s’il voulait que je le supplie sans parler.Et puis il m’embrasse.Pas un baiser d’exploration.Pas une hésitation.Un baiser qui réclame. Qui ordonne. Qui me traverse comme un courant électrique.Un baiser qui me dit je suis là. Je t’ai vue. Tu es à moi.Je ne résiste pas.Je m’ouvre. Je me tends.Je me perds.Ses mains g
Chapitre 9 — Le bord du verreMARGOLe soir est tombé, et avec lui, cette impression d’étouffer un peu moins.Presque.Quand mes collègues m’ont proposé de sortir prendre un verre, j’ai hésité. Longtemps. J’avais cette voix en moi, celle qui me retenait. Celle qui disait tu sais très bien où tu dois aller ce soir.Mais je l’ai fait taire.Je suis sortie.Avec Hugo. Avec Élise, Clara, Julien. Des gens simples, directs. Normaux. Des gens qui ne me regardent pas comme s’ils voulaient me dévorer.On s’installe dans un bar pas très loin des bureaux. Terrasse animée, rires légers, verres qui s’entrechoquent.Je devrais me sentir bien.Mais je suis en apnée.Mes sens sont ailleurs. Mes yeux suivent les reflets dans les vitres. Mon corps est tendu, comme si je l’attendais. Lui. Toujours.Et pourtant, je souris. Je parle. Je joue le jeu.Clara me tend un verre de vin blanc.— À ta première sortie avec nous, dit-elle en souriant.Je lève mon verre. J’effleure les regards. Et je vois Hugo qui me
Chapitre 8 — Le feu sous la glaceMARGOJ’ai besoin de respirer.Depuis cette soirée dans son bureau, depuis ses mots “je te prendrai, et tu ne seras plus jamais la même” je suis en vrille. Je fais semblant de fonctionner. Je réponds aux mails. Je trie les dossiers. Mais mon cœur est ailleurs. Suspendu à chaque vibration de mon téléphone. À chaque bruit de pas dans le couloir.Espoir ne m’a pas reparlé depuis.Mais il est partout.Dans mon souffle. Dans ma peau. Dans mes rêves.Et je sais qu’il attend. Il veut que je revienne. Que je me livre. Entière. Nue. Sans défenses.Et je ne suis pas encore prête.Alors, ce midi, quand Hugo me propose un café, je dis oui.Pas pour lui. Pour moi.Pour me prouver que je suis encore capable de me rattacher au réel. À quelque chose de sain, de simple. À une conversation qui ne se termine pas en silence hurlant.On s’assied sur les bancs extérieurs, en contrebas du bâtiment. Il fait doux. Le vent joue avec mes cheveux. Et Hugo me regarde. Droit. Avec