MasukLiamAlexander Croft arrive dans un hélicoptère privé, qui se pose comme un insecte métallique sur la clairière aménagée derrière la maison. Le vent des pales fait ployer les hauts pins, un déchaînement de bruit et de technologie en contraste violent avec le silence ancestral des lieux.Je l'observe descendre, vêtu d'une tenue de randonnée sobre mais d'un prix exorbitant. Il a le visage anguleux des hommes habitués à être obéis, mais ses yeux, derrière des lunettes aux verres teintés, trahissent une nervosité qu'il ne peut masquer. Elara a bien travaillé.Chloé se tient à mes côtés sur le perron, une vision de calme et de mystère dans une robe longue et simple. Elle incarne à la fois l'autorité de la thérapeute et l'étrangeté de l'initiée. Son sourire est accueillant, mais ses yeux, comme les miens, ne sourient pas. Ils évaluent.— M. Croft, dis-je en descendant les marches pour l'accueillir. Bienvenue.— Liam, je présume ? répond-il en serrant ma main avec une fermeté calculée. Et vo
ChloéLes semaines suivantes sont un tourbillon d'activité feutrée. La maison, autrefois sanctuaire de nos expériences intimes, est devenue le centre nerveux d'une opération d'infiltration à grande échelle. Liam est le cerveau, je suis le bras. Mais le bras a désormais son propre cerveau.Nous avons aménagé une pièce au sous-sol – pas celle du clochard, une autre – en centre de communications. Des ordinateurs cryptés, des lignes sécurisées. C'est ici que nous recevons les rapports de Markus et Elara.Markus est un élève prodige. Sa "nouvelle férocité" a déjà conduit à l'acquisition hostile de deux entreprises concurrentes. Il utilise des méthodes que son ancien moi aurait répudiées : chantage, manipulation boursière, exploitation de faiblesses personnelles. Il nous envoie une partie des profits, des fonds qui disparaissent dans des comptes offshore avant de réapparaître pour financer notre œuvre. Il a même identifié deux autres magnats, rongés par des secrets inavouables, qu'il estime
LiamLe lendemain, le monde a changé. Non pas le monde extérieur – la mer est toujours aussi bleue, les pins aussi noirs – mais notre monde intérieur. L'acte sexuel de la veille n'était pas une simple étreinte. C'était un couronnement. Une cérémonie d'intronisation pour la reine que Chloé est devenue.Nous prenons le petit-déjeuner dans la cuisine, une normalité trompeuse. Le café est fort, le pain est frais. Mais l'air est chargé du souvenir de nos corps entremêlés, de nos cris étouffés par le crépitement du feu.— Ils doivent être arrivés à Istanbul, dit Chloé, brisant le silence.— Markus a déjà envoyé un message crypté, dis-je en posant ma tasse. "L'aigle a atterri." Il a repris les rênes de son entreprise. Avec une nouvelle… férocité.— Et Elara ?— Elle a ouvert un salon de voyance. Discrètement. Pour une clientèle triée sur le volet. Elle a déjà eu trois "visions" qui se sont avérées exactes. Des choses mineures, mais qui établissent sa réputation.Chloé hoche la tête, un souri
ChloéLe départ de Markus et Elara a laissé un vide étrange dans la maison. Un silence qui n'est plus habité par leurs angoisses, mais par l'écho de notre pouvoir. La tension des dernières semaines, du meurtre, de la transformation, s'est dissipée, laissant place à une énergie brute, électrique.Liam a retrouvé sa force. Il se tient devant la grande cheminée, une silhouette sombre et dominante contre le feu qui danse. La blessure n'est plus qu'une cicatrice, une marque de notre histoire commune. Ses yeux, toujours aussi perçants, brillent d'une fierté sauvage. Nous avons réussi. Nous avons plié la réalité à notre volonté.Je me tiens de l'autre côté de la pièce, le corps encore vibratile de l'adrénaline et de l'horreur sanctifiée. La robe simple que je porte semble trop légère, comme si elle ne pouvait plus contenir la femme que je suis devenue. La femme qui a pris une vie. La femme qui a sauvé un homme pour mieux l'enchaîner à sa folie.Nos regards se croisent à travers la pièce. Ce
ChloéUne semaine a passé depuis le jugement. La maison respire différemment. Une lourdeur sacrée s'est installée, comme dans une église après un office sanglant. L'air lui-même semble chargé des échos de notre acte.Markus et Elara sont méconnaissables. La métamorphose est presque achevée.Markus a embrassé l'homme brutal que Liam a déterré en lui. Il ne parle plus de retourner à sa vie d'avant. Il parle de "restructuration", de "nettoyage". Son regard, autrefois épuisé, est maintenant un silex. Il voit le monde comme une proie. Nous avons canalisé son anxiété existentielle en une soif de pouvoir pure et simple. C'est une guérison, d'une certaine manière. Une guérison monstrueuse.Elara, elle, a fusionné avec son Entité. Elle ne dit plus "elle dit". Elle dit "je vois", "je sais". L'Entité n'est plus une visitation ; c'est une possession consentie. Elle prédit les changements de vent, devine les pensées cachées de Markus avec une précision déconcertante. Elle est devenue notre oracle,
Liam—Le corps du clochard repose dans l'ancienne glacière à vin, au sous-sol. Le froid ralentira la décomposition. Nous devons décider de son devenir ultime. La mer, peut-être. Une tombe anonyme dans les pins. Les détails pratiques, soudain, prennent une importance macabre.Mais pour l'instant, c'est le silence qui règne.Markus et Elara sont retournés dans leurs chambres, choqués, transformés. Markus a vomi après la scène. Elara, elle, est entrée dans une transe, murmurant des remerciements à son Entité pour le "spectacle". Leurs réactions opposées dessinent les limites de ce que nous pouvons leur faire endurer. Ou de ce qu'ils peuvent accepter d'eux-mêmes.Chloé est assise près de la fenêtre de notre chambre, le regard vide, les mains immaculées. Elle les a lavées avec une frénésie méticuleuse, mais je sais qu'elle sent encore le poids du couteau, la résistance de la chair, le jaillissement chaud du sang. C'était elle qui tenait la lame. Moi, je n'ai fait que guider son bras, une