Chapitre 5 – Brèches

— Tu comptes lui reparler ?

— À qui ?

— Lya… je suis pas bête. Ewan.

Jade sirotait son jus detox comme si elle interrogeait une criminelle en cavale. Lya, accoudée à la fenêtre, fixait la cour intérieure de l’immeuble, l’endroit exact où elle avait croisé Ewan deux jours plus tôt. Depuis, rien. Ni bruit. Ni message. Ni coïncidence.

— Je le recroiserai sûrement, répondit-elle en haussant les épaules.

— T’as pas envie de redescendre avec une excuse bidon ? Genre "Oh tiens, j’ai oublié ma dignité au rez-de-chaussée" ?

Lya la frappa doucement avec un coussin.

— J’ai pas envie de me précipiter. J’ai pas envie de tomber dans le fantasme juste parce qu’un mec m’a regardée comme si j’étais autre chose qu’une plaie ouverte.

— Mais t’es autre chose qu’une plaie. Et ce regard-là… parfois, il est plus sincère que mille promesses.

Lya se mordit la lèvre. C’était vrai qu’il avait ce quelque chose. Une tristesse cachée dans le coin des yeux, une chaleur retenue.

Mais elle se méfiait. Des belles paroles. Des départs inattendus. Des hommes en général.

Alors elle resta chez elle toute la journée, à ranger ce qu’elle avait mis de côté. Elle jeta les photos. Les billets de concert jamais utilisés. Les lettres jamais envoyées.

Elle voulut croire qu’elle reprenait le contrôle.

Jusqu’à ce que son téléphone vibre.

Nouveau message de : Thomas.

Je veux te voir. C’est important.

Son cœur fit un bond. Elle relut le message plusieurs fois. Non. Il n’avait pas le droit de faire ça. Pas maintenant. Pas après l’avoir laissée saigner seule.

Mais la curiosité, la colère, cette part d’elle encore brisée… lui fit répondre :

Pourquoi ?

La réponse fut presque instantanée.

Carla m’a quittée.

Et voilà. L’ironie pure. Le karma.

Mais ce qui la troubla, ce ne fut pas ça. C’était la panique qui suintait entre les lignes.

Thomas ne revenait pas par amour. Il revenait… parce qu’il avait perdu.

Et c’est là qu’elle comprit. Il n’était jamais parti pour Carla. Il était juste parti pour lui-même.

Jade vit son visage se fermer.

— Qu’est-ce qu’il a encore fait ?

Lya lui tendit le téléphone sans un mot. Jade lut, souffla bruyamment.

— Laisse-le crever dans sa solitude. Sérieusement. Il veut revenir te bouffer juste parce qu’il a plus rien à se mettre sous la dent ?

Lya reprit son téléphone, fixa l’écran. Et soudain, une idée germa.

Pas une vengeance.

Une mise à distance.

Elle tapa rapidement :

Je t’écoute. Mais pas chez moi. Demain. 18h. Au café Rivoli.

— Tu fais quoi là ? demanda Jade, méfiante.

— Je ferme les portes. Définitivement.

Mais au fond, ce n’était pas totalement vrai. Une partie d’elle voulait l’entendre s’expliquer. Le regarder dans les yeux et lui dire tout ce qu’elle n’avait pas eu la force de balancer le jour de leur rupture.

Elle voulait comprendre sa propre douleur. L’enfermer dans un cadre. Ne plus la laisser déborder partout.

Mais ce qu’elle ignorait encore, c’est que Thomas ne venait pas pour des excuses.

Non.

Il venait avec un vide, avec une envie de contrôle, et surtout… avec une jalousie nouvelle.

Car Thomas avait vu, lui aussi, ce regard échangé entre elle et le nouveau voisin.