Point de vue : Thomas
Il n’avait pas fermé l’œil depuis deux nuits. Pas à cause de Carla. Elle était jolie, oui. Brillante aussi. Mais elle n’était qu’un échappatoire. Une fuite. La vérité, c’est qu’il n’avait jamais su gérer Lya. Trop entière. Trop vraie. Elle lisait en lui. Et lui… détestait être vu sans masque. Carla ne m’a pas quitté… Je l’ai laissée partir. C’est ce qu’il se répétait pour sauver un semblant d’ego. Mais la vérité était toute autre. Carla en avait eu marre. De ses absences mentales, de ses silences coupables. De ce prénom murmuré dans son sommeil. Lya. Il s’était menti à lui-même. Il avait cru que Lya l’aimait trop. Qu’il pouvait faire ce qu’il voulait, qu’elle reviendrait toujours. Mais le regard qu’il avait surpris il y a deux jours avait tout balayé. Un hasard. Une ironie cosmique. Il était passé devant son ancien immeuble. Il n’avait pas prévu. Juste un détour. Une impulsion stupide. Et là, dans la cour intérieure… Il l’avait vue. Elle. En bas. Et ce type, nouveau visage, sac sur l’épaule, qui la regardait comme lui ne l’avait jamais osé. Ce regard-là… il l’avait senti comme un poing dans le ventre. Elle avait souri. Doucement. Pas avec les dents. Avec le cœur. Et là, tout s’était écroulé. Il s’était assis sur un banc plus loin, incapable de bouger. Il n’avait pas le droit d’être jaloux. Mais il l’était. D’une violence honteuse. Pas parce qu’elle passait à autre chose. Mais parce que quelqu’un d’autre voyait déjà ce qu’il avait gâché. Flashback : un an plus tôt Lya riait à gorge déployée dans leur lit, nue sous le drap. Elle lui parlait de son projet d’ouverture d’une galerie. De ses rêves, de ses peurs. Et lui… il regardait ailleurs. Il l’aimait. Mais ça lui faisait peur. Elle était stable, ambitieuse, entière. Lui, il était encore ce garçon brisé, élevé dans le silence et les absences. L’amour, chez lui, se méfiait de l’engagement. Et puis il y avait eu Carla. Opportunité simple. Séduisante. Sans enjeu émotionnel. Elle n’attendait rien d’autre que sa présence. Et il avait mordu. Pas par désir. Par lâcheté. Quand Lya l’avait surpris avec Carla – une seule fois, mais la pire – il n’avait rien dit. Rien expliqué. Il n’avait pas tenté. Il avait préféré se taire, fuir. Parce qu’en Lya, il voyait tout ce qu’il n’était pas capable d’être. Et maintenant… ce type dans la cour. Lya avait changé. Elle avait ce quelque chose dans le regard. Cette rage douce, ce feu encore timide, mais bien présent. Et lui… il voulait la voir. Il avait besoin de savoir s’il restait une brèche, un passage. Pas par amour. Par besoin de contrôle. Retour au présent Il ajusta sa chemise, se regarda dans le miroir du café Rivoli. Il était en avance. Elle arriverait dans dix minutes. Il avait commandé un café noir. Il n’avait rien avalé depuis la veille. Et soudain, il sentit une présence. Une silhouette masculine, quelques tables plus loin. Le regard fixe, concentré. Pas menaçant. Mais attentif. Le type de la cour. Le sac n’était plus là. Il portait une chemise sobre, un jeans sombre. Il lisait, mais ses yeux glissaient parfois dans sa direction. Thomas sentit un frisson. Et s’il savait déjà ? Et si Lya… ? Non. Trop tôt. Mais cette scène, ce café, ce rendez-vous… tout devenait chargé d’électricité. Elle entra. Et le monde se rétracta. Lya, vêtue simplement, mais le port altier. Les cheveux détachés. Une trace légère de maquillage. Pas pour lui. Pour elle-même. Et Thomas comprit qu’il n’allait pas ressortir d’ici indemne.Point de vue : LyaLe réveil fut confus. D’abord un soupir. Puis un courant d’air. Et enfin, la sensation réconfortante d’un plaid jeté sur elle. Lya ouvrit les yeux lentement. La lumière pâle du matin filtrait à travers les rideaux gris. Elle se redressa sur le canapé, légèrement engourdie.Elle portait encore la chemise d’Ewan. Son parfum à lui y était ancré, chaud, boisé. Presque trop présent. Elle lissa ses cheveux avec maladresse, réajusta le plaid autour de ses jambes. Le silence de l’appartement la surprit. Jusqu’à ce qu’elle le voie, endormi dans le fauteuil d’en face.Son bras tombait dans le vide, sa tête penchée sur le côté, ses lèvres entrouvertes. Il avait veillé. Il n’avait pas osé partager le canapé. Pas même s’approcher.Tu vois, Lya ? Ça, c’est du respect. Pas des excuses collées sur des gestes déplacés.Elle sourit. Doucement. Puis se leva sans bruit pour ne pas le réveiller. Mais à peine eut-elle posé le pied sur le sol que le parquet grinça.Il ouvrit un œil, puis
Point de vue : EwanLe ciel avait basculé. Un orage d’été, sans prévenir, s’était invité à leur retour du restaurant. La pluie tomba d’un coup, dru, chaude et abondante. Lya éclata de rire en courant, ses talons claquant sur les pavés, les cheveux trempés plaqués contre son front.— C’est quoi ce délire ?! cria-t-elle entre deux éclats de rire.— T’as insulté Zeus sans me le dire ou quoi ?Il lui attrapa la main presque par réflexe. Et au lieu de la lâcher, il la serra un peu plus fort. Ils coururent, bousculant les flaques, trempés jusqu’à l’os. La lumière des lampadaires dansait sur l’asphalte détrempé. Ils ressemblaient à deux enfants échappés d’un monde trop lourd.— Chez moi, c’est à trois rues, lança Ewan.— Alors fonce ! Ou je me transforme en méduse.Ils dévalèrent les escaliers de l’immeuble, essoufflés, trempés, mais souriants. Une fois à l’intérieur, Lya s’arrêta, observant l’appartement comme si elle entrait dans une autre dimension.— J’aime bien. C’est... brut. Authentiq
Point de vue : LyaLe lendemain, Lya resta longtemps allongée dans son lit, les yeux grands ouverts, fixant le plafond. Elle revoyait le moment où ses doigts avaient effleuré ceux d’Ewan, la veille, devant cette vitrine. Elle avait dormi habillée, sans même s’en rendre compte. Son cœur battait un peu trop vite. Ce n’était pas de la peur. C’était… autre chose. Inédit. Incontrôlé.Une notification vibra sur son téléphone.Ewan – 10h02 :« Tu sais qu’hier t’as failli me briser les doigts ? 😅 »« P.S. : j’essaie de me rappeler si c’était une tentative d’agression ou un appel à l’aide... »Elle éclata de rire malgré elle. Puis tapa :Lya :« Ni l’un ni l’autre. C’était juste... un bug émotionnel. »Il répondit presque aussitôt.Ewan :« Les bugs, je connais. Je gère bien les redémarrages en douceur. »Elle hésita quelques secondes, puis osa :Lya :« T’as des projets ce soir ? »Silence. Puis :Ewan :« Je comptais me battre avec un pot de nouilles instantanées et m’endormir devant une sé
Point de vue : Lya La nuit tombait doucement sur la ville. Lya se tenait devant la vitrine d’un vieux magasin de musique, les bras croisés, le regard fixé sur un piano poussiéreux à l’intérieur. Un vieux modèle droit, couleur acajou, dont certaines touches semblaient usées à force d’avoir été aimées. Ewan, juste à côté d’elle, dit simplement : — Tu joues ? Elle ne répondit pas tout de suite. Puis, d’une voix basse : — Je jouais. Avant. — Avant quoi ? — Avant que tout ce qui me rendait vivante devienne… inutile. Il tourna la tête vers elle, mais elle gardait les yeux rivés sur le piano. — C’était lui, hein ? Elle hocha la tête. — Il disait que j’étais mieux quand je parlais pas. Que les artistes vivaient dans un monde à part. Il voulait une femme… pratique. Présentable. Silencieuse. Un rire sec lui échappa, sans humour. — Tu sais ce qu’il m’a dit, une fois, après m’avoir entendue jouer un morceau de Debussy ? Que c’était "joli mais inutile". Il m’a dit que je devrais arrêt
Point de vue : EwanElle avait dit que ce n’était pas un rencard.Il avait répondu « d’accord ».Mais dans sa tête, c’en était un. Il en avait même sorti ses baskets les moins trouées, celles qu’il gardait pour les occasions « potentiellement importantes mais pas trop formelles non plus ».Lya l’attendait devant la vieille librairie du quartier, un tote bag à l’épaule, un chignon flou et ce genre de pull large qui laissait entrevoir la naissance d’une clavicule.— En retard, lança-t-elle sans lever les yeux.— J’ai hésité quinze minutes devant mes chaussettes. Bleu foncé ou gris. La vraie vie d’adulte, quoi.Elle esquissa un sourire. Ce genre de sourire rapide, discret, mais réel.— J’ai besoin de poésie, dit-elle en poussant la porte de la boutique. Du genre qui fait un peu mal mais qu’on relit quand même.Ewan la suivit, hochant la tête.— Donc pas de Pablo Neruda version TikTok alors.— Si tu m’en sors un seul, je t’abandonne entre le rayon ésotérisme et développement personnel.Il
Point de vue : LyaLe soleil tapait doucement sur le trottoir, mais Lya sentait encore le froid dans sa poitrine. Cette conversation avec Thomas l’avait vidée. Même si elle n’en attendait rien, ça faisait mal de voir à quel point il était passé à côté de sa propre lâcheté.Elle marchait, sans but précis, les écouteurs vissés dans les oreilles, sans rien écouter. Jusqu’à ce qu’une voix un peu essoufflée l’interrompe dans son dos :— T’as une technique spéciale pour laisser les gens sur leur chaise ou tu fais ça naturellement ?Elle se retourna, un peu surprise.— Ewan ?— Salut. J’étais… dans le même café. Pur hasard. Ou signe du destin. Je sais pas encore.Il sourit. Ce genre de sourire un peu gêné, mais franc. Il avait ce regard direct, mais pas intrusif. Et pour une raison étrange, Lya ne ressentit pas le besoin de se méfier.— J’pensais pas que t’étais du genre à écouter aux conversations, dit-elle en croisant les bras.— J’étais plus concentré sur ton ton de voix que sur les mots,