MasukLe lendemain, avant même que la pâle lueur de l’aube ne perce entre les pins, on frappa à ma porte. Le bois vibra sous les coups secs, me tirant d’un sommeil fragile et agité, peuplé de cauchemars où je brûlais sous les yeux d’une meute riante.
— Debout, ordonna une voix rude. L’entraînement commence.Deux gardes surgirent aussitôt, leurs visages fermés comme de la pierre. Leurs doigts s’enfoncèrent dans mes bras et me tirèrent hors de la cabane sans ménagement. Mon corps était lourd, engourdi par la fatigue, et mon esprit encore collé aux visions de la nuit. Je sentais chaque battement de mon cœur résonner jusque dans mes tempes, comme si mon corps tout entier me criait de fuir.Mira avait réussi à me rejoindre à l’aube. Elle se précipita vers moi avant que les gardes ne l’écartent brutalement. Ses yeux étaient embués de larmes, mais sa voix tremblait d’une détermination farouche.— Reste forte, murmura-t-elle, ses doigts serrant les miens une deL’aube ne vint pas avec la lumière. Elle arriva lourde, grise, et étouffée par un ciel bas. Comme si la Lune refusait de céder sa place au soleil. Silverpine se réveilla dans un silence inhabituel, presque religieux. Même les oiseaux ne chantaient pas. On vint me chercher avant que je ne sois prête. Deux gardes, muets, évitaient mon regard. Ils ne me touchèrent pas, mais leur présence suffisait à me rappeler que je n’étais plus libre depuis longtemps. Je marchai entre eux, pieds nus sur la terre froide, le ventre creusé par le jeûne, l’esprit étrangement calme. La clairière était déjà préparée. Le cercle de pierre avait été nettoyé. Les anciennes runes, gravées depuis des générations, luisaient d’une pâle lueur argentée. Des torches brûlaient lentement, sans crépiter, comme si le feu lui-même retenait son souffle. La meute était là. Tous. Des guerriers aux anciens, des dominants aux omégas. Même les enfants, perchés derrière les adultes, observaient en silence. Je sent
Je n’avais jamais craint la nuit. Je l’avais traversée cent fois, parfois seul, parfois à la tête de guerriers couverts de sang. J’avais senti ses odeurs, écouté ses murmures, compris ses pièges. La nuit avait toujours été un territoire que je maîtrisais. Mais cette nuit-là… La nuit ne m’obéissait plus. Elle m’observait. Je restai immobile devant la cabane de Lyra longtemps après que son cri se fut éteint. Le silence qui suivit n’était pas apaisant. Il était chargé. Lourd. Comme un souffle retenu trop longtemps. Les gardes n’osaient pas parler. Ils sentaient, eux aussi, que quelque chose venait de se fendre — pas dans l’air, mais dans l’ordre même de Silverpine. Elle m’avait regardé sans peur. Pas avec défi. Pas avec soumission. Avec une vérité nue, tranchante. Si je reste… ils me détruiront. Je serrai les poings jusqu’à sentir la douleur m’ancrer dans le réel. Je savais que c’était vrai. Le Rite du Voile n’avait jamais été un test. Pas vraiment. Il avait toujours été un
La deuxième nuit commença sans avertissement. Il n’y eut ni tambours, ni incantations, ni pas dans la nuit. Rien pour me préparer. Rien pour me prévenir. Seulement cette sensation sourde, persistante, que quelque chose s’était mis en mouvement sans moi. Je n’avais pas mangé depuis plus de vingt-quatre heures. Mon corps était vidé, fragile, presque étranger. Mes membres me semblaient trop lourds, mes gestes ralentis, comme si je me mouvais dans de l’eau froide. Mais ce n’était pas la faim qui me rongeait. C’était l’attente. Cette certitude oppressante que le Voile ne dormait pas. Qu’il observait. Qu’il mesurait. La lumière sous ma peau ne s’était pas éteinte depuis la veille. Elle n’explosait pas. Elle ne brûlait pas. Elle observait. Je restai assise contre le mur de la cabane, les genoux repliés contre ma poitrine, les bras serrés autour de mes jambes maigres. Chaque battement de mon cœur résonnait trop fort, trop lentement. Même l’air semblait plus dense, plus
La cabane était silencieuse.Pas le silence ordinaire de la nuit, peuplé de bruissements, de craquements et de souffles lointains. Non. Un silence épais et artificiel.C'etait comme si quelqu’un avait posé un voile sur Silverpine elle-même. On pouvait presque sentir que la forêt elle-même tenait sa respiration. Et ce que je sentais en particulier, c'était les gardes dehors. Je ne les voyais pas, mais leur présence pesait sur ma poitrine, constante, oppressante. Ils ne surveillaient pas seulement mes gestes. C'était mon existence entière qui les intéressaient. Le jeûne avait commencé à l’aube.Au début, la faim avait été supportable. Maintenant , il s'agissait d'un vide sourd, presque familier. Mais à mesure que la journée avançait, ce n’était plus mon ventre qui protestait. C’était autre chose. Une tension profonde, nichée sous ma peau, dans mes os, dans mon sang. Comme si quelque chose, privé d’ancrage, cherchait une issue. Je m’assis sur la paillasse, ramenant mes genoux contre
Le lendemain de la convocation, Silverpine ne se réveilla pas vraiment. La meute semblait suspendue dans un état étrange, comme si le temps lui-même avait ralenti. Les voix étaient plus basses. Les pas plus prudents. Même la forêt paraissait retenir son souffle. Les arbres murmuraient quand le vent les traversait, et chaque bruissement semblait répéter le même mot, encore et encore. Voile. Trois jours. Trois jours avant que la Lune ne décide si j’étais digne de vivre… ou d’être effacée. On m’isola davantage encore. Ma cabane fut déplacée aux abords du village, là où les ombres s’étiraient plus longtemps et où les regards se faisaient plus rares mais jamais absents. Deux gardes restaient postés en permanence devant la porte. Ils ne parlaient pas. Ils observaient. Même respirer me semblait suspect. Mira devait négocier chaque visite, argumenter, presque supplier. Lorsqu’elle parvenait enfin à entrer, elle refermait la porte derrière elle avec une rage mal contenu
Les jours suivants s’écoulèrent comme une lente agonie. Chaque matin, avant même que la brume ne quitte la forêt, Caius venait me chercher. Il ne frappait jamais. Il se contentait d’ouvrir la porte, son ombre envahissant la cabane avant même qu’il n’y entre réellement. C’était sa façon de rappeler que je n’avais nulle part où fuir. L’entraînement ne ressemblait plus à ce que j’avais connu jusque-là. Il ne s’agissait plus seulement d’appeler la lumière ou de la contenir. Il voulait que je reste debout pendant qu’elle brûlait, que je respire malgré la douleur, que je garde les yeux ouverts quand tout mon corps me suppliait de m’effondrer. — La lumière ne doit jamais te voir plier, répétait-il. Ses mots me hantaient longtemps après qu’il s’éloignait. Je tombais souvent. Parfois jusqu’à en vomir. Mira était toujours là, silencieuse, me tendant de l’eau, soutenant mon poids quand mes jambes refusaient de m’obéir. Elle ne protestait plus ouvertement. Elle avait compris que cela n







