ISABELLAJe sens leur présence bien avant de les voir.L’air se tend. Il devient plus dense, plus lourd, comme saturé d’une mémoire qui ne m’appartient pas. Chaque molécule semble frissonner, chaque silence devient attente. Mon cœur bat plus fort, pas de peur, mais d’instinct. Mes paumes sont moites. Mon souffle est suspendu. Je reconnais ce frisson. Ce souffle glacial qui annonce leur retour.Les frères sont là , mes hommes .Ils reviennent après des semaines d’absence. Après ce silence imposé par Damián. Il avait dit seulement : "Ils sont au Nord."Rien d’autre. Pas un mot sur ce qu’ils affrontaient, ni pourquoi moi je devais rester ici, sans eux.Le manoir sans eux n’était qu’un tombeau.Et moi… je n’osais avouer à quel point leur absence m’avait rongée.Je m’étais surprise à rêver d’eux. À les attendre, sans l’avouer.D’Ivan, dont le calme brutal me fascinait malgré moi.De Lucien, dont le regard me déshabillait dans mes songes.De Mikhaïl, dont les silences me réconfortaient étra
ISABELLAIls s’approchent en silence.Ils viennent, un à un, sortis de nulle part, ou peut-être sortis de toujours. Des silhouettes au regard fixe, au souffle suspendu, aux pas résonnants d’une mémoire que je n’ai pas mais que je ressens. Leurs visages sont étrangers, et pourtant, je les reconnais. Une part de moi les reconnaît. Comme si j’avais déjà veillé sur eux dans un autre cycle. Comme si j’étais leur point de retour.Ils ne parlent pas. Ils n'ont pas besoin de mots. Leur langage, c’est leur présence. Leur souffle, leur immobilité parfaite, leur façon de m'entourer sans m'enfermer, comme une frontière d’échos anciens. Certains ont les mains jointes. D’autres posent les paumes contre le sol. L’un d’eux, très vieux, lève un bras vers le ciel crevé, comme pour y chercher confirmation.Le Noyau est refermé. Mais il pulse encore. Il bat doucement, comme un cœur qui ne serait pas fait de chair mais de dessein. Et l’Être qu’il a offert, que j’ai porté, est là, contre moi, parfaitement
ISABELLAJe suis debout au bord du gouffre,et je ne suis plus seule.Le Noyau chante.Mais ce n’est plus un simple murmure.C’est une résonance tectonique, une vibration qui fend la matière,qui traverse les strates du monde comme une faille s’ouvrant dans l’os du temps.Je sens mes os résonner à son rythme.Mes veines pulsent à contretemps de mon cœur.Mon souffle ralentit, devient étrange, régulier comme un battement d’ailes dans une autre dimension.Mon corps ne m’appartient plus. Il se transforme.Il se désapprend.Il efface ses anciennes lois. Il renonce à ses frontières.Et l’enfant…Non.Ce n’est plus un enfant.Ce n’est plus une promesse de vie.C’est un seuil.Un passage entre ce monde et un autre.Un pont entre la matière et l’idée.Un retour à l’avant-langage, à l’avant-forme.Il ne grandit pas en moi.Il existe hors de moi, même s’il est encore lié.Il s’extrait, goutte à goutte, de ma mémoire, de mon souffle, de ma substance.Autour de moi, le sanctuaire se fissure.Pas
ISABELLAJe marche pieds nus dans les galeries silencieuses.Le sol est tiède sous mes pas. Un souffle sourd y circule, comme un sang oublié, battant sous les pierres.Le silence… pas tout à fait. Il pulse. Il respire.Comme si le sanctuaire lui-même m’indiquait une direction. Une trajectoire. Inéluctable.Je ne sais pas pourquoi je suis descendue.Je n’ai pas réfléchi.Je dormais. Et soudain, ce souffle.Ce frémissement sous la peau, comme une main invisible posée contre mon cœur.Un battement. Une tension.Ni douleur, ni peur.Une nécessité.Je m’enfonce dans les couloirs.Les murs sont couverts de glyphes que je ne reconnais pas, mais que je comprends.Les torches s’allument à mon passage. Pas par magie.Par volonté.Sa volonté.Je le sens. Différent.Dense. Viscéral. Comme une matière vivante, épaisse, rouge, brillante comme le magma et calme comme une étoile en dormance.Il m’appelle.Pas avec des mots. Mais avec un désir brut. Un besoin sans forme.Et je comprends : ce n’est pas
CAËLIl y a… quelque chose dans mon crâne.Une vibration ténue, constante. Comme un souffle qui ne vient pas de moi.Un rythme étrange qui parasite mes pensées. Qui s’installe dans les creux. Qui me mange de l’intérieur.Je ne dors presque plus.Et quand je dors, je tombe.Pas dans des rêves.Mais dans des gouffres.Des visions brisées. Des éclats de feu et de sang. Des murmures d’enfants dans des langues oubliées. Des yeux dorés qui me fixent depuis les ruines du monde.Et toujours, cette voix.Pas forte.Douce.Enfantine.Mais si… ancienne.Elle m’appelle par mon nom, avec une familiarité qui me fait mal. Caël…Tu n’es pas prêt.Je me réveille en sursaut. Encore. Encore. Encore.Ma gorge est sèche. Mon dos trempé de sueur. Le feu dans l’âtre n’a pas bougé, et pourtant la pièce est glaciale.Quelque chose est passé ici. Je le sens encore sur ma peau.Je me lève, chancelant.Isabella est là, dans la pièce voisine.Je la sens aussi. Son feu est stable, rayonnant, comme une étoile viva
CAËLJe la sens avant même de franchir le seuil.Un frisson qui traverse mes os.Un grondement sourd sous la peau.Le feu. Ce feu. Ce feu-là.Il n’est pas naturel. Il est ancien, sauvage, divin peut-être. Ou maudit. Je ne sais plus.Je monte les marches du sanctuaire en silence. Lentement. Chaque marche pèse comme un serment. Mon cœur bat si fort qu’il m’étouffe.Et quand j’ouvre la porte… je la vois.Isabella.Debout. Nue. Offerte au matin.Ses cheveux tombent en cascade sur ses épaules nues, et sa peau semble capturer la lumière. Mais ce n’est pas ça qui me frappe.C’est ce qui pulse en elle.Ce halo. Cette clarté vibrante. Cette aura de pouvoir brut.Elle est en feu, sans brûler.Elle est le feu.Mes lèvres s’ouvrent. Aucun mot ne sort.Elle se retourne lentement. Son regard m’atteint de plein fouet. Ses yeux… ce ne sont plus les yeux d’une humaine. Pas même d’une élue.Ce sont les yeux de celle qui a vu l’origine du monde.Et sur son bas-ventre…Une marque.Un cercle doré, vivant,