MasukChapitre 6 — Les Secrets de Hug
MÉLISSA
Le lendemain matin, le soleil perce à peine à travers les rideaux épais de la maison close, mais je ne parviens pas à trouver le sommeil. Chaque pensée me ramène à Hug et à la vie qu’il mène à l’extérieur. Je me demande pourquoi il est si mystérieux, pourquoi il ne m’a jamais laissé entrevoir un seul fragment de la vérité sur lui. Mais surtout, je me demande ce qu’il attend de moi.
Je repasse des draps dans la pièce commune, mes mains abîmées par le tissu rugueux, quand la porte s’ouvre soudainement. Hug se tient sur le seuil, son regard sombre posé sur moi. Comme d’habitude, il est impeccablement vêtu, une aura de pouvoir qui semble l’envelopper.
— Viens avec moi
Je lève les yeux, mélange de confusion et de crainte. Il ne m’a jamais parlé ainsi. Je dépose les draps et me lève lentement, me demandant si je dois vraiment suivre ses ordres. Je n’ai pas le choix. Sans un mot, je m’avance vers lui.
Dans le couloir sombre, Hug m’entraîne vers la porte arrière de la maison, là où les employés et les clients ne se croisent jamais. Il s’arrête un instant, observant autour de lui comme pour s’assurer que personne ne nous suit.
— Tu veux savoir pourquoi je t’ai protégée
Je reste silencieuse, les mains tremblantes. Je n’ose pas parler, mais ma curiosité est plus forte que tout. J’ai besoin de comprendre.
Hug me fixe longuement, puis murmure presque.
— Tu as quelque chose que les autres n’ont pas. Quelque chose que je tiens à préserver
Je fronce les sourcils, ne comprenant pas.
— Quelque chose que vous voulez protéger ? Mais pourquoi moi, et pas les autres ?
Hug soupire, une lueur d’irritation traversant brièvement ses yeux sombres.
— Parce que ta mère m’a demandé de le faire
Mon cœur fait un bond. Ma mère… cette simple mention me fige.
— Ma mère… Vous la connaissiez
Hug a une brume d’émotion dans le regard avant qu’il ne la chasse d’un geste.
— Elle était une femme très… perspicace. Elle savait ce qu’elle faisait. Elle m’a demandé de veiller sur toi
Je n’arrive pas à comprendre. Pourquoi ma mère aurait-elle fait appel à Hug ? Et pourquoi lui aurait-il promis de me protéger ? Pourquoi m’avoir laissée dans cette situation, dans cet endroit effrayant, sans explication ?
— Pourquoi m’avoir laissée ici, dans cette maison close ? Si vous teniez vraiment à ma sécurité, pourquoi m’avoir laissée dans ce lieu
Hug reste silencieux un instant, puis un léger sourire s’étire sur ses lèvres, mais il ne touche pas ses yeux.
— Parce que tu devais comprendre certaines choses par toi-même. Parce que ta mère savait que seul le temps te ferait prendre conscience de ce qui t’attendait
Je serre les poings, frustrée.
— Et si je ne veux pas de tout ça ? Si je veux m’en aller, m’échapper
Hug hausse les épaules, un éclat de froideur dans le regard.
— Tu ne peux pas fuir. Pas maintenant. Tu es ici parce que c’est ton destin. C’est ce que tu es censée être
Un frisson parcourt mon échine. Destin. Ce mot résonne comme une sentence.
— Mais ce n’est pas ce que je veux ! Je ne veux pas être ici, je ne veux pas être un jouet dans votre jeu
Hug me fixe silencieusement, ses yeux sombres me scrutant intensément. Puis, d’une voix basse et menaçante :
— Tu ne choisis pas ton destin. Il te choisit
Je recule légèrement, le cœur battant. Je me rends compte que je n’ai pas le pouvoir de changer les choses. Je suis une pièce sur un échiquier, manipulée par des mains invisibles.
Un bruit sourd dans le couloir nous interrompt. Un employé entre, nerveux, et s’incline légèrement devant Hug.
— Excusez-moi, Monsieur Hug, mais il y a un problème avec les comptes de ce soir. Un client a fait une réclamation
Hug tourne son regard vers lui et lui fait un signe impérieux de s’éloigner.
— Je m’en occupe dans un instant. Laissez-nous
L’homme s’éloigne, laissant Hug et moi dans le silence. Hug se tourne vers moi, son expression redevenue sérieuse.
— Tu as de la chance que je sois là pour te protéger. Mais n’oublie pas que ce que je fais, je le fais pour ton bien. Ce que ta mère ne t’a pas dit, je vais te l’apprendre à ma façon. Tu apprends à vivre dans ce monde, ou tu disparais
Un frisson glacé me parcourt l’échine. Je n’ai toujours pas les réponses que je cherche, mais une chose devient claire : je ne peux plus rester dans l’ignorance. Je dois comprendre pourquoi Hug m’a choisie et surtout ce qu’il attend de moi dans ce jeu dangereux.
Je ne suis plus une simple spectatrice de ma vie. J’en fais partie, et je vais devoir me battre pour survivre dans ce monde où les règles sont dictées par des hommes comme Hug. Mais je le sais : je finirai par percer ses secrets.
Chapitre 38 — Fin , Le Jardin de l’AubeMÉLISSAJe le regarde dormir.Alexander. Mon fils. Mon héritier. Le garçon qui portait en lui tous nos espoirs et toutes nos craintes, désormais un jeune homme dont les épaules ploient sous le poids que nous y avons déposé.Il s’est endormi sur le canapé de la bibliothèque, un livre de stratégie ouvert sur sa poitrine. Son visage, dans le sommeil, a perdu la froideur calculatrice qu’il arbore désormais éveillé. On y devine encore les traits de l’enfant qu’il a été, celui qui demandait si tuer faisait mal à l’âme. Cette question me hante encore.La victoire contre Morrison devrait me remplir de satisfaction. C’était une manœuvre d’une élégance brutale, typique de l’esprit que nous avons formé. Mais elle m’a laissée un goût de cendre et de remords. J’ai vu ses yeux quand il a présenté son plan. Une froideur qui n’était pas un masque. Une acceptation naturelle de la manipulation et de la peur comme outils de gouvernance. Nous avons réussi. Nous avo
Chapitre 37 — Le Poids de la CouronneALEXANDER (Âgé de 16 ans)La Salle de la Cartographie est devenue ma seconde chambre. Les écrans sont les fenêtres de mon royaume, les flux de données le sang qui circule dans ses veines. À seize ans, je parle couramment le langage des marchés, le dialecte de la menace et le code silencieux du pouvoir. Je suis le cerveau que Maman a façonné et l’épée que Papa a aiguisée. Je suis leur œuvre maîtresse.Et je m’étouffe.Le succès de l’opération Sorenson a ouvert les vannes. Maintenant, chaque décision stratégique passe par moi. Chaque menace est analysée, décortiquée, et une réponse est élaborée. Ma chambre d’enfant a été remplacée par un bureau aux lignes épurées, adjacent à la Cartographie. On ne me demande plus mon avis. On attend mes ordres.Papa supervise la sécurité, les « résolutions définitives ». Son empire de l’ombre est plus vaste et plus meurtrier que jamais, mais il fonctionne avec la précision d’une horloge suisse. Il est le mur.Maman,
Chapitre 36 — La ForgeALEXANDER (Âgé de 12 ans)La Salle de la Cartographie n’est pas une pièce, c’est un cerveau. Le cerveau de l’empire. Trois murs sont recouverts d’écrans tactiles affichant des flux de données financières, des réseaux d’influence, des cartes géopolitiques en temps réel. Le quatrième mur, celui en face de l’entrée, est un immense planisphère en verre dépoli, sur lequel on peut projeter n’importe quelle information. C’est ici que Maman et Papa m’ont amené pour ma première vraie leçon.Je ne suis plus un spectateur. Je suis un apprenti.— Les Valerius étaient des brutes, commence Maman, sa voix claire résonnant dans la pièce silencieuse. Prévisibles. Leur faiblesse était leur colère. Nous avons utilisé cette colère pour les attirer dans un piège et les éliminer.Elle fait glisser ses doigts sur une tablette. Le planisphère s’illumine, montrant un réseau complexe de lignes et de noms. C’est beau, comme une toile d’araignée géante couverte de rosée.— Mais le monde n’
Chapitre 35 — L’Héritage du FeuMÉLISSALa fêlure est là. Je la sens en moi, une fine craquelure dans le marbre de ma résolution, profonde comme la racine d’une montagne. Je la vois dans les yeux d’Alexander, ce miroir trop perspicace de nos âmes meurtries. Il n’a pas huit ans et il porte déjà le poids de nos péchés.La bibliothèque est plongée dans la pénombre, le crépuscule avalé par la nuit. Je n’ai pas bougé du fauteuil. La trace sur ma manche a séché, une croûte brunâtre et fragile. Le souvenir d’une vie qui n’était pas la mienne, prise dans la tourmente de la nôtre.Hug entre. Il ne dit rien. Il traverse la pièce, son ombre dévorant la faible lumière. Il s’arrête derrière moi, ses mains se posant sur mes épaules. Le contact est lourd, réel, un ancrage dans le tourbillon de mes pensées.— Il sait, dis-je, ma voix éraillée par le silence et les larmes refoulées.— Il a toujours su, corrige-t-il, sa voix un râle bas. Il est né en le sachant. Nous avons juste attendu qu’il ait les m
Chapitre 34 — Le Serment BriséALEXANDER (Âgé de 8 ans)Il y a deux mondes. Le monde de Maman, et le monde de Papa. Le monde de Maman est fait de chiffres, de sourires calculés et de salles blanches où l'on soigne les gens. Elle m'emmène parfois dans des hôpitaux qui portent notre nom. Les gens lui sourient, lui serrent la main. Ils me regardent, moi, avec des yeux pleins d'espoir. « Le jeune prince », ils chuchotent. Maman dit que c'est ça, le vrai pouvoir : inspirer, construire, guérir.Le monde de Papa est fait d'acier, de silence et d'ombres. Il est dans son bureau, face à des écrans qui montrent des visages en colère, des cartes avec des points rouges. Parfois, Leo vient lui parler à voix basse. Après, Papa a les yeux plus sombres. Il pose sa main sur mon épaule, plus lourde, et me dit : « N'oublie jamais, Alexander. La forteresse a besoin de murs solides. »Aujourd'hui, je devais aller avec Maman visiter une nouvelle école. Mais elle a annulé. Une urgence, a-t-elle dit. Son sour
Chapitre 33 — Le Prix de l’ÂmeMÉLISSALe regard d’Alexander me hante. Cette froide curiosité. Cette absence de peur. Cette acceptation. Ce n’était pas la réaction d’un enfant de cinq ans. C’était la réponse calibrée d’un petit prince à qui l’on vient de révéler le prix du trône.J’ai voulu lui épargner cela. Je lui ai bâti un palais, une forteresse, une légende. J’ai cru que l’amour et la puissance suffiraient à le préserver. Mais le sang, toujours le sang, a trouvé un chemin jusqu’à lui. Pas sur ses mains. Pas encore. Mais dans ses yeux. Dans son âme.Je me tiens devant la baie vitée de notre suite, observant la ville qui s’étale comme un circuit imprimé géant. Chaque point de lumière est une vie, une entreprise, une faiblesse que nous pourrions exploiter. Ce paysage m’a toujours apaisée, symbole de mon contrôle. Ce soir, il me semble menaçant, fourmillant d’ennemis invisibles, de regards avides fixés sur notre tour d’ivoire.Les bras de Hug m’encerclent par derrière, ses mains se p







