Les jours suivants furent une course contre la montre.
Malia ne dormait presque plus. Elle triait, recoupait, analysait les données de la clé USB, les confrontant à ses souvenirs et aux rapports récupérés par Joanna. La vérité, elle le comprenait peu à peu, était un puzzle complexe où chaque pièce semblait maquillée, tordue, volontairement obscure.Et au cœur de ce labyrinthe : elle.Elle, Malia.Identifiée comme “M-7”.Née d’un amour brisé ou d’une expérience scientifique ?Fille d’un monstre ou d’un homme en quête de vérité ?Elle n’avait plus de certitudes. Sauf une : elle allait découvrir tout.⸻Un matin, Joanna lui tendit une enveloppe épaisse.— On a reçu ça d’un informateur anonyme. Adresse manuscrite, tampon de Genève. C’est pour toi.Malia ouvrit, fébrile.À l’intérieur : un carnet jauni. Une écriture familière, tremblante, presque effacée.Le journal d’Assia, sa mère.ElleLe matin était clair, le ciel sans nuages.Mais dans l’air flottait une tension sourde, comme un courant invisible prêt à jaillir.Malia se réveilla la première.Elle observa sa fille qui dormait dans le petit berceau en bois qu’ils avaient fabriqué ensemble.Mais quelque chose était différent.Liora ne bougeait pas.Elle était immobile, comme figée.Et son regard… ouvert. Fixe. Presque trop conscient.— Liora ? murmura Malia.Pas de réponse. Pas un son.Puis, au moment où elle s’approcha, la petite tendit brusquement le bras vers la fenêtre.Et dans un claquement sec, les rideaux claquèrent tout seuls, comme poussés par un souffle invisible.Malia recula.— C’était… le vent. Juste le vent, souffla-t-elle, plus pour se rassurer que pour y croire.Mais au fond d’elle, elle savait.Liora avait provoqué ça.•Pendant le petit-déjeuner, Malia resta pensive.
La route serpentait à travers des collines boisées.Depuis des heures, ils roulaient en silence, suivant un itinéraire crypté transmis par Charles via une ligne sécurisée.Pas de GPS. Pas de téléphone actif. Pas de balise.Juste une carte imprimée, des consignes strictes et un objectif : atteindre un lieu isolé dans les montagnes du sud, un sanctuaire oublié, où Liora pourrait vivre sans être traquée.•À l’arrière, Malia caressait doucement les cheveux de sa fille, endormie sur sa poitrine.Chaque kilomètre les éloignait de la menace.Mais elle sentait bien que cette paix était temporaire.Aydan, concentré sur la route, jeta un coup d’œil dans le rétroviseur.— Tu tiens le coup ?— Je crois, souffla-t-elle. Mon corps est en mode pilote automatique.— On y est presque. Charles a dit qu’après le pont de Saint-Marin, on bifurque vers une route de terre. Il y aura une barrière en bois. Aucun panneau.
La serre abandonnée du Domaine Carvin s’étendait comme un squelette de verre, craquant sous le vent.Malia y arriva seule, vêtue simplement, les cheveux attachés, sans maquillage.Une sacoche contre elle, contenant le fruit de semaines de recherche : fichiers, journaux, preuves.Chaque pas sur le gravier résonnait comme une alarme dans sa poitrine.— Phoenix_0X arrivée sur site, murmura-t-elle dans le micro glissé sous sa veste.À l’autre bout, Charles confirmait :— Signal reçu. Pas d’interférence. Je reste en ligne.•À l’intérieur de la serre, la végétation avait repris ses droits.Le verre brisé laissait entrer une lumière crue. L’odeur était celle du silence et de la moisissure.Malia s’avança vers la table centrale, comme indiqué dans le message.Un homme l’attendait déjà.Grand, la cinquantaine, costume sobre, regard perçant.Il ne souriait pas.— Phoenix, je présume ?
Le soleil filtrait à travers les volets.Dans la cuisine, le calme était apparent. Mais tout, dans l’air, sentait la tension contenue.Malia observait Liora, installée dans son transat.Elle fixait un mobile suspendu. Mais ce n’était pas un regard de nourrisson.C’était concentré, curieux, presque… trop lucide.•— Tu regardes comme si tu comprenais, murmura Malia.Elle approcha son doigt. Liora le saisit immédiatement, avec une force anormale pour son âge. Puis, comme guidée par une mémoire inconnue, elle leva ses yeux vers sa mère… et sourit.Pas un sourire réflexe.Un sourire ciblé, presque complice.Malia sentit son cœur se serrer.— Tu sais. Tu sais des choses, n’est-ce pas ?•Aydan entra dans la pièce, les cheveux en bataille.— Charles a tout verrouillé, dit-il. Nouveau serveur, système de détection thermique, ligne cryptée. On est dans un bunker numérique.— Parfait,
Le ciel de Provence se teignait de doré.C’était une autre maison. Un autre lieu. Un autre nom sur la boîte aux lettres.Malia, Aydan, Ayden Junior et la petite Liora venaient de tout quitter.Adieu Paris. Adieu les souvenirs. Adieu les ombres.Désormais, ils vivaient dans une villa discrète, protégée, entre champs d’oliviers et vieilles pierres. L’endroit avait été choisi avec soin par Charles, sécurisé numériquement par ses soins.Mais la tranquillité apparente ne suffisait pas à apaiser les silences.•— Tu penses qu’on a bien fait ? demanda Malia, adossée au mur de la chambre.Aydan, occupé à monter un lit à barreaux, répondit sans se retourner :— On ne fuit pas. On avance.— Mais si on laisse les autres gagner du terrain pendant qu’on se cache…Il releva les yeux vers elle.— Alors on les forcera à venir là où on les attend.•Le soir, Malia relut ses propres notes.
Le ciel avait pris des teintes pastels. Dans la chambre silencieuse, seule la respiration régulière de Liora brisait l’immobilité.Malia, emmitouflée dans un pull trop large, tenait dans ses mains le petit carnet noir que Charles lui avait laissé.Jusqu’ici, elle l’avait ignoré. Repoussé. Oublié volontairement.Mais quelque chose, ce matin-là, l’appelait.Un instinct.Ou une peur.•Assise près de la fenêtre, elle ouvrit enfin la première page.Une écriture fine, presque élégante.Les premières lignes semblaient anodines.« Avril 2014. Lancement d’un nouveau programme éditorial. Objectif : recruter des plumes marginales, des esprits affûtés. »Puis, très vite, un changement de ton :« Il m’a approchée en 2015. Le docteur A. Deveraux. Il cherchait une collaboratrice discrète, intelligente, sans attaches. Je ne savais pas alors que j’allais signer pour un projet de manipulation humaine. »