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Chapitre 4 – Le sang des mensonges

Author: Déesse
last update Last Updated: 2025-06-20 16:47:44

Lyra

Le quartier pue la résignation.

Les murs suintent le renoncement. Lépreux, couverts de moisissures et de souvenirs oubliés. Les vitres sont barricadées, les toits pleurent une pluie acide. Tout semble sur le point de s’écrouler, mais rien ne tombe. Ce quartier est un mensonge qui tient debout par habitude. Comme ma famille.

À chaque pas, mes talons s’enfoncent dans un bitume fissuré, gorgé d’eau stagnante.

Les flaques puent la rouille et l’humiliation.

Un chat famélique traverse ma route en crachant. Il me ressemble trop.

Je monte les marches de l’immeuble, lentement, comme on gravit un échafaud.

L’odeur de friture rance, de linge moisi, de colère figée m’agrippe la gorge. Chez nous, l’air est lourd. Il ne circule pas.

Rien ne respire ici.

Rien ne grandit.

Même pas l’amour.

J’ouvre la porte. Elle grince comme toujours. Elle gémit, comme si elle savait ce qui m’attend.

Cassandre est là.

Reine de pacotille sur son trône éventré, jambes croisées, tasse de café en main, le regard planté dans le vide.

Les cheveux emmêlés, le maquillage effacé.

Et pourtant, toujours ce mépris sur les lèvres, comme un rictus figé.

Quand elle me voit, elle se redresse. Son masque se recompose aussitôt, venimeux.

— Où étais-tu hier ? crache-t-elle. Tu n’es pas rentrée ! T’as dû finir avec ce type sauvage, hein ? Comme une pute sans lendemain !

Sa voix m’éclate dans le crâne.

Avant, je me serais tue.

Avant, j’aurais baissé les yeux.

Avant… j’aurais demandé pardon, même sans avoir rien fait.

Mais plus maintenant.

Je m’avance.

Je n’hésite pas.

Ma main part.

La gifle claque, nette. Brutale.

Cassandre recule sous l’impact, comme soufflée par une bourrasque.

Elle perd l’équilibre. Tombe sur le sol crasseux dans un gémissement étranglé.

Et moi… je sens une chaleur me traverser. Une certitude.

Je ne suis plus la petite sœur docile.

Je suis la fille qu’ils n’ont jamais su aimer.

Elle tente de se relever. Mais ma rage explose. Je la frappe encore, pas comme une sœur. Comme une vérité qu’on a piétinée trop longtemps.

Elle hurle, se protège le visage, recule en pleurant, rampant vers le buffet.

— Espèce de tarée ! Tu vas me casser la mâchoire. 

— Je t’aurais déjà brisée si j’étais comme toi, je crache. Mais moi, je frappe pour la vérité. Pas pour soumettre.

Les pas précipités dans le couloir.

Nos parents adoptifs déboulent dans le salon.

Ma mère, en peignoir rose passé, les cheveux en bataille.

Mon père, le visage rouge de rage, les poings déjà levés.

— Lyra ! rugit-il. Tu es malade ?! Comment tu peux frapper ta sœur ? Comment peux-tu…

Je le fixe.

Son regard glisse sur moi sans jamais s’accrocher.

Comme d’habitude.

— Tu m’as jamais regardée comme ta fille, dis-je. Juste comme un poids de plus. Une erreur de plus à supporter.

Cassandre se redresse lentement. La joue en feu, les yeux noyés de haine.

— Sale ingrate ! crie-t-elle. Bâtarde ! Nous t’avons adoptée et voilà comment tu nous remercies ? Tu devrais nous lécher les pieds pour chaque repas qu’on t’a donné !

Le mot tombe.

Adoptée.

Il explose dans ma tête comme une bombe au napalm.

Je n’ai même pas le temps d’en douter.

Tout s’aligne.

Tout.

La distance. Les regards. Les silences. L’indifférence. La honte qu’ils ont toujours eue de moi.

Adoptée.

Je chancelle.

Je regarde ma mère, non, cette femme  et je lis dans ses yeux la panique de celle qui a trop menti.

Je regarde mon père, ce mur froid  et il détourne le regard.

Ils savaient que je le découvrirais un jour.

— C’est donc pour ça… je murmure, la voix brisée. Pas étonnant que vous m’ayez toujours traitée comme une servante.

Le silence devient acide.

Je recule.

Mais mes mots continuent de couler, comme du poison trop longtemps contenu.

— Vous m’avez élevée avec rancœur. Pas avec amour. Vous m’avez tolérée. Supportée. Jamais aimée. Mais c’est fini. Je vais vous rembourser. Chaque repas. Chaque vêtement. Chaque foutue seconde que j’ai passée ici. Parce qu’à partir d’aujourd’hui… je ne fais plus partie de votre famille.

La sonnette . Brutale.

Comme un cœur qu’on redémarre à coup d’électricité.

Tous se figent.

Je me tourne lentement.

J’ouvre.

Et là…

Sur le palier, deux silhouettes.

Une femme élégante, en manteau beige, les cheveux relevés en un chignon parfait, les yeux pleins de larmes.

Un homme droit comme une lame, rigide dans son costume.

Derrière eux, deux gardes du corps. Une berline noire étincelle devant l’immeuble.

La femme me regarde comme on retrouve la lumière après des années de nuit.

Et soudain, elle m’enlace.

— Ma chérie… tu as tant souffert…

Je reste figée.

Ses bras sont inconnus.

Mais ils ne mentent pas.

Ils sont chauds. Infiniment doux.

Je sens son cœur battre contre ma joue.

Cassandre surgit derrière moi.

— Vous vous trompez de personne ! hurle-t-elle.

Mais la femme recule. Elle me regarde dans les yeux.

— Non, murmure-t-elle. Nous cherchons notre fille depuis des années.

Je reste muette. Mon monde s’effondre.

L’homme s’approche, la voix tremblante.

— Tu t’appelais Liora. Tu avais trois ans. Tu t’es perdue un dimanche, au parc. Ta nounou t’a prise. Elle a disparu. Et toi aussi… Tu étais trop petite pour dire ton nom. Trop jeune pour te souvenir.

Il sort une photo.

Une petite fille. Robe blanche. Boucles brunes.

Un grain de beauté sur le bras.

La femme me prend la main, retrousse la manche.

Le même.

Exactement au même endroit.

Je vacille.

Ma gorge se serre.

Ma poitrine explose.

Je me retourne.

Je vois Cassandre, pâle comme la mort.

Mes parents adoptifs, paralysés.

Ils savaient.

— Tu es ma fille, dit-elle.

Et elle m’ouvre les bras.

Je m’effondre contre elle.

Je pleure.

Vraiment.

Pas des larmes de rage.

Pas de honte.

Pas de solitude.

Des larmes que je n’avais plus le droit de verser depuis l’enfance.

Elle me serre fort.

Et je sens… un mot que je n’avais jamais connu.

Chez moi.

Cassandre

Je suis restée là, sur le sol, les joues en feu, les poings fermés, les mâchoires serrées à m’en faire saigner les gencives. Tout tourne en boucle dans ma tête.

La gifle.

Le regard de Lyra.

Celui qu’elle ne m’avait jamais lancé avant. Un regard de mépris. De rupture. De vérité.

Et puis cette femme. Sortie d’un rêve. Ou d’un cauchemar.

Habillée comme dans les magazines que je feuillette pour me faire mal. Perles, chignon parfait, parfum de richesse.

Et Lyra.

Cette Lyra.

Dans ses bras.

Je serre les dents.

Non.

Ça ne peut pas finir comme ça. Pas comme ça.

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