LOGINReine
Le jour se lève, gris et lourd. Je suis épuisée. Mes nuits sont peuplées de lui. Pas de ses mots acérés, non. Mais de son corps. Cette image est gravée au fer rouge derrière mes paupières closes : la silhouette sculptée de Gabriel se découpant contre la lumière du couloir, les muscles de son dos tendus sous son simple t-shirt, cette façon animale qu’il a d’occuper l’espace.
Je me retourne dans le lit, le regard posé sur Richard qui dort paisiblement à mes côtés. Son souffle est régulier, rassurant. Mon mari. Un homme bon. Et moi, allongée près de lui, je brûle pour son fils. Une chaleur coupable et humide me parcourt l’aine rien qu’en repensant à la façon dont Gabriel m’a regardée hier soir dans la cuisine. Comme une proie. Comme une femme.
Je me lève, le sol froid sous mes pieds nus. Dans la salle de bains, je m’asperge le visage d’eau glacée. Ça ne suffit pas. La sensation de son souffle sur mon cou est toujours là, tenace. Je vois ses mains, ces mains larges aux veines saillantes, et je me demande comment elles se poseraient sur ma peau. Brutales ? Ou d’une douceur surprenante ?
— Non.
Le mot s’échappe de mes lèvres dans un murmure rauque. Je me regarde dans le miroir. Mes joues sont rouges, mes yeux brillent d’un éclat que je ne leur connais pas. Je me dégoûte.
— C’est ton fils. Le fils de ton mari. Ce n’est pas normal.
Je me gifle intérieurement. La honte me cingle le visage, plus violente qu’une vraie gifle. C’est une trahison. Une perversion. Richard mérite mieux que ça. Il mérite une épouse, pas une… pas ça. Je ferme les yeux, serrant le bord du lavabo si fort que mes jointures blanchissent. Mais l’image revient, plus forte. Son torse, deviné sous le coton de son t-shirt. L’ombre de ses abdominaux. La courbe sensuelle de sa bouche lorsqu’il sourit de ce sourire cynique qui me met en rage… et autre chose.
La journée est un supplice. Chaque bruit qu’il fait est une torture délicieuse. Le son de ses pas dans l’escalier. Le claquement de la porte du frigo. Sa voix dans le salon lorsqu’il parle au téléphone, cette voix grave qui semble caresser l’air.
Nous déjeunons. Richard est là, heureux, bavard. Moi, je me tais. Je sens le regard de Gabriel sur moi, pesant. Je fixe mon assiette, je compte les motifs de la nappe. Tout sauf lui.
— Reine ? Tu es sûre que ça va ? Tu es toute pâle, s’inquiète Richard.
— Oui, oui. Juste un peu fatiguée.
— Elle a peut-être passé une mauvaise nuit, lance Gabriel, le ton faussement concerné. À rêver de choses qui la tourmentent, sans doute.
Mes yeux se lèvent malgré moi et rencontrent les siens. Il sait. Je vois dans son regard une lueur de défi, de complicité malsaine. Il sait que j’ai pensé à lui. Il joue avec moi. Et la partie la plus terrifiante, c’est que je veux jouer aussi.
Je me lève si brusquement que ma chaise grince sur le carrelage.
— Excusez-moi. J’ai… j’ai oublié de passer un coup de fil important.
Je fuis. Je fuis vers le jardin, vers l’air libre, mais son parfum imaginaire me poursuit. Je m’arrête au milieu des rosiers, le cœur battant la chamade, les mains tremblantes. Je respire à fond, essayant de chasser son image, la sensation de lui.
Mais c’est pire. Les yeux fermés, je le vois plus distinctement. Je l’imagine s’approchant de moi, ici, parmi les roses. Je l’imagine poussant mes cheveux pour dégager mon cou. Je l’imagine penchant sa tête, ses lèvres effleurant ma peau…
Mon estomac se serre, un mélange nauséeux de désir et de honte. Je me hais. Je hais mon corps qui me trahit, mon esprit qui m’embrasse. C’est mal. C’est immoral. C’est dangereux.
Mais alors pourquoi, au plus profond de moi, cette attirance maladive brûle-t-elle avec l’intensité d’un soleil noir ? Pourquoi chaque fibre de mon être crie-t-elle son nom dans le silence de mon âme ?
Je rentre dans la maison, déterminée à l’éviter, à éteindre ce feu. Je monte l’escalier, et au moment où je passe devant la porte de sa chambre, entrouverte, je l’aperçois. Il est debout, torse nu, en train de se passer une serviette sur la nuque. Son dos est une carte de muscles saillants, de peau dorée tendue sur des épaules larges. La serviette glisse le long de sa colonne vertébrale…
Je détourne les yeux aussitôt, mon sang battant à mes tempes, et je me précipite dans ma chambre, verrouillant la porte derrière moi comme si le Diable en personne était à mes trousses.
Et peut-être qu’il l’est. Peut-être que le Diable a les yeux noisette et qu’il habite sous le toit de mon mari.
ReineLa nuit est un linceul humide et chaud, enveloppant la maison dans une étreinte étouffante. À côté de moi, Richard dort, son souffle calme et régulier scandant le silence. Chaque expiration paisible creuse un peu plus l'abîme entre nous. Moi, je brûle. Je suis un volcan de silence, la peau en feu, les sens électrifiés, chaque pore de mon corps hurlant un besoin coupable. L'image de Gabriel dans le couloir du restaurant est gravée au fer rouge derrière mes paupières closes. Son regard sombre et intense qui me déshabillait, ses mots qui résonnent encore en moi comme une promesse sacrilège.« Tu le sais pourquoi, Reine. Tu le sens, tout comme moi. »Mon Dieu, oui, je le sens. Je le sens dans la moiteur de mes draps qui collent à ma peau, dans le pouls affolé qui bat au creux de mon ventre, dans cette chaleur liquide et insistante qui s'étend entre mes cuisses, lourde de promesses interdites. C'est une obsession, une fièvre qui a colonisé mon sang, brûlant tout sur son passage : la
ReineQuelque chose a changé. Quelque chose de profond, de déstabilisant. Gabriel ne me regarde plus avec cette haine glacée qui me transperçait. Son mépris a fondu, laissant place à autre chose, une attention brûlante, presque insoutenable. Il ne me lance plus de piques, mais des regards qui me déshabillent lentement, posément. Il ne me provoque plus, il m’encercle.Et le pire, c’est que mon corps, mon âme traîtresse, répond à ce changement. Là où je devrais me sentir en danger, je me sens… vivante. Electrifiée.Ce matin, alors que je descendais l’escalier, il était en bas, m’attendant. Il ne m’a rien dit. Il a juste tendu la main, paume ouverte, pour me donner la clé USB que j’avais laissée sur la table du salon la veille. Un simple geste. Mais nos doigts se sont effleurés, et l’étincelle a été si violente que j’ai cru qu’il devait l’entendre crépiter dans l’air.— Merci, ai-je murmuré, la voix étranglée.— Je fais attention à toi, maintenant, a-t-il répondu, sa voix un velours rugu
GabrielLa décision s’impose à moi avec la clarté froide d’une lame. Cette tension qui m’obsède, ce désir qui me ronge, je vais en faire une arme. Mon père refuse de voir la vérité en face ? Très bien. Je vais la lui mettre sous les yeux. Je vais démasquer cette comédienne, lui arracher son masque d’épouse dévouée et révéler l’opportuniste qui se cache en dessous. La séduire. La faire craquer. Prouver à mon père qu’elle n’est pas fiable, qu’elle n’est pas sincère, qu’elle est capable de le tromper avec son propre fils.C’est la meilleure solution. La seule. Cela justifie tout. Cela justifie l’attention maladive que je lui porte, les plans que je tisse dans l’ombre. Cela justifie le battement de pouls précipité qui m’envahit quand elle entre dans une pièce. C’est pour une bonne cause. Une cause familiale.Je deviens un stratège. Un chasseur.Je choisis mes vêtements avec un soin particulier. Un jean qui m’épouse, un t-shirt qui laisse deviner les muscles de mes bras et de mon torse. Je
GabrielElle croit que je ne la vois pas. Elle croit que ses regards furtifs, ses joues qui s’empourprent quand j’entre dans une pièce, sont des secrets bien gardés. Reine. Un nom de reine pour une femme qui se cache derrière le rôle fade d’épouse modèle.Mon père est assis dans son fauteuil, et elle est posée sur le bras du siège, comme un accessoire. Sa main est posée sur son épaule. Une main fine, aux doigts élégants. Je devine la douceur de sa peau, et l’idée que cette même main effleure la chemise de mon père me donne une envie soudaine de briser quelque chose.Pourquoi est-elle avec lui ?La question me ronge depuis le premier jour. Regardez-la. Vraiment. Regardez la façon dont elle se tient, cette fierté dans son port de tête, même quand elle baisse les yeux. Regardez l’intelligence qui brille dans son regard, une intelligence qu’elle étouffe lors des dîners pour ne pas paraître trop vive. Elle est trop jeune, trop vibrante, trop… belle. D’une beauté qui n’a pas besoin de fard,
ReineLe jour se lève, gris et lourd. Je suis épuisée. Mes nuits sont peuplées de lui. Pas de ses mots acérés, non. Mais de son corps. Cette image est gravée au fer rouge derrière mes paupières closes : la silhouette sculptée de Gabriel se découpant contre la lumière du couloir, les muscles de son dos tendus sous son simple t-shirt, cette façon animale qu’il a d’occuper l’espace.Je me retourne dans le lit, le regard posé sur Richard qui dort paisiblement à mes côtés. Son souffle est régulier, rassurant. Mon mari. Un homme bon. Et moi, allongée près de lui, je brûle pour son fils. Une chaleur coupable et humide me parcourt l’aine rien qu’en repensant à la façon dont Gabriel m’a regardée hier soir dans la cuisine. Comme une proie. Comme une femme.Je me lève, le sol froid sous mes pieds nus. Dans la salle de bains, je m’asperge le visage d’eau glacée. Ça ne suffit pas. La sensation de son souffle sur mon cou est toujours là, tenace. Je vois ses mains, ces mains larges aux veines sailla
ReineLe grondement du moteur d'une voiture qui s'arrête devant la maison me fait sursauter. Je m'éloigne de la fenêtre de la cuisine, essuyant mes mains encore humides sur mon jean. Richard a dit qu'il arriverait aujourd'hui. Il a dit « mon fils », avec cette fierté teintée d'une pointe d'inquiétude dans la voix. Il ne m'a pas dit « prépare-toi à un ouragan ».Je les entends dans l'entrée. La voix douce et chaleureuse de mon mari, et une autre, plus grave, plus tranchante, qui répond par monosyllabes. Mon cœur bat un peu trop vite. Ce n'est que pour l'été, me rappelé-je. Trois mois. Je peux survivre à trois mois.Quand je les rejoins, la scène est déjà figée. Richard, souriant, un bras tendu vers moi.— Reine, voici Gabriel. Gabriel, voici Reine.Le jeune homme se détache de l'encadrement de la porte, et le soleil de juin semble pâlit à côté de l'intensité de son regard. Il a les yeux de son père, cette même couleur noisette, mais là où ceux de Richard sont doux, les siens sont des s