Clara
Je devrais m’enfuir.
Je devrais tourner les talons et rejoindre ma cellule avant que tout ne bascule.
Mais je reste.
Raphaël est trop proche. Trop intense. Trop dangereux.
Son regard est une menace douce, une promesse silencieuse d’un monde où la vertu n’a pas sa place.
Et pourtant, il ne me touche pas.
Il attend.
Comme un chasseur face à une proie qui hésite encore à fuir.
Je retiens mon souffle.
Ma peau brûle sous son regard.
« Vous tremblez, ma sœur. »
Sa voix est un murmure, rauque et chargé de quelque chose que je refuse de nommer.
Je baisse les yeux, les poings serrés.
« Ce n’est pas ce que vous croyez. »
Un silence.
Puis un léger rire.
Un rire sans moquerie, mais empli d’une certitude qui me terrifie.
« Vous êtes sûre ? »
Je devrais répondre. Le repousser. Trouver une excuse, n’importe quoi pour briser ce moment.
Mais je n’y arrive pas.
Parce que je mens.
Je tremble parce qu’il est là.
Parce que son ombre me hante depuis le premier jour.
Parce que quelque chose en moi se brise à chaque seconde où je soutiens son regard.
Il le sait.
Et moi, je me déteste de lui offrir cette vérité.
Raphaël s’approche encore, jusqu’à ce que je sente la chaleur de son corps.
Je me raidis.
S’il me touche, je suis perdue.
Raphaël
Elle est magnifique ainsi.
Immobilisée par un désir qu’elle refuse d’accepter.
Un feu brûle en elle, et je le vois.
Elle lutte encore, s’accrochant à ses principes comme une noyée à une épave.
Mais les épaves coulent.
Toujours.
Je l’observe, laissant mon silence peser entre nous.
Elle est si pure dans son trouble, si naïve dans sa résistance.
Je pourrais la briser.
Lui arracher sa foi d’un seul baiser.
Mais ce serait trop simple.
Non.
Je veux qu’elle choisisse sa chute.
Qu’elle vienne à moi de son plein gré.
Alors, je recule d’un pas.
Je vois la lueur de surprise dans ses yeux.
Elle s’attendait à ce que je la pousse au bord du précipice.
Mais je suis patient.
Les âmes comme la sienne ne se conquièrent pas par la force.
Elles se consument lentement.
Je plonge mon regard dans le sien, un sourire en coin.
« Vous devriez rentrer, Clara. »
Je prononce son prénom sans détour, savourant la façon dont il roule sur ma langue.
Elle tressaille.
Son trouble est un spectacle fascinant.
Mais elle reste silencieuse.
Alors je continue.
« Si vous restez plus longtemps, je finirai par croire que vous ne voulez pas partir. »
Elle ouvre la bouche, puis la referme aussitôt.
Elle cherche une réponse.
Une justification.
Mais il n’y en a pas.
Alors elle fait la seule chose qui lui reste.
Elle tourne les talons et disparaît dans la nuit.
Je la regarde s’éloigner.
Son pas est rapide, nerveux.
Mais elle reviendra.
Parce que le poison est déjà en elle.
Et qu’il n’y a pas d’antidote.
Clara
Je ferme violemment la porte derrière moi, le souffle court.
Mon cœur bat si fort qu’il cogne contre mes côtes.
Dieu m’éprouve.
C’est la seule explication.
Pourquoi lui ?
Pourquoi cet homme, ce hors-la-loi, ce monstre de violence et de péché, me trouble-t-il autant ?
Je me laisse tomber à genoux, priant à voix basse, les mains tremblantes.
Mais je ne ressens rien.
Pas de paix. Pas de réconfort.
Juste le fantôme de son regard.
L’ombre de son sourire.
Et cette fièvre qui refuse de s’éteindre.
Je passe la nuit éveillée, les yeux ouverts sur le vide.
Mais au matin, une seule vérité s’impose à moi.
Je veux comprendre Raphaël.
Je dois comprendre.
Même si cela signifie me perdre dans l’obscurité.
Clara
Le jour se lève sur Poudain-Bassé dans un silence étouffant.
J’ai prié toute la nuit.
Ou du moins, j’ai essayé.
Mais chaque mot que je murmurais me paraissait creux, vidé de son sens.
Ce n’était pas Dieu que je voyais dans mes pensées.
C’était lui.
Raphaël.
Son regard sombre. Son sourire provocateur. La chaleur qu’il dégageait, si proche de moi hier soir.
Je devrais le haïr.
Je devrais le craindre.
Mais ce n’est ni la peur ni la haine qui nouent mon estomac.
C’est autre chose.
Un poison qui coule dans mes veines, insidieux et brûlant.
Je me lève avec un soupir. Il faut que je m’occupe l’esprit.
L’hospice est calme lorsque je traverse les couloirs étroits, mes pas résonnant sur le sol de pierre. J’entends les sœurs chuchoter dans la pièce commune. Elles savent.
Elles ont vu mon trouble hier soir.
Et elles ont peur.
De moi.
Ou de ce qu’il pourrait me faire.
Je serre les poings et accélère le pas.
Il faut que je sorte.
Il faut que je respire.
L’air frais du matin m’accueille avec une morsure glaciale. L’automne approche, et avec lui, le vent porte une odeur de terre humide et de bois brûlé.
Je longe la rue principale, évitant les regards curieux des villageois.
Ils ne m’aiment pas.
Ils tolèrent ma présence, mais je suis une étrangère ici.
Une anomalie.
Ils savent que je ne leur appartiens pas.
Pas encore.
Et pourtant, je marche droit vers le seul endroit où je ne devrais jamais aller.
Vers lui.
Raphaël
Je la vois approcher avant même qu’elle ne me remarque.
Elle marche vite, le regard baissé, comme si elle tentait de fuir quelque chose d’invisible.
Mais elle vient à moi.
Encore.
Un sourire effleure mes lèvres.
Je l’attendais.
Appuyé contre un vieux mur de pierre, les bras croisés, je la regarde s’arrêter à quelques pas.
Elle inspire profondément, comme pour se donner du courage.
« Vous ne priez pas, ce matin ? »
Ma voix est douce, moqueuse.
Elle tressaille.
« J’ai déjà prié. »
Je hausse un sourcil.
« Et
vous avez trouvé vos réponses ? »
Elle ne répond pas tout de suite.
Je vois la lutte dans ses yeux.
Elle veut croire qu’elle a encore le contrôle.
Mais elle sait que c’est un mensonge.
Je pousse doucement du pied une vieille chaise à côté de moi.
« Asseyez-vous. »
ClaraJe m’assois à ses côtés, mon cœur encore battant sous l'effet de nos baisers. Le silence entre nous est lourd, mais agréable, comme un voile tissé de mille promesses et d’aveux muets. Ses bras sont autour de moi, et je me sens protégée, mais aussi vulnérable. Il n'y a plus de frontières entre nous, plus de barrières. Il y a juste lui et moi, ici, maintenant. Et c'est tout ce dont j'ai besoin.Le monde extérieur n'a plus d'importance. Les enjeux, les doutes, tout ce qui a pu peser sur nos épaules, sur nos cœurs, semble s'être dissipé. Mais il reste quelque chose, un sentiment nouveau, plus fort que tout. Un écho au fond de moi, une certitude qui s'installe doucement, mais fermement : peu importe ce qui arrivera, je n’aurai aucun regret. Parce que je choisis cet amour. Parce que je choisis lui.Raphaël (la voix douce, légèrement hésitante) « Clara… Tu sais, tout ça… Ce n’est pas facile. »Je sens sa gêne, ce fardeau qu’il porte encore, celui de ne pas savoir comment tout cela va f
ClaraIl y a des moments où le temps semble suspendu. Des instants où l’on croit qu’on pourrait vivre éternellement dans une bulle, à l’abri des tempêtes, où l’on trouve enfin la paix au milieu du chaos. Ce moment, celui que nous vivons, me fait penser à cela. Le silence lourd de la pièce, nos corps enlacés, comme deux âmes qui se sont enfin retrouvées après une vie entière de séparation.Raphaël est là, tout contre moi. Ses bras sont autour de moi, son souffle régulier, mais je sens son cœur battre, un peu plus fort, un peu plus lourd, comme s’il cherchait à se perdre dans le mien. Je ferme les yeux, savourant cette proximité, ce réconfort que j’avais oublié, ou que je ne pensais jamais connaître. Il m’a appris à aimer sans réserve, à me donner sans crainte, à m’abandonner sans peur.C’est étrange, cette paix. Elle contraste tellement avec le tumulte qui a précédé, avec la violence des désirs refoulés, les non-dits qui nous ont emprisonnés, les peurs qui nous ont rendus vulnérables.
ClaraLes ombres dans la chambre dansent au rythme de notre souffle. Il est là, si proche, à portée de ma peau, et pourtant, quelque chose dans l’air nous sépare encore, invisible, impalpable, mais tout aussi présent. Ses yeux, comme des braises, brûlent la mienne, et je sens que l’air autour de nous devient lourd, chargé de cette tension indéfinissable. Il ne bouge pas, il attend. Pas de gestes brusques, pas de mots inutiles. Juste l’attente, l’intensité du silence qui parle plus fort que tout.Raphaël (la voix basse, troublée) « Clara… »Je frémis en entendant mon nom sortir de ses lèvres. Il a ce pouvoir, celui de me faire vaciller avec un seul mot. Mon cœur s’emballe, tout comme mon esprit. Une partie de moi veut résister, repousser cette attraction, ce désir fulgurant qui m’envahit à chaque instant. Mais une autre, plus forte, me pousse à le rejoindre, à céder, à me perdre dans cette passion dévorante.Je ferme les yeux, une fraction de seconde, et tout ce que je perçois, c’est l
ClaraJe ferme les yeux, mais même dans l’obscurité, il est là, dans chaque souffle que je prends, dans chaque pulsation qui bat dans mes veines. C’est comme si la chaleur de sa présence ne me quittait plus, comme si l’air autour de moi, devenu trop lourd, portait encore l’empreinte de sa peau. Raphaël. L’homme qui ne me laisse aucun répit, l’homme qui me consume sans même me toucher. Pourtant, je le sens, comme un incendie doucement attisé à chaque regard qu’il pose sur moi, chaque mot qu’il prononce.Ses bras m’entourent, un lien qui ne m'étouffe pas, mais qui me marque. Il n’y a pas de violence dans son étreinte, pas de brutalité. Seulement une douceur, presque impudique, et une urgence qui naît du besoin de fusionner. Nous sommes dans cette chambre où le monde extérieur semble n’avoir plus aucune emprise sur nous. Chaque mur semble se refermer lentement, comme un cocon qui, au lieu de nous protéger, nous emprisonne. Et dans cet espace clos, je deviens sa proie, mais une proie cons
ClaraLa lumière du matin s'immisce à peine à travers les rideaux, caressant la chambre d’un éclat timide. À peine perceptible, elle frôle les contours des meubles, mais ici, dans cet espace clos, elle n'atteint pas la profondeur de l’ombre qui s’y trouve. Il y a un décalage. Un monde entre l'éveil et le sommeil, entre la clarté et l'obscurité, un équilibre précaire où le temps semble suspendu. Et dans ce monde à mi-chemin, mon esprit erre, une marionnette sans fil, pris dans la lourdeur d’une question qui ne cesse de me hanter.Raphaël repose à mes côtés, mais même endormi, je sens l’omniprésence de son ombre. Ce n’est pas la simple ombre d’un homme qui sommeille, non. C’est l’ombre d’un monde qui, peu à peu, envahit ma réalité, que je l’accepte ou non. C’est un poids, un fardeau silencieux, une présence qui s’impose bien plus que je ne pourrais le souhaiter. Et pourtant, c’est cette ombre qui m’attire, qui m’aspire.Je me redresse avec une lenteur délibérée, mes muscles encore engou
ClaraIl dort encore. Pour une fois.Son souffle est lent. Régulier. Comme si, dans le chaos qu’est sa vie, ce lit était le seul lieu où il pouvait tomber les armes. Où je pouvais l’atteindre. Où la violence du monde ne le mordait pas.Je le regarde longtemps, les jambes repliées sous moi, comme si je tentais de me rappeler chaque ligne de son visage. Il a l’air paisible. Fragile presque. Si fragile que j’en oublie qu’il est capable de commander la mort d’un homme d’un simple signe de tête.Je me lève sans bruit. Mes pieds nus glissent sur le parquet froid. Je ne veux pas le réveiller. Pas encore. Je veux être seule avec mes pensées, même si je les crains.Je me glisse dans la salle de bains, referme la porte. L’eau coule, tiède. Elle efface les traces de la nuit, mais pas celles du doute.Je m’observe dans le miroir. Les cernes sous mes yeux. Le creux dans mes joues. Mon corps est marqué par l’amour comme par la guerre. Parce qu’avec lui, c’est la même chose.Et je me demande.Est-ce