Raphaël
Elle hésite.
Mais après un instant, elle s’assied lentement, gardant ses mains jointes sur ses genoux comme une prière silencieuse.
Je la regarde un moment.
Elle est belle.
D’une beauté simple, austère.
Mais il y a autre chose en elle.
Une force qu’elle ignore encore.
Et une faiblesse qu’elle refuse d’admettre.
« Pourquoi êtes-vous ici, Clara ? »
Sa gorge se serre.
Elle détourne les yeux.
« Je veux comprendre. »
Je souris lentement.
« Comprendre quoi ? »
Elle prend une inspiration tremblante.
Puis elle me regarde enfin.
« Pourquoi vous êtes comme ça. »
Je ne m’attendais pas à cette réponse.
Mon sourire s’efface légèrement.
Je me redresse, posant les coudes sur mes genoux.
« Comme quoi ? »
Elle hésite, cherchant ses mots.
« Froid. Violent. Sans remords. »
Un rire sans joie m’échappe.
« Vous croyez que c’est un choix ? »
Elle fronce les sourcils.
« Tout est un choix. »
Je secoue lentement la tête.
« Pas toujours. »
Je vois la curiosité briller dans ses yeux.
Elle veut savoir.
Elle veut fouiller dans les ténèbres que je porte.
Elle ne comprend pas encore que certaines vérités sont pire que les mensonges.
Je me lève lentement, marchant devant elle comme un fauve enfermé dans une cage invisible.
Puis je parle.
Pour la première fois, je lui parle de mon passé.
« J’avais dix ans quand j’ai compris que la vie ne pardonne rien. »
Elle ne bouge pas, suspendue à mes mots.
Je continue, ma voix basse et rauque.
« Mon père était un homme puissant. Craint. Respecté. Un monstre, aussi. Il ne connaissait que la force. »
Un silence.
« Un jour, il a décidé de tester la mienne. »
Mon regard se durcit, fixé sur un point invisible.
« Il m’a enfermé dans une cave avec un homme. Un inconnu. Attaché, blessé. Il m’a donné un couteau et m’a dit : ‘Si tu veux sortir d’ici, prouve-moi que tu es mon fils’. »
Clara retient son souffle.
Je ris doucement, mais le son est amer.
« J’ai tenu le couteau toute la nuit. J’étais un gamin, terrorisé. Je pleurais. »
Je me tourne vers elle, capturant son regard.
« Le matin venu, mon père est descendu. Il a secoué la tête et a dit : ‘Trop faible’. »
Je marque une pause.
Puis je lâche la vérité.
« Alors j’ai pris le couteau. Et j’ai prouvé que j’étais son fils. »
Clara pâlit.
Ses lèvres s’entrouvrent, mais aucun mot n’en sort.
Je me penche légèrement vers elle, la forçant à affronter ce que je suis.
« Vous vouliez comprendre, ma sœur. Maintenant, vous comprenez. »
Elle secoue la tête, la gorge serrée.
Je vois l’horreur dans ses yeux.
Mais aussi autre chose.
Une compassion qui me met en rage.
Je me redresse brutalement, serrant les
Clara
Le vent siffle entre les ruelles de Poudain-Bassé, soulevant des volutes de poussière et d’odeurs rances. L’odeur du vice et du péché, celle qui imprègne les murs de ce quartier où je n’aurais jamais dû mettre les pieds.
Et pourtant, j’avance.
Les enseignes grincent sur leurs gonds, les rires gras et les chuchotements s’échappent des ombres, me rappelant que je ne suis pas à ma place. Une femme passe près de moi, ses jupons effleurant ma robe, et me jette un regard moqueur.
Je n’appartiens pas à ce monde.
Mais lui, oui.
Le bâtiment devant moi est plus qu’une taverne. C’est un repaire, une forteresse de perdition où se joue une autre loi que celle de Dieu.
Le "Corbeau Noir".
C’est là qu’il se trouve.
Là qu’il règne.
Je pousse la porte d’un geste hésitant.
L’intérieur est sombre, enfumé. L’air est épais d’alcool et de sueur. Partout, des hommes avachis sur des tables jouent aux cartes, des femmes se pressent contre eux, et au fond, derrière un comptoir de bois brut…
Raphaël.
Il est là.
Un verre à la main, sa silhouette paresseusement appuyée contre le bar, comme s’il possédait cet endroit. Et c’est peut-être vrai.
Il lève les yeux et me voit.
Son sourire s’étire lentement.
Je ne bouge pas.
Je ne sais même pas pourquoi je suis venue.
Je n’ai plus de raison.
Seulement ce besoin insensé d’être là.
Lui. Moi. Ce lien qui n’a aucun sens.
Il pose son verre et s’avance vers moi, ignorant les regards curieux autour.
« Sœur Clara, dans mon humble établissement… Un miracle. »
Sa voix est un murmure moqueur, mais ses yeux disent autre chose.
Je serre les mains devant moi.
« Je veux savoir. »
Il arque un sourcil.
« Savoir quoi ? »
Je cherche mes mots.
Mais je n’en ai pas.
Il sourit, amusé.
« Vous êtes venue dans mon antre sans savoir ce que vous cherchez ? »
Il fait un pas vers moi.
« Ou bien, au fond, vous le savez très bien ? »
Mon cœur tambourine dans ma poitrine.
Il est trop proche.
Trop sûr de lui.
Mais je refuse de reculer.
« Ce lieu… Il vous appartient ? »
Son sourire s’efface légèrement.
Il sait où je veux en venir.
« J’y fais ce que j’ai à faire. »
« Qui êtes-vous ici, Raphaël ? »
Il me jauge, son regard devenant plus froid.
« Le diable, aux yeux de certains. Un simple homme d’affaires, aux yeux d’autres. »
« Et à mes yeux ? »
Un silence.
Puis il murmure :
« Ça, c’est vous qui devrez le décider. »
Je sens une présence derrière moi. Un homme, grand, à la barbe mal taillée, nous observe avec un rictus.
« C’est quoi, ça, Raphaël ? Une nouvelle recrue ? »
Raphaël ne bouge pas, mais son regard s’assombrit.
« Fais attention à ce que tu dis. »
L’homme éclate de rire.
« Oh, j’oubliais. Notre cher maître des lieux a des goûts raffinés. Une nonne, vraiment ? »
Je sens mon sang se figer.
Mais avant que je puisse réagir, Raphaël l’attrape par le col et le plaque contre le mur.
Son regard est noir.
Glacé.
« Tu veux tester mes limites ? »
L’autre lève les mains, mi-amusé, mi-inquiet.
« Détends-toi, Raphaël. C’était juste une plaisanterie. »
Raphaël relâche sa prise d’un geste brusque.
Le silence s’est abattu dans la pièce.
Puis, lentement, tout reprend vie.
Il se tourne vers moi.
« Tu n’as rien à faire ici, Clara. »
Mais je ne pars pas.
Je reste, ancrée à ce sol qui n’est pas le mien.
Et lui, il me regarde avec cette frustration mêlée de quelque chose que je ne peux nommer.
« T
u ne partiras pas, n’est-ce pas ? »
Je secoue la tête.
Il soupire.
« Alors suis-moi. »
Et sans attendre, il disparaît dans l’ombre.
Je l’imite, traversant ce lieu interdit, franchissant une frontière invisible.
Vers lui.
Vers ce que je ne devrais jamais approcher.
ClaraJe m’assois à ses côtés, mon cœur encore battant sous l'effet de nos baisers. Le silence entre nous est lourd, mais agréable, comme un voile tissé de mille promesses et d’aveux muets. Ses bras sont autour de moi, et je me sens protégée, mais aussi vulnérable. Il n'y a plus de frontières entre nous, plus de barrières. Il y a juste lui et moi, ici, maintenant. Et c'est tout ce dont j'ai besoin.Le monde extérieur n'a plus d'importance. Les enjeux, les doutes, tout ce qui a pu peser sur nos épaules, sur nos cœurs, semble s'être dissipé. Mais il reste quelque chose, un sentiment nouveau, plus fort que tout. Un écho au fond de moi, une certitude qui s'installe doucement, mais fermement : peu importe ce qui arrivera, je n’aurai aucun regret. Parce que je choisis cet amour. Parce que je choisis lui.Raphaël (la voix douce, légèrement hésitante) « Clara… Tu sais, tout ça… Ce n’est pas facile. »Je sens sa gêne, ce fardeau qu’il porte encore, celui de ne pas savoir comment tout cela va f
ClaraIl y a des moments où le temps semble suspendu. Des instants où l’on croit qu’on pourrait vivre éternellement dans une bulle, à l’abri des tempêtes, où l’on trouve enfin la paix au milieu du chaos. Ce moment, celui que nous vivons, me fait penser à cela. Le silence lourd de la pièce, nos corps enlacés, comme deux âmes qui se sont enfin retrouvées après une vie entière de séparation.Raphaël est là, tout contre moi. Ses bras sont autour de moi, son souffle régulier, mais je sens son cœur battre, un peu plus fort, un peu plus lourd, comme s’il cherchait à se perdre dans le mien. Je ferme les yeux, savourant cette proximité, ce réconfort que j’avais oublié, ou que je ne pensais jamais connaître. Il m’a appris à aimer sans réserve, à me donner sans crainte, à m’abandonner sans peur.C’est étrange, cette paix. Elle contraste tellement avec le tumulte qui a précédé, avec la violence des désirs refoulés, les non-dits qui nous ont emprisonnés, les peurs qui nous ont rendus vulnérables.
ClaraLes ombres dans la chambre dansent au rythme de notre souffle. Il est là, si proche, à portée de ma peau, et pourtant, quelque chose dans l’air nous sépare encore, invisible, impalpable, mais tout aussi présent. Ses yeux, comme des braises, brûlent la mienne, et je sens que l’air autour de nous devient lourd, chargé de cette tension indéfinissable. Il ne bouge pas, il attend. Pas de gestes brusques, pas de mots inutiles. Juste l’attente, l’intensité du silence qui parle plus fort que tout.Raphaël (la voix basse, troublée) « Clara… »Je frémis en entendant mon nom sortir de ses lèvres. Il a ce pouvoir, celui de me faire vaciller avec un seul mot. Mon cœur s’emballe, tout comme mon esprit. Une partie de moi veut résister, repousser cette attraction, ce désir fulgurant qui m’envahit à chaque instant. Mais une autre, plus forte, me pousse à le rejoindre, à céder, à me perdre dans cette passion dévorante.Je ferme les yeux, une fraction de seconde, et tout ce que je perçois, c’est l
ClaraJe ferme les yeux, mais même dans l’obscurité, il est là, dans chaque souffle que je prends, dans chaque pulsation qui bat dans mes veines. C’est comme si la chaleur de sa présence ne me quittait plus, comme si l’air autour de moi, devenu trop lourd, portait encore l’empreinte de sa peau. Raphaël. L’homme qui ne me laisse aucun répit, l’homme qui me consume sans même me toucher. Pourtant, je le sens, comme un incendie doucement attisé à chaque regard qu’il pose sur moi, chaque mot qu’il prononce.Ses bras m’entourent, un lien qui ne m'étouffe pas, mais qui me marque. Il n’y a pas de violence dans son étreinte, pas de brutalité. Seulement une douceur, presque impudique, et une urgence qui naît du besoin de fusionner. Nous sommes dans cette chambre où le monde extérieur semble n’avoir plus aucune emprise sur nous. Chaque mur semble se refermer lentement, comme un cocon qui, au lieu de nous protéger, nous emprisonne. Et dans cet espace clos, je deviens sa proie, mais une proie cons
ClaraLa lumière du matin s'immisce à peine à travers les rideaux, caressant la chambre d’un éclat timide. À peine perceptible, elle frôle les contours des meubles, mais ici, dans cet espace clos, elle n'atteint pas la profondeur de l’ombre qui s’y trouve. Il y a un décalage. Un monde entre l'éveil et le sommeil, entre la clarté et l'obscurité, un équilibre précaire où le temps semble suspendu. Et dans ce monde à mi-chemin, mon esprit erre, une marionnette sans fil, pris dans la lourdeur d’une question qui ne cesse de me hanter.Raphaël repose à mes côtés, mais même endormi, je sens l’omniprésence de son ombre. Ce n’est pas la simple ombre d’un homme qui sommeille, non. C’est l’ombre d’un monde qui, peu à peu, envahit ma réalité, que je l’accepte ou non. C’est un poids, un fardeau silencieux, une présence qui s’impose bien plus que je ne pourrais le souhaiter. Et pourtant, c’est cette ombre qui m’attire, qui m’aspire.Je me redresse avec une lenteur délibérée, mes muscles encore engou
ClaraIl dort encore. Pour une fois.Son souffle est lent. Régulier. Comme si, dans le chaos qu’est sa vie, ce lit était le seul lieu où il pouvait tomber les armes. Où je pouvais l’atteindre. Où la violence du monde ne le mordait pas.Je le regarde longtemps, les jambes repliées sous moi, comme si je tentais de me rappeler chaque ligne de son visage. Il a l’air paisible. Fragile presque. Si fragile que j’en oublie qu’il est capable de commander la mort d’un homme d’un simple signe de tête.Je me lève sans bruit. Mes pieds nus glissent sur le parquet froid. Je ne veux pas le réveiller. Pas encore. Je veux être seule avec mes pensées, même si je les crains.Je me glisse dans la salle de bains, referme la porte. L’eau coule, tiède. Elle efface les traces de la nuit, mais pas celles du doute.Je m’observe dans le miroir. Les cernes sous mes yeux. Le creux dans mes joues. Mon corps est marqué par l’amour comme par la guerre. Parce qu’avec lui, c’est la même chose.Et je me demande.Est-ce
RaphaëlL’aube ne se lève pas vraiment sur New York.Ici, la lumière est artificielle.Les ombres aussi.Et la vérité se cache entre les reflets de verre et les silences des puissants.Clara dort encore. Le drap à peine tiré sur sa peau. Son souffle est calme.Trop calme. Comme si son corps avait compris ce que son esprit refusait d’admettre.Elle a vu. Elle sait.Et même si elle ne dit rien, même si elle prétend tenir bon, je l’ai vue trembler.Je suis devant la baie vitrée. Manhattan pulse en contrebas.Un empire sans couronne.Mais le mien.Construit à la sueur, au sang et à la peur.Le téléphone vibre. Une fois. Deux.Code noir.Mon pouce effleure l’écran. Un message codé.Une réunion improvisée.Un nom à effacer.Un accord à conclure.Un avertissement à formuler dans le langage qu’ils comprennent tous : la peur.Le monde ne s’arrête pas pour la douleur.Ni pour l’amour.Je me penche vers elle. Un instant. Son épaule nue. Son cou fragile.Je pourrais rester. Juste quelques seconde
RaphaëlL’aube perce à peine.Mais je suis déjà debout.Je l’observe. Nue, dans les draps défaits. Sa peau encore marquée par mes doigts. Ses lèvres entrouvertes, offertes à un rêve qu’elle ne finira pas.Et en moi, quelque chose gronde.Pas une hésitation. Une nécessité.Un message clignote sur l’écran du téléphone :QG. Crypté. Urgent.Mais ce matin, je ne suis pas seulement un roi de guerre.Je suis aussi un homme.Alors je m’habille lentement. Chemise noire, boutons d’argent. Pantalon sombre. Mon arme se loge à sa place, contre ma hanche. La veste tombe sur mes épaules. Et avec elle, le masque revient.Mais avant de sortir… je prends une enveloppe dans le coffre mural. Elle est fine. Précise. Légèrement froissée. Et contient tout ce qu’il faut.Je me tourne vers elle. Toujours endormie. Et pourtant, je sens que quelque chose en elle sait déjà.Alors je m’approche.ClaraJe me réveille en sentant que l’air a changé.Je tends la main. Vide.Puis le froissement d’un tissu. Un métal
ClaraIl ne parle pas tout de suite.Mais je le sens.Quelque chose a changé dans l’air. Un frémissement. Une fracture.Il marche dans la pièce comme un fauve blessé. Une énergie sombre l’enveloppe. Comme un orage prêt à éclater. Il ne me touche pas. Pas encore. Mais ses yeux me brûlent.Il s’arrête. Se tourne vers moi.Et là, son silence devient insoutenable.Raphaël(d’une voix basse, rauque)« Clara… j’ai besoin de toi. Mais pas… pas comme tu es. »ClaraJe le fixe, figée.Ces mots, simples, sont des coups. Je les sens s’enfoncer en moi, comme des éclats.Je reste droite. Mais à l’intérieur, tout vacille.Clara(à peine un murmure)« Qu’est-ce que tu dis… ? »Raphaël« Ce monde, le tien… tes croyances, ta lumière… Ce n’est pas moi. Tu le sais. Tu l’as toujours su. »Je baisse les yeux.Oui.Je le savais.Mais je n’avais jamais voulu le formuler. Pas comme ça. Pas à voix haute.Raphaël« Je ne peux pas te protéger si tu restes divisée. Si une partie de toi continue à croire en quelq