Chapitre 1

Pour la convaincre, l'homme a sorti son téléphone et a trouvé une photo. On y voyait Gaëtan en blouse blanche, portant un bébé dans ses bras, à côté d'une femme aux yeux souriants.

Qui d'autre que Jeannine ? Celle qu'il présentait toujours comme son amie d'enfance.

Tiphaine a senti un bourdonnement dans sa tête, son esprit est devenu complètement vide.

Comment ces trois personnes formaient-elles une famille ?

Sa respiration s'est accélérée soudain. Elle s'est précipitée dans l'ascenseur pour rejoindre le 15e étage et demander des explications à Gaëtan.

Mais alors que les portes se fermaient, elle a entendu deux voix familières.

Avec sa casquette et son masque, ils ne l'ont pas reconnue et ont parlé librement.

« Gaëtan, si elle savait tout cela... Pourquoi l'avoir gardée à tes côtés ? Si tu avais épousé Jeannine dès le début, tu n'aurais pas à agir en cachette pour voir ton propre enfant. »

C'était la voix de Patrick.

Gaëtan lui a répondu froidement : « Elle ne découvrira rien. Occupe-toi de tes affaires. Quand tu verras Tiphaine, tu sauras ce qu'il faut dire ou non. »

« Je ne te comprends vraiment pas », a ricané Patrick, « Jeannine te connaît depuis ses cinq ans ! Tu l'adorais à l'époque. Comment as-tu pu te laisser ensorceler par Tiphaine ? Tu as renvoyé Jeannine pour elle, puis tu as tout fait pour la ramener. Qui aimes-tu vraiment ? »

Gaëtan a gardé longtemps le silence avant de répondre : « J'aime Tiphaine, mais je n'arrive pas à oublier Jeannine. Quand je pense à sa vie difficile ces dernières années, je perds les idées. »

« J'offre ma présence à Tiphaine, alors je devrais donner à Jeannine le droit de porter mon enfant. Au moins, elle aura un soutien pour l'avenir. »

Patrick a soupiré : « Et si tu avais un enfant avec Tiphaine, pourrais-tu rester impartial ? Jeannine est quand même ma cousine, je m'inquiète pour elle. »

Avec un « Ding » retentissant, l'ascenseur a atteint l'étage cible. Le bruit de ses portes qui s'ouvraient s'est mêlé aux mots de Gaëtan : « Non, ça n'arrivera pas. »

Patrick, déconcerté, s'est demandé si son ami signifiait qu'il n'aurait jamais d'enfant avec Tiphaine, ou qu'il ne montrerait aucune partialité entre ses enfants. Perplexe, il l'a suivi hors de l'ascenseur.

Mais Tiphaine avait compris. Elle savait que l'homme parlait de la première option : ils n'auraient jamais d'enfant. Il lui avait secrètement fait prendre des pilules stérilisantes, éliminant toute menace pour sa chère Jeannine.

L'ascenseur était bondé, étouffant, mais Tiphaine s'est sentie plonger dans un gouffre glacé, un froid mortel la parcourant des pieds à la tête. Ce n'était qu'à son retour au rez-de-chaussée qu'elle a toussé brutalement, telle une noyée goûtant enfin à l'air libre.

Soudain, son téléphone a vibré dans sa poche. Gaëtan lui a envoyé une capture d'écran de billet d'avion, accompagnée d'un message attentionné : « Chérie, à demain sur le circuit ! N'oublie pas le porte-bonheur que j'ai obtenu pour toi. »

Cette message a fait déborder l'océan de ses émotions. Des larmes grosses comme des perles ont commencé à rouler sur ses joues.

Malgré ses lourdes responsabilités médicales, Gaëtan n'avait jamais manqué une seule de ses courses depuis leur mariage, même lorsqu'il devait prendre un vol de nuit. Il était toujours là, dans les gradins. À chaque fois, il réservait un restaurant, achetait des fleurs, et célébrait sa victoire.

Elle s'est souvenue des plaisanteries de ses amis : « Tiphaine, Gaëtan a risqué sa vie pour te conquérir ! »

Oui. Pour la faire revenir en France, il s'était battu furieusement contre les dirigeants de son club étranger, qui n'avaient pas hésité à le menacer mortellement. Pour sa carrière, il avait investi une fortune pour recruter une équipe d'entraîneurs d'élite et créé son propre club de course.

Et après le mariage ? Son affection débordait. Un soir, elle avait murmuré dans son sommeil qu'elle regrettait sa défunte mère. Au milieu de la nuit, il avait mobilisé tous ses contacts pour lui retrouver les affaires de sa mère avant l'aube.

Pourtant, cet homme même avait construit une famille secrète avec une autre femme...

Était-ce vraiment de l'amour ?

Soudain, Tiphaine a compris. Non, ce n'était pas vrai, et cet amour n'avait jamais été exclusivement sien.

Jeannine connaissait mieux qu'elle la disposition de l'appartement de Gaëtan et les détails de sa vie ; même vivant à l'étranger, elle savait utiliser les surnoms de tous ses amis ; d'une simple caresse dans la voix, elle pouvait lui faire abandonner ses dossiers professionnels pour l'accompagner sur un circuit...

Leur relation, nourrie depuis l'enfance, créait entre eux une complicité aussi naturelle qu'ambiguë.

Quelques instants plus tôt, elle s'était dit que si Jeannine avait sciemment brisé leur mariage, elle ne pardonnerait pas. Mais maintenant, elle a réalisé : c'était elle, l'intruse dans leur conte de fées et c'était elle qui devait s'effacer...

Un froid glacial est monté de ses pieds, engourdissant ses membres.

Autrefois, elle imaginait s'effondrer en cris et en larmes. Mais elle découvrait maintenant autre chose : l'effondrement véritable est silencieux. Seules les larmes ininterrompues et un cœur brisé lui disaient à quel point elle souffrait. Sa poitrine semblait serrée par une main invisible, déterminée à en exprimer la dernière goutte de sang.

Son téléphone a vibré à nouveau. Un message de Jeannine : une photo des trois ensemble, suivie d'un texte :

« Tiphaine, cesse d'occuper une place qui ne t'appartient pas. Je te croyais plus lucide. Apparemment, tu manques de dignité. Gaëtan dit que notre enfant lui ressemble. Tu en penses quoi ? »

Tiphaine a éteint l'écran d'un geste sec.

Elle allait leur laisser la place.

Mais elle connaissait trop Gaëtan : ce qu'il considérait comme sien, même s'il n'en voulait plus, il ne le lâcherait pas facilement.

Ses doigts ont plané longtemps au-dessus du clavier numérique. Pour régler ce problème une fois pour toutes, elle a composé enfin un numéro presque oublié. Quand la ligne s'est ouverte, sa voix tremblait si fort qu'elle pouvait l'entendre distinctement : « Fernand... Ce pari d'autrefois... Est-ce que ça tient toujours ? »