Chapitre 4

Émeline s'est éveillée en sursaut, le corps trempé de sueur, haletante comme un poisson échoué. Des larmes coulaient le long de ses tempes. Elle s'est jetée contre Tatiana, sanglotant à voix basse : « Tatiana… »

« Je suis là, tout va bien. » Tatiana lui a tapoté le dos jusqu'à ce que sa respiration s'apaise, puis est allée chercher la trousse de premiers soins au salon.

La fièvre d'Émeline atteignait 39,5 °C, mais elle refusait d'aller à l'hôpital et s'est contentée d'avaler un puissant comprimé antipyrétique.

Tatiana aurait voulu lui demander quel cauchemar l'avait tant secouée, mais de peur de raviver sa peine, elle s'est tue.

Le médicament ne lui a pas apporté immédiatement le sommeil. La tête douloureuse comme traversée par des aiguilles, l'esprit embrumé, Émeline revoyait les fragments de son rêve.

Était-ce un simple cauchemar ?

Pourtant, tout dans ce cauchemar semblait si réel, si tangible.

Et si ces événements se produisaient vraiment…

Un froid glaçant l'a parcourue, son corps s'est mis à trembler.

Tatiana l'a serrée contre elle, inquiète, « On devrait quand même aller à l'hôpital. »

Réconfortée par la chaleur de son amie, Émeline a retrouvé peu à peu ses esprits. Elle a inspiré profondément.

De quoi avait-elle peur ?

Si ce cauchemar annonçait le futur, elle ne laisserait jamais ces scènes se reproduire !

Elle a étreint Tatiana avec force, « Désolée de t'avoir inquiétée. Ça va aller, une bonne nuit de sommeil suffira. »

Sous l'effet du médicament, Émeline a fini par sombrer dans un sommeil agité.

…

Gaétan, qui avait veillé Pablo toute la nuit, n'avait pratiquement pas dormi. Ses cernes bleutés en témoignaient. Son esprit était brumeux, plus épuisé qu'après une nuit de travail intense.

Il a soudain éprouvé une certaine admiration pour Émeline. Comment avait-elle réussi, durant toutes ces années, à élever Pablo seule ?

Pablo est descendu, habillé, et a jeté un regard perplexe à la table vide, « Papa, on mange quoi ce matin ? »

Grâce aux médicaments, ses douleurs ventrales s'étaient apaisées. Requinqué, il insistait pour participer à l'activité parent-enfant à l'école, surtout puisque Roxane avait accepté d'être sa « maman d'un jour ».

Gaétan l'a pris par la main, a répondu : « On va d'abord chercher Roxane, puis on déjeunera ensemble avant d'aller à l'école. »

« Super ! » s'est exclamé Pablo, ravi.

...

Émeline a dormi jusqu'à dix heures du matin. Réveillée en sueur, elle a constaté que sa fièvre était tombée.

Tatiana, qui avait pris un jour de congé pour veiller sur elle, l'a invitée à prendre le petit-déjeuner.

« J'ai acheté ça dans une boulangerie. Tu me connais, j'ai jamais rien dans la cuisine », a-t-elle dit en lui servant un café et des croissants.

Après avoir allumé son téléphone, Émeline a parcouru les messages reçus. Aucun ne venait de Gaétan.

Était-elle déçue ? Oui, certainement.

Bien qu'elle eût décidé de divorcer, cet homme restait celui à qui elle avait tout donné depuis son adolescence.

Elle devait apprendre à l'ignorer. Ne plus l'aimer, c'était la clé pour rebondir de sa situation morose.

Mais renoncer à un amour si ancien et si intense était comme s'arracher un morceau de cœur, laissant sûrement une plaie béante.

Elle a lu le message de Claire, l'enseignante de Pablo, dont la conversation était mise en avant pour suivre toutes les activités scolaires.

Claire rappelait que la journée portes ouvertes parent-enfant avait lieu ce jour.

Malgré elle, les images de son cauchemar lui sont revenues.

Après un moment d'hésitation, elle a cédé : une dernière fois, elle irait à une activité scolaire pour son enfant.

Elle a avalé son petit-déjeuner, s'est préparée rapidement, appliquant un maquillage léger pour cacher sa pâleur. Vêtue des vêtements lavés par Tatiana, elle s'est rendue à l'école.

Des rires d'enfants l'ont accueillie à la maternelle. Après avoir confirmé son identité, elle est entrée.

Derrière elle, l'agent d'accueil a murmuré, perplexe : « Pourquoi Pablo a-t-il deux mamans ? »

Un enfant a trébuché près d'elle ; c'était un camarade de classe de Pablo.

« Sais-tu où est Pablo ? » a demandé Émeline tendrement, en le relevant et en époussetant doucement ses vêtements.

« Merci, Madame », a dit poliment l'enfant avant de pointer le doigt au loin, « il est là-bas. »

« Merci. »

Émeline s'est approchée de l'endroit indiqué par l'enfant ; mais Pablo, non loin d'elle, ne l'a pas remarquée. Les yeux brillants d'excitation, il criait en direction du terrain : « Allez maman ! Courage, maman ! »

Le cœur soudain serré, Émeline a eu un mauvais pressentiment ; elle a suivi le regard ardent de son fils… et a découvert, sans aucune surprise, Roxane.

Celle-ci participait à une course aux côtés d'autres mères, tandis que Gaétan, tel un mari attentionné, filmait scrupuleusement toute la scène en trottinant avec son téléphone. Ils formaient une équipe parfaite, une famille unie et heureuse.

Émeline est restée immobile, sans avancer davantage vers eux.

Le tronc d'un arbre et les groupes de parents autour d'elle lui offraient une retraite discrète. Jusqu'à la fin de l'épreuve, alors que Roxane, arrivant en premier, fêtait sa victoire, ni son mari ni son fils ne l'ont aperçue.

Pablo, fier comme un paon, s'est rengorgé devant ses camarades, « Vous voyez, ma maman, c'est la plus forte ! »

Un autre enfant a rétorqué, visiblement vexé, « La mienne, elle n'avait pas envie de gagner, sinon elle l'aurait battue facilement ! C'est ma maman la plus forte ! Et ma maman sait faire plein de choses, en plus, c'est une star très connue ! »

« Les stars, c'est nul ! La mienne, elle est une grande patronne très réussie ! »

« Ma maman à moi, c'est une scientifique, elle construit des avions ! Pablo, ta maman, elle fait quoi, elle ? »

La compétition enfantine s'est enflammée.

Pablo a relevé le menton, l'air hautain, « Ma maman, c'est carrément une superwoman ! Elle sait tout faire ! Elle a un doctorat d'une grande université américaine, elle crée des parfums, elle fait de l'escalade, du parachutisme, de la plongée, de l'équitation, de la Formule 1… Elle peint, danse et joue du piano ! Et elle est plus belle que toutes vos mamans ! »

« Alors c'est qui, la dame qui t'amène à l'école d'habitude ? »

« Elle... c'est... » a hésité Pablo une seconde avant d'affirmer, sûr de lui, « C'est notre nounou. »

Ces mots tellement cruels ont fait vaciller Émeline. Elle s'est agrippée au tronc d'arbre pour ne pas tomber.

Leur nounou ?

Ce garçon n'avait-il donc aucune gratitude ? Le cœur d'Émeline était envahi par l'amertume.

Le fils pour lequel elle avait risqué sa vie, celui qu'elle chérissait plus que tout, osait la réduire à une simple bonne de la famille ?

À cet instant, les images de son cauchemar lui sont revenue en flots tumultueux :

Un adolescent grand et mince, d'une beauté frappante mais au regard empli de haine, lui crachait : « Pourquoi tu ne meurs pas ? Pourquoi tu reviens sans cesse me harceler ? Quelle honte d'avoir une mère comme toi ! Tu es pathétique et sans scrupules. »

« Regarde-toi ! Tu es moins qu'une servante. Tu me couvres de honte. Je ne veux même pas parler de toi à mes amis ! »

« Dégage, tu es sale ! Je ne veux plus jamais te voir. Je veux pas de mère qui a d'autres hommes que mon père. Roxane est ma vraie mère ! C'est clair ? »

Les cris du jeune garçon se superposaient à la voix innocente de Pablo. Le cœur d'Émeline était comme jeté dans un hachoir, déchiqueté au point de ne plus pouvoir être reconstitué.

Elle a baissé les paupières rougies, serrant l'écorce jusqu'à s'enfoncer les ongles, absorbant volontairement des vagues de douleur physiques afin de ne pas ressentir son désespoir. Puis, d'un mouvement résolu, sans un regard en arrière, elle a tourné les talons.

Sa décision était prise : elle renoncerait à la garde de Pablo !