Home / Romance / Sous les plis du Destin / Chapitre 7 : Le Café de Minuit

Share

Chapitre 7 : Le Café de Minuit

Author: Tyma
last update Last Updated: 2025-07-17 16:23:30

Le vent soufflait doucement sur les toits du Palace ce soir-là.

Les lumières de la ville scintillaient au loin comme des promesses inaccessibles, et Lina sentait que quelque chose avait changé. Pas seulement en elle. Dans l’air. Dans les gestes des gens. Dans la manière dont on la regardait.

Elle n’était plus invisible.

Et ce n’était pas une bonne chose.

Les chuchotements avaient commencé à se multiplier dans les couloirs du Palace. Elle les entendait derrière son dos, ou bien dans les regards appuyés qu’elle surprenait entre deux étages.

Elle ne savait pas exactement ce qui circulait, mais elle devinait l’essentiel : la fille du service de nettoyage qui tourne autour du patron.

Elle en avait le souffle coupé rien qu’à y penser.

Et pourtant…

Quand elle retrouvait Ethan, tard dans la nuit, dans ce petit salon au fond du sixième étage, tout disparaissait.

Il l’y attendait presque chaque soir désormais, entre deux rendez-vous, entre deux mondes.

Assis dans un fauteuil en cuir, une tasse de café à la main, et toujours ce regard fatigué mais vivant… uniquement quand il posait les yeux sur elle.

— Tu travailles trop, murmura Lina en s’asseyant face à lui.

Il haussa les épaules, un sourire en coin.

— Je ne dors que pour rêver de toi, donc autant rester éveillé.

Elle sourit malgré elle, secouant la tête.

— Tu dis ça à toutes tes femmes de ménage ?

— Non. Juste à toi.

Il lui tendit une tasse. Du vrai café, pas celui des distributeurs automatiques. Fort. Parfumé. Brûlant. Comme lui.

— Merci.

Elle en but une gorgée.

— Tu sais, ça pourrait me coûter mon poste, tout ça.

Il la regarda longuement.

— Tu penses que je laisserais faire ça ?

— Tu ne peux pas tout contrôler, Ethan. Et moi non plus. Le monde dans lequel tu vis… il a ses règles. Et ses fauves.

Il se leva, s’approcha, s’accroupit devant elle.

— Je sais que tu as peur. Moi aussi. Mais je préfère perdre ce que j’ai… que de te perdre, toi.

Elle serra la tasse plus fort entre ses doigts.

— Ce n’est pas toi que j’ai peur de perdre. C’est moi.

Il fronça les sourcils.

— Comment ça ?

— J’ai mis des années à me construire. À rester debout. À cacher mes rêves pour survivre. Et toi, tu arrives… tu me regardes comme si j’étais une évidence. Comme si j’étais… quelqu’un. Mais moi je ne suis pas sûre de savoir qui je suis, Ethan. Pas encore.

Il lui prit la main. Doucement.

— Alors laisse-moi t’aider à le découvrir. Sans te voler. Sans t’effacer.

Elle ferma les yeux.

Son cœur battait si fort qu’elle en avait le vertige.

Elle savait qu’elle glissait. Lentement. Profondément. Vers quelque chose de dangereux. Et peut-être… de merveilleux.

---

Ce soir-là, elle ne rentra pas tout de suite.

Elle resta là, avec lui, jusqu’à une heure avancée de la nuit. Ils parlèrent de tout et de rien. De leurs enfances. De ce qu’ils auraient aimé devenir s’ils avaient eu le choix.

— Je voulais être architecte, dit-il en souriant.

— Pourquoi ?

— Parce que j’aime les structures solides. Et les endroits où on peut respirer.

— Et aujourd’hui ?

— Aujourd’hui je suis coincé dans des tours en verre qui étouffent.

Elle le regarda longuement. Puis murmura :

— Et moi… j’aurais voulu créer une maison de couture. Rien de grand. Juste… assez pour que des femmes comme moi puissent se sentir belles. Pas riches. Belles.

Il l’observa, admiratif.

— Tu le feras, Lina.

— Je n’ai ni diplôme, ni réseau.

— Tu as ton carnet. Et tu m’as moi.

Elle sourit tristement.

— Tu ne peux pas me sauver de tout.

Il rapprocha sa main de sa joue, effleurant sa peau du bout des doigts.

— Je ne veux pas te sauver. Je veux marcher à côté de toi.

Elle sentit les larmes monter sans prévenir. Alors elle se leva doucement, déposa sa tasse, et se dirigea vers la porte.

Avant de sortir, elle murmura sans se retourner :

— Ne me promets rien, Ethan. Je ne supporterais pas que tu ne tiennes pas parole.

Et elle s’en alla.

---

Le lendemain, l’ambiance avait encore changé au Palace.

On disait que le père d’Ethan, monsieur Gérard Moreau – fondateur de l’empire hôtelier – arrivait à Paris pour une inspection surprise. Et cela ne présageait rien de bon.

Lina entendit une assistante chuchoter :

— S’il apprend que son fils fricote avec une employée de nuit, ce sera le chaos. Il déteste tout ce qui ternit l’image familiale.

Le sang de Lina se glaça.

Elle savait que ce jour viendrait. Que le masque tomberait. Mais pas aussi tôt. Pas aussi brutalement.

Plus tard dans la journée, alors qu’elle passait discrètement dans les escaliers de service, elle entendit Ethan hausser le ton dans son bureau :

— Ce que je fais de ma vie privée ne regarde personne, père !

— Quand ton "privé" menace notre réputation, ça ME regarde, répliqua une voix plus grave.

— Tu n’as jamais supporté que je fasse les choses à ma manière, pas vrai ?

Un silence. Puis :

— Elle est en dessous de toi, Ethan. Tu es un Moreau. On ne s’abaisse pas à ce niveau.

Lina s’éloigna. Tremblante.

Elle n’avait jamais été autant blessée par des mots qui ne lui étaient même pas adressés directement.

---

Le soir venu, elle n’alla pas au salon habituel.

Elle ne voulait pas voir Ethan. Pas maintenant.

Elle voulait comprendre ce qu’elle était en train de devenir.

Mais à minuit passé, alors qu’elle s’apprêtait à partir… elle le vit l’attendre devant la sortie du personnel.

Pas en voiture. Pas entouré de gardes. Juste lui. Avec une écharpe autour du cou et les traits tirés.

— Je t’ai attendue, dit-il.

Elle s’approcha, le cœur serré.

— Je sais ce que ton père pense de moi, Ethan. Et tu sais quoi ? Il a raison.

— Non.

— Si, il a raison. Je suis en bas. Je viens d’un monde où on compte chaque pièce, chaque jour de congé, chaque regard méprisant.

Il voulut parler. Elle leva la main.

— Et pourtant… malgré tout ça… je t’aime.

Un silence.

— Je t’aime, Ethan. Et c’est ça le problème.

Il s’approcha lentement. Très lentement.

— C’est aussi ça la solution.

Il la prit dans ses bras. Fort. Longtemps.

Et cette nuit-là, pour la première fois, ils ne se quittèrent plus.

Continue to read this book for free
Scan code to download App

Latest chapter

  • Sous les plis du Destin   Chapitre 87 — La Cité des Échos

    Le matin s’ouvrit comme une blessure lente dans le ciel.Une lumière douce, encore timide, glissait entre les collines noircies. Le vent portait des odeurs nouvelles : non plus celles de la cendre et de la peur, mais quelque chose de presque vivant — une promesse d’herbe, de pluie, de recommencement. Lina marchait en silence, son regard fixé vers l’horizon. Le monde semblait s’être tu pour écouter ses pas. Derrière elle, les survivants suivaient, formant une ligne fragile au milieu des plaines dévastées.Ils avaient marché pendant trois jours sans s’arrêter. Les rivières étaient à sec, les arbres penchés comme des vieillards, mais à chaque lever du soleil, un souffle d’espoir renaissait. Moreau ouvrait parfois la route, parfois la fermait, selon la force de ses jambes. Quant à Ethan, il marchait près de Lina, le carnet de Malik toujours serré contre lui, comme une boussole invisible.Le quatrième matin, alors que le soleil montait à peine, ils atteignirent un plateau d’où l’on pouvait

  • Sous les plis du Destin   Chapitre 86 — Les cendres du serment

    Le vent avait changé de direction. Il ne portait plus l’odeur du sang ni celle des flammes, mais un parfum de cendre froide, comme si la terre elle-même pleurait ce qu’elle avait dû brûler pour survivre. Lina marchait en tête, ses bottes s’enfonçant dans la boue grise. Derrière elle, une colonne silencieuse d’hommes, de femmes et d’enfants avançait, les visages creusés par la fatigue, les regards vides d’expression. On aurait dit un cortège d’âmes revenues d’entre les morts. Le ciel, encore voilé de fumée, s’ouvrait par endroits, laissant filtrer des bandes de lumière pâle. Les rayons du soleil, timides, effleuraient les décombres et les visages. Ce n’était pas encore la paix, mais ce n’était plus la guerre. C’était ce moment suspendu entre deux respirations — celui où tout est encore possible. Moreau fermait la marche. Ses épaules étaient basses, mais son regard restait ferme. Il avait perdu trop d’hommes, trop d’années, trop de foi, mais pas sa conviction. À chaque pas, il se rép

  • Sous les plis du Destin   Chapitre 85 — La route des survivants

    Le matin s’éleva lentement sur les décombres, comme s’il craignait de blesser davantage ce qui restait du monde. La pluie de la veille avait lavé la suie, révélant sous les couches de cendre les cicatrices d’une civilisation qui respirait encore, à peine. Lina marchait, épuisée mais droite, le regard fixé sur l’horizon où s’élevait une fine colonne de fumée — un signe de vie, peut-être. Chaque pas résonnait comme un souvenir. Les ruines, la voix d’Awa, la tour du Siège… tout cela semblait déjà appartenir à un autre siècle. Pourtant, dans son cœur, une certitude nouvelle battait : elle n’était plus seule à porter le poids du passé. La route s’ouvrait devant elle, sinueuse, bordée d’arbres calcinés dont les branches pointaient vers le ciel comme des bras suppliants. Au loin, les montagnes semblaient veiller, silhouettes immobiles d’un monde ancien. Lina inspira profondément. L’air sentait la terre humide et le fer. Elle serra la sangle de son sac et reprit la marche. Le mot d’Awa

  • Sous les plis du Destin   Chapitre 84 — La mémoire des ruines

    Les flammes avaient cessé de danser, mais leur empreinte demeurait dans l’air, une brûlure suspendue, invisible et tenace. Lina marchait seule, ses bottes s’enfonçant dans la poussière d’un monde effondré. Autour d’elle, la ville ressemblait à une carcasse géante : des murs éventrés, des fenêtres crevées, des rues où l’écho de la peur s’était figé comme une ombre. Le silence, ici, avait un poids. Il écrasait le cœur plus sûrement qu’une pierre tombale. Elle avançait lentement, respirant la suie, cherchant dans ce chaos une trace de ceux qu’elle avait perdus. Ethan, Malik, même Awa… tous semblaient avoir été avalés par cette tempête sans nom. Pourtant, au fond d’elle, quelque chose persistait. Une flamme discrète, une volonté qui refusait de mourir. Elle murmurait presque pour elle-même : — On n’efface pas ce qui a été écrit dans le sang. Le vent souleva un voile de cendre, et derrière lui, Lina distingua une silhouette. Un homme, appuyé contre un mur fissuré, la regardait venir.

  • Sous les plis du Destin   Chapitre 83 — La prière des braises

    La nuit n’avait pas vraiment disparu.Même lorsque l’aube pointa, elle resta accrochée au ciel comme une plaie qu’on refuse de refermer.Sous la montagne, dans la cavité où s’était réfugiée la résistance, tout semblait immobile.Seuls les battements réguliers du générateur et la respiration saccadée de Malik rompaient le silence.Lina ne dormait plus depuis deux jours.Assise à même le sol, les coudes sur les genoux, elle fixait le corps étendu devant elle.Chaque souffle qu’il prenait semblait menacé d’être le dernier.Zakari, penché au-dessus de lui, essuyait la sueur de son front.— Il faut du repos, dit-il doucement. Et du calme.— Comment veux-tu qu’il se repose ? répondit Lina d’une voix rauque. On vit au bord d’un volcan.Elle se leva, fit quelques pas.Le feu de camp projetait sur les murs des ombres tremblantes, comme des silhouettes de spectres.Chaque ombre lui rappelait un visage perdu : Clément, Awa, les enfants du port, et tous ceux dont la mémoire s’était dissoute dans

  • Sous les plis du Destin   Chapitre 82 — Les ombres du vent

    Le vent se leva avant l’aube. Un vent sec, chargé de poussière, qui descendait des montagnes comme un avertissement. Lina l’écoutait, immobile devant la sortie de la mine. Chaque rafale lui rappelait que le monde au-dessus d’eux continuait de tourner, aveugle à ce qui se préparait dans ses entrailles. Derrière elle, la base clandestine s’éveillait lentement. Des lampes vacillantes éclairaient les couloirs. Les visages se croisaient en silence : Zakari, Amina, le jeune Léo — chacun portait cette tension contenue qui précède l’action. La première mission allait commencer. Sur une table de fortune, Malik étalait une carte de la ville. Les marques rouges formaient une toile d’araignée. — “Le point central, c’est ici,” dit-il en tapant du doigt sur un cercle près du fleuve. — L’ancien dépôt électrique ? demanda Lina. — Oui. S’ils perdent cette station, la moitié des quartiers gouvernementaux seront plongés dans le noir. Ce sera notre signal. Autour d’eux, le murmure des plans se

More Chapters
Explore and read good novels for free
Free access to a vast number of good novels on GoodNovel app. Download the books you like and read anywhere & anytime.
Read books for free on the app
SCAN CODE TO READ ON APP
DMCA.com Protection Status