Masuk
LÉANA
Chaque soir, je remonte la fermeture de ma robe comme on referme un secret. Le satin colle un peu à ma peau, la lumière du miroir tremble, et mes doigts hésitent sur le dernier bouton. Il y a toujours un instant, juste avant d’entrer sur scène, où je ne sais plus qui je suis. La femme qui danse, ou celle qui fuit. Au cabaret Le Lys Noir, tout n’est que jeux d’ombres et de reflets. On y rit trop fort, on y boit trop vite, on oublie qu’il fait nuit dehors. Moi, j’avance sous les projecteurs comme une apparition : lente, calculée, presque irréelle. Les hommes s’enivrent de mes gestes, sans voir la fatigue qui s’accroche à mes cils. Ce soir pourtant, quelque chose change. Une présence. Un regard que je ne vois pas, mais que je sens. Là, au fond de la salle, une silhouette immobile. Il ne boit pas, ne parle pas. Il semble écouter. Je danse, et c’est comme si mes pas étaient suivis par une autre musique, plus profonde, plus grave. Quand le rideau se referme, je reste quelques secondes dans le noir. Mon cœur bat à contrecourant. Et puis, la régisseuse me tend une enveloppe. “Pour vous. Il a dit que vous comprendriez.” Aucun nom, juste un papier blanc plié avec soin. Je l’ouvre. Les mots, tracés d’une écriture fine, me glacent autant qu’ils me brûlent : Je voudrais vous voir danser pour moi. Seule. Dans le silence. Sans contact, sans regard. Juste vous. — A. Je ris nerveusement. Un caprice de riche, sûrement. Mais quelque chose dans la sobriété de la lettre me trouble. Pas d’arrogance. Pas de promesse. Juste une demande… presque une prière. Le lendemain, j’y pense encore. Et le surlendemain. Jusqu’à ce que je dise oui. ADRIAN Je reconnaîtrais sa présence parmi mille. Le froissement du tissu quand elle se retourne, la respiration courte après une pirouette, le léger grésillement de la scène quand les projecteurs chauffent le parquet. Je ne vois rien. Mais je perçois tout. Depuis mon accident, la lumière est devenue un souvenir. Pourtant, dans le noir, il y a des formes que personne ne devine. Les émotions ont une texture. Le silence a des contours. Et ce soir-là, quand elle a dansé, j’ai senti quelque chose d’indéfinissable — une fracture qui répondait à la mienne. Je n’ai pas cherché son visage. Je ne veux pas d’un visage. Je veux la vérité nue du mouvement, la musique de son souffle. J’ai fait remettre ma lettre par discrétion. Je me doutais qu’elle refuserait, d’abord. Mais il y avait dans sa danse une sincérité rare, quelque chose d’animal et de brisé. Et ce sont les âmes fêlées qui me parlent le mieux. Elle a accepté. Demain, elle viendra ici, dans ce salon que j’ai fait plonger dans la pénombre. Il n’y aura ni musique ni spectateurs, seulement l’écho de ses pas et le son de ma respiration. LÉANA L’adresse qu’il m’a donnée ne mène pas à un hôtel ni à un club, mais à une vieille bâtisse près du quai. À l’intérieur, le silence. Une lumière tamisée, un piano fermé. Et lui, assis dans un fauteuil de velours noir, la tête légèrement inclinée vers le sol. — “Vous êtes venue.” Sa voix est grave, douce, presque désolée. Je hoche la tête avant de me rappeler qu’il ne me voit peut-être pas. — “Oui… je suis venue.” Il ne bouge pas. Il ne cherche pas à me regarder. Il se contente de dire : — “Dansez.” Aucune musique, aucun rythme. Juste le battement de mon cœur. Je bouge lentement, d’abord maladroite, puis plus libre. Mes pas dessinent une histoire que je ne comprends pas encore. Je sens qu’il m’écoute. Vraiment. Chaque geste semble résonner en lui comme une note. Et puis, sans prévenir, il murmure : — “C’est beau. Vous avez peur.” Je m’arrête. Comment peut-il savoir ? — “Je l’entends,” répond-il simplement. “Dans votre respiration.” Je reste là, immobile, entre curiosité et frisson. Cet homme ne voit pas, mais il me perçoit d’une façon que personne n’a jamais su. Quand je quitte la pièce, le froid de la nuit me gifle. Dans ma main, une seconde enveloppe : Demain, même heure. Si vous le voulez. Je sais déjà que j’irai. Et que rien, après cela, ne sera plus tout à fait pareil.LÉANA Les coulisses sont un vrai tourbillon ce soir : rires, maquillages, chuchotements, talons qui claquent. Je me faufile parmi les danseuses, évitant les regards curieux des clients qui ont accès à la salle VIP. Clara m’attrape le bras : — “Tu es toute rouge ! Qu’est-ce qu’il t’a fait cette fois ?” Je souris, gênée. — “Rien… juste… quelqu’un que tu ne connais pas.” Elle rit, malicieusement : — “Tu caches quelque chose, et ça se voit. Je parie que c’est lui.” Je frissonne, incapable de le nier. Même au milieu de cette agitation, je sens sa présence. Et je comprends que chaque geste, chaque regard, chaque souffle que je lui adresse est une promesse silencieuse… dangereuse et délicieuse. ADRIAN Je l’observe depuis l’ombre de la salle VIP. Chaque mouvement qu’elle fait est une vibration que je ressens au plus profond de moi. Même entourée de monde, elle est à moi. Et pourtant, je dois respecter les règles. Le contrat reste notre protection, notre torture et notre lien.
LÉANA La salle du cabaret vibre d’énergie. Les musiciens accordent leurs instruments, les danseuses s’échauffent, et les clients commencent à affluer. Je traverse la pièce, portant mon costume étincelant, et je sens tous les regards sur moi… mais le seul qui compte, c’est lui. — “Salut Léana ! Prête pour ce soir ?” s’exclame Amélie, une nouvelle danseuse. — “Toujours.” je réponds en souriant. Mais mes pensées sont ailleurs. Je sens déjà sa présence quelque part dans la salle, invisible, mais inoubliable. Le directeur du cabaret, Monsieur Delacroix, passe à côté de moi. — “Vous êtes éblouissante ce soir. Mais attention, les spectateurs sont plus… attentifs que d’habitude.” Je fronce les sourcils, intriguée. — “Plus attentifs ?” Il se contente de me lancer un sourire énigmatique et s’éloigne. ADRIAN Je suis assis dans l’ombre, légèrement en retrait, mais je ressens chaque vibration de la salle. Le jeu continue même au milieu des autres. Je perçois son parfum mêlé à celui de
.LÉANA Le cabaret est en effervescence. Les coulisses vibrent de préparatifs, de rires nerveux et de chuchotements. Je glisse entre les danseuses, mon costume scintillant accrochant la lumière des projecteurs. Ce soir, je sens une tension différente. Une énergie qui ne vient pas que de la scène. — “T’as l’air nerveuse, Léana.” murmure Clara, ma meilleure amie et danseuse principale. Je souris faiblement, mais elle lit tout en moi. — “C’est rien… juste… cette soirée.” Clara hausse un sourcil, sceptique, mais ne pose pas plus de questions. Elle connaît mon obsession pour ce mystérieux spectateur, Adrian, mais elle ne comprend pas la profondeur de ce lien silencieux. Je monte sur scène. La salle est pleine, les clients applaudissent déjà. Et lui est là. À la première rangée. Sa présence, même dans l’obscurité, me brûle la peau. ADRIAN Je l’ai vue entrer dans la salle, et je ressens une agitation nouvelle. Je ne me mêle pas aux autres clients. Je reste dans mon coin, observa
LÉANALe froid de la nuit me paraît presque supportable comparé à la chaleur que je ressens en entrant dans la pièce.Chaque bougie tremble, projetant des ombres qui dansent sur les murs, comme si elles imitaient nos corps en silence.— “Vous êtes revenue.”Sa voix me saisit, m’arrache un frisson instantané.Je hoche la tête, incapable de parler, mon souffle déjà court.Il m’invite à avancer.Chaque pas que je fais est une lutte entre l’envie de m’approcher et la peur de franchir l’interdit.Je sens sa présence tout près, presque tangible.Il n’a pas besoin de me toucher pour que je brûle de désir.— “Approchez-vous… lentement.”Je fais un pas. Puis un autre.Je sens son souffle, invisible, caresser mon visage.Et je frissonne, consciente que ce simple frôlement imaginaire est déjà une intimité inédite, presque dangereuse.ADRIANElle s’avance, chaque pas résonnant dans le silence comme un écho de son corps et de son âme.Je ne la touche pas, mais je sens chaque vibration, chaque mouv
LÉANALe pavé glissant sous mes talons me semble moins réel que le feu qui brûle en moi.Je sais que je vais le retrouver dans ce salon plongé dans la pénombre, et mon corps trahit mon esprit avant même que j’ouvre la porte.— “Vous êtes là.”Sa voix, profonde et presque caressante, me fait frissonner instantanément.Je m’avance, sentant chaque vibration dans le bois du parquet.Le silence est presque trop lourd pour être toléré.Mes mains frôlent le métronome dans ma poche, et je réalise que ce tic-tac régulier est devenu un rythme pour mon cœur brûlant.— “Rapprochez-vous. Juste un peu.” murmure-t-il.Je fais un pas, puis un autre. Mon souffle devient plus rapide, et je sens la chaleur invisible de son corps tout près de moi.Chaque frisson que je ressens est une conversation muette avec lui.Je n’ai jamais été ainsi captivée par quelqu’un que je ne pouvais voir.ADRIANElle approche.Chaque pas est un frisson qui parcourt mon corps comme un courant électrique.Je ne la touche pas,
Parfait 💫LÉANAJe pousse la porte et l’air chaud de la pièce me frappe comme un voile de velours.Il est là, immobile, presque sculpté dans l’ombre. Le silence est intense, presque trop lourd.— “Vous êtes revenue.”Sa voix est plus douce ce soir, mais elle porte une autorité que je n’ose contester.Je hoche la tête, incapable de parler.Il m’invite d’un geste à avancer, et je sens mon cœur s’emballer.Chaque pas résonne dans la pénombre, comme si la pièce elle-même retenait son souffle.— “Avant de commencer… il y a quelque chose que vous devez savoir.”Je me fige.— “Des règles.” murmure-t-il, presque pour lui-même.— “Oui. Des règles.”Il se lève lentement et s’approche, juste assez pour que je sente sa présence, mais pas assez pour le toucher.— “Vous dansez pour moi. Rien d’autre. Pas de contact. Pas de regards directs. Juste vos mouvements, vos émotions.”Je hoche la tête, mais mon esprit bouillonne.Chaque mot qu’il prononce résonne en moi comme un avertissement et une promes







